Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Max Frisch et Friedrich Dürrenmatt - Esther
Orner - Jean-Pierre Keller
Max Frisch et Friedrich
Dürrenmatt, Correspondance, présentée par Peter
Rüedi, Zoé, 1999 |
Elle est passionnante et à
bien des égards révélatrice, cette
Correspondance * (37 lettres en tout) entre deux monstres
de la littérature suisse de l'après-guerre
: Max Frisch (1911-1991) et Friedrich Dürrenmatt (1921-1990),
correspondance enfin disponible en français aux Éditions
Zoé,avec une remarquable présentation de Peter
Rüedi.
Passionnante, car on voit deux grands
hommes se livrer l'un à l'autre tout en se surveillant,
c'est-à-dire en faisant montre de ruse, à la
fois, et de méfiance ! Passionnante surtout, parce
que Frisch comme Dürrenmatt nous donnent des notations
précieuses, de première main, sur l'uvre
en cours, leur position politique et leur vision philosophique.
Mais révélatrice, cette correspondance (coupée
de longs silences) l'est aussi à sa manière,
à savoir qu'aussi proches et complices qu'ils paraissent,
sur le plan politique comme sur le plan esthétique,
les deux hommes n'ont de cesse de creuser opiniâtrement
leur propre sillon, c'est-à-dire de prendre, presque
dans chaque lettre, leurs distances l'un par rapport à
l'autre.
Si bien qu'en fin de compte, la correspondance
esquissée au fil des ans, correspondance tantôt
amicale et tantôt ironique, tantôt grave et tantôt
véhémente, tourne au dialogue de sourds. Restent
les uvres de Frisch et Dürrenmatt, parfaitement
singulières, qu'on peut relire aujourd'hui à
la lumière de cet échange passionnant !
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Esther Orner, Autobiographie
de Personne, roman, Métropolis, 1999 |
Histoire de Personne
C'est à une autre forme de correspondance
que nous convie Esther Orner dans son premier roman, au titre
un peu dissuasif, Autobiographie de Personne`. L'auteur, née
en Allemagne de parents juifs polonais, a passé la
guerre en Belgique, puis immigré, à l'âge
de treize ans, en Israël, puis vécu une vingtaine
d'années en France, avant de repartir à Tel-Aviv,
où elle enseigne la traduction.
Ce chassé-croisé à
travers langues et terres, on le retrouve bien sûr dans
ce long roman écrit à la première personne,
qu'on peut lire comme une lettre à la fois silencieuse
et interminable d'une mère à sa fille. "
Je suis arrivée ici, comme on arrive dans ce pays,
à l'aube. Mon enfant ne m'attendait pas. Depuis son
départ, il ne m'avait même pas écrit une
petite lettre, Moi non plus, je ne lui ai pas écrit.
C'était à lui d'écrire. Je recevais des
nouvelles par des amis. Précisément, par ceux
qui m'ont fait venir"
C'est à la fois pour se faire
connaître par son enfant et pour tenter de donner vie
et chair à cette première personne qui tient
la plume, qu'Esther Orner se raconte. Journal intime, confessions,
longue mise au monde d'une femme qui cherche à chaque
pas, à chaque mot, le regard qui la reconnaîtrait,
cette Autobiographie de Personne, malgré ses longueurs,
demeure fascinante par sa force authentique et cette nécessité,
jamais apaisée, d'en passer par les mille et uns détours
de l'écriture.
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Jean-Pierre
Keller, La Galaxie Coca-Cola, Zoé, 1999 |
La Galaxie Coca-Cola
Près de vingt ans plus tard,
les Éditions Zoé reprennent un texte à
la fois polémique et très documenté que
Jean-Pierre Keller a consacré au Coca-Cola***, cette
boisson qui, en un peu plus d'un siècle, est devenue
un mythe. Texte revu et augmenté d'une postface qui
fait le point, aujourd'hui, sur les triomphes (en Russie,
en Chine, au Japon) et les méfaits de ce breuvage d'abord
considéré comme un médicament.
Spécialiste du pop-art, Jean-Pierre
Keller a écrit également sur Tinguely, sur l'avant-garde
et sur le Titanic (dont il scrute, avant le grand film de
Cameron, la trouble nostalgie). Ici, il suit comme à
la trace l'histoire de cette boisson qui ressemble tellement
à celle de la conquête du monde : d'un soda régénérateur
(déposé en 1885 par le Dr Pemberton sous le
nom de French Wine of Coca, idéal nerve and tonic stimulant),
Coca-Cola est devenu un empire commercial qui impose ses règles
et ses désirs aux monde entier, sponsorisant telle
manifestation culturelle par ici ou s'achetant, comme en 1994
à Atlanta, tels Jeux Olympiques par là...
Keller dégage très bien
la logique sournoise (et fascinante, car elle échappe,
au bout du compte, à toute logique) de la grande marque
d'Atlanta qui vise à rien de moins qu'à contrôler
(tout en l'exacerbant) la soif du monde
Jean-Michel Olivier
* Max Frisch et Friedrich Dürrenmatt,
Correspondance, présentée par Peter Rüedi,
Zoé, 1999.
** Esther Orner, Autobiographie de Personne, roman, Métropolis,
1999.
*** Jean-Pierre Keller, La Galaxie Coca-Cola, Zoé,
1999.
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Page créée le 20.11.99
Dernière mise à jour le
20.11.99
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