Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Michel Layaz - Ernest Mignatte - Sylvie Zaech
Avec quelque cinquante nouveaux ouvrages
(parmi lesquels de nombreux premiers romans), l'édition romande
semble se porter comme une fleur. En cette rentrée littéraire,
LÂge d'Homme, comme Métropolis ou Bernard Campiche
nous proposent de nombreuses découvertes et quelques petits joyaux
Michel Layaz, Ci-gisent
L'Age d'Homme, 1998 |
Il y a cinq
ans paraissait le premier livre de Michel Layaz, né
à Lausanne en 1963. Quartier
terre fut salué par une partie de la critique,
car il était riche de promesses, novateur par son style,
à la fois dense et élégiaque. Ces qualités,
on les retrouve aujourd'hui dans Ci-gisent*,
le troisième roman de Michel Layaz. Un livre à
vrai dire déroutant, non par son thème (la
femme fatale), mais par sa construction, toute en tours,
détours et circonvolutions.
Ce récit
singulier se déroule en partie à Rome (où
l'auteur a séjourné une année à
l'Institut suisse). C'est là qu'une jeune femme, Irène,
convoque les hommes qu'elle a aimés pour leur remettre
"une boîte métallique",
sorte de boîte de Pandore, un enregistreur et une cassette
vierge sur laquelle s'étalent les lettres CI-GISENT
et chacun d'eux va dérouler ses souvenirs.
Comme la solution
d'une énigme, cette explication, qui clôt le
beau roman de Michel Layaz, vient donner sens à tout
ce qui précède: les monologues croisés,
intriqués, imbriqués comme les reflets d'un
même miroir, des quatre amants d'Irène. De ces
amants, l'on saura peu de choses, sinon qu'ils auront tous,
à leur manière, tenté d'approcher le
secret de cette femme, et que tous y auront échoué.
Davantage même : chacun aura laissé dans l'aventure
une partie de lui-même, comme Holopherne " perd
la tête " en faisant l'amour avec la belle Judith...
Roman complexe,
donc, d'une écriture parfois un peu bavarde, Ci-gisent
intéresse par le portrait en creux qu'il donne d'une
femme qui, ne faisant que passer
dans la vie de ses amants, laisse pourtant cette vie bouleversée,
saccagée, en miettes. Roman lyrique, également,
au style soigné, mais dont la construction n'est pas
tout à fait maîtrisée, ni d'ailleurs le
mélange des diverses voix narratives, Ci-gisent n'en
demeure pas moins un texte intéressant.
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Ernest Mignatte, Le
copiste de Monsieur Beyle, Metropolis, 1998 |
Voici un joyau
singulier : le vrai-faux journal intime de celui qui, cinquante-trois
jours durant, fut le scribe appliqué d'Henri Beyle
(plus connu sous le nom de Stendhal!) et eu l'honneur immense
de transcrire les centaines de pages de La
Chartreuse de Parme.
Tout commence
à Paris, le 4 novembre 1838. Stendhal cherche un copiste
à qui dicter un livre qu'il a déjà presque
entièrement " en tête ". Dictée,
improvisation étourdissante, mais aussi mises au net
des passages qu'il a déjà écrits "
à la diable, d'une écriture presque illisible
".
À partir
de cette situation, une relation des plus étranges,
faite de confiance et de cruauté, d'admiration et d'inquiétude,
s'instaure entre le Maître et son copiste. Lequel, bientôt,
sera chargé par un Stendhal tantôt brillant,
tantôt à bout de forces, tantôt exaspérant
de vanité, d'écrire lui-même tout ce qui
fatigue le Maître. Ainsi les scènes de description
(la citadelle et la Cour de Parme) sont confiées au
modeste copiste, à qui Stendhal vole au passage les
idées (comme, par exemple, de comparer les rives du
lac de Côme à celles du lac de Genève)
ou livre des secrets de séduction ("comment
enfiler une femme honnête ").
Comme on le
voit, ce court roman parfaitement documenté permet
d'entrer, par le biais d'une fiction, dans le laboratoire
même de la création stendhalienne. Non seulement
on y apprend des foules de choses sur les conditions d'écriture
de La Chartreuse (l'auteur,
qui est un spécialiste de l'histoire littéraire,
marque le livre de sa griffe), mais on voit que l'écriture
d'un livre s'enrichit à chaque page de petits impondérables
(le vol d'une anecdote, l'amour du Maître pour la femme
du copiste, les fautes de transcription) qui lui donnent sa
saveur. Ce premier roman d'Ernest Mignatte, pseudonyme d'un
professeur bien connu à Genève et en France
où il a enseigné, est un véritable régal
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Sylvie Zaech,
La Laverie, L'Âge d'Homme, 1998 |
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Voici
encore une heureuse surprise ! Sous le titre de
La Laverie***,
Sylvie Zaech, une journaliste de danse vivant
à Bienne, nous donne son premier roman.
Tout se passe à Paris, dans et autour d'un
pressing qui est le point de ralliement de plusieurs
personnages singuliers et un lieu de parole, de
rêverie et de séduction. Lisa, à
la fois sensuelle et fragile, vient y chercher
un contact éphémère et y
ressasser les souvenirs d'anciennes amours. Pierre,
comme François qui furent ses amants, laissent
leur esprit dériver au rythme des lavages,
mouvement zen s'il est. Un Vietnamien les surveille,
sorte de vie sage, et semble ordonner leurs mouvements.
Le
roman, composé de 60 petits chapitres de
quatre ou cinq paragraphes chacun, est d'une écriture
à la fois lisse et très travaillée.
Pas un mot de trop dans ce tissu serré
d'impressions personnelles, de sensations parfaitement
rendues, de réflexions sur l'écriture
("les mots coulaient
sous ses doigts, précis et lumineux")
et de flashs aveuglants. Avec La
Laverie, Sylvie Zaech fait une belle entrée
en littérature. On attend avec impatience
les prochains fruits de son talent !
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Jean-Michel Olivier
*Michel Layaz, Ci-gisent L'Age d'Homme,
1998.
** Ernest Mignatte, Le copiste de Monsieur Beyle, Metropolis,
1998.
*** Sylvie Zaech, La Laverie, L'Âge d'Homme, 1998.
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Page créée le 10.08.98
Dernière mise à jour le
10.08.98
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