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Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Sarah Bernhard - Rodolphe Töpffer

  Sarah Bernhard / Ides et Calendes - 2000

Sarah Bernhard, star du théâtre et de la photographie

Une fois n'est pas coutume : le feuilletoniste délaisse ses chers auteurs romands (qui, dans un mois, tiendront salon dans les halles bruyantes de Palexpo, à Genève) pour saluer deux collections de monographies magnifiques, l'une consacrée aux photographes suisses (Photoarchives) et l'autre à l'histoire de la photographie (Photogalerie).

Une double collection, certes, parue chez un important éditeur de Suisse romande (Ides et Calendes), mais dirigée par une seule personne dont il faut saluer tout à la fois l'énergie et le courage : Michèle Auer. C'est à elle qu'on doit l'initiative des quelque 30 volumes parus à ce jour dans ces deux collections.

On ne présente plus Michèle Auer, qui travailla longtemps dans l'édition parisienne avant de venir s'installer, avec son mari Micha, du côté de Genève : quiconque s'intéresse, de près ou de loin, à la photographie, en Suisse comme en Europe, a rencontré cette femme de caractère qui collectionne les images et les appareils de photo, les beaux livres et les œufs de toute sorte.

Immortelle Sarah

C'est grâce à elle qu'on a pu découvrir (ou redécouvrir) les images de la photographe lausannoise Germaine Martin, par exemple, les planches de Jean-Gabriel Eynard, les chambres d'hôtel magnifiques de Jean-Jacques Dicker, la montagne bleue de Jacques Pugin, les photos érotiques de Pierre Keller, pour n'en citer que quelques-uns. C'est à elle que l'on doit aujourd'hui un recueil de photos — la plupart inédites — de la grande Sarah Bernhardt (1844-1923), première star du théâtre aux prises avec la photographie, dont elle signe les notes biographiques, et rassemble les documents d'époque (articles, témoignages, comptes-rendus critiques). Suivant au fil des ans la vie mouvementée de Sarah Bernhardt, l'on apprend combien le destin de la grande comédienne est lié à l'invention de la photographie : non seulement Sarah est née presque en même temps que la photo, mais encore elle a su la première utiliser l'image en général, et son image en particulier. Ainsi n'est-ce sans doute pas un hasard si elle adopta la même devise que l'illustre Nadar : Quand même ! Que l'on retrouve dans ses lettres d'amour, de colère ou d'insultes.

Idolâtrée pour ses rôles, d'une intelligence hors normes, Sarah Bernhardt a su utiliser son image pour construire, année après année, son mythe ou sa statue. Dotée d'une grande beauté, mais aussi d'une soif immense d'indépendance et d'aventure, elle a su mettre en scène sa vie grâce à la photographie. Michèle Auer nous restitue cette mise en scène (la première dans l'histoire du théâtre) avec intelligence et sensibilité.

 

  De l'Art et du Daguerréotype / Ides et Calendes - 2000

Un Töpffer inédit

En même temps que cet hommage à Sarah Bernhardt paraît, dans la collection Photoarchives, un ouvrage que tout amateur de photographie et d'histoire devrait acquérir séance tenante. Il s'agit d'un des premiers textes critiques consacré à la photographie et son auteur n'est pas n'importe qui, puisqu'il s'agit du genevois Rodolphe Töpffer**.

Ce texte, à peu près inconnu du public, est pourtant un chef-d'œuvre, autant qu'une curiosité. Il traite, en précurseur, de l'art photographique, et plus précisément de la question de l'imitation, de l'esthétique et de la ressemblance en photographie. Ecrit en réaction à la publication d'un ouvrage paru en 1941 à Paris, Excursions daguerriennes. Vues et monuments les plus remarquables du globe (reprise dans le volume d'Ides et Calendes) le texte de Töpffer, écrit trois ans après la découverte de Daguerre, extrêmement clair et réfléchi, intitulé fort explicitement De la plaque Daguerre : le corps moins l'âme, nous introduit directement aux problématiques les plus contemporaines sur l'image et sa reproduction.

Abondamment illustré, entre autres par des gravures grinçantes de Daumier, le texte de Töpffer est lui-même suivi par un texte de Constant Puyo, qui le commente et prolonge ses questions. “La photographie ne peut être un art que si elle est en mesure de créer un beau indépendant de la beauté du sujet. (…) Il semble bien, d'ailleurs, qu'on le comprenne. Ne voyons-nous point déjà des photographes d'avant-garde s'attaquer à des pans de murs et à des tuyaux de cheminée ?” Ecrites en 1907, ces lignes de Puyo n'ont pas pris une ride. C'est pourquoi il faut les relire aujourd'hui.

Jean-Michel Olivier

Sarah Bernhardt, par Michèle Auer, collection Photogalerie, Ides et Calendes, Neuchâtel et Paris., 2000.
**De l'Art et du Daguerréotype, par Rodolphe Töpffer et Constant Puyo, Photoarchives, Ides et Calendes, Neuchâtel et Paris, 2000.

Retrouvez les pages du feuilleton littéraire sur le site culturactif.ch avec toute l'actualité culturelle de Suisse, ainsi que sur le site www.jmolivier.ch.

Cet article de Jean-Michel Olivier
a été reproduit avec l'autorisation de la revue SCENES-MAGAZINE
http://www.scenesmagazine.com

 

Page créée le 10.12.02
Dernière mise à jour le 10.12.02

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