Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Noëlle Revaz - Christian Eicher -
Michelle Vigne - Michel Butor
Rapport aux bêtes,
Noëlle Revaz, Gallimard, 2001. |
Avec Noëlle Revaz, nouvelle coqueluche
des magazines people, la
littérature régionaliste a encore de beaux jours
devant elle. Son premier roman, Rapport
aux bêtes*, rassemble en effet tous les clichés
du genre raison pour laquelle, sans doute, il a plu
aux lecteurs d'une grande maison parisienne.
Qu'on en juge : un paysan fruste et
brutal monologue longuement, dans une langue rude et désarticulée,
sur sa vie à la ferme, son épouse malheureuse
(poétiquement prénommée Vulve), leurs
enfants accidentels, la dure vie dans les montagnes valaisannes,
sans oublier l'amour des bêtes, bien sûr. Comme
dans le film d'Yves Yersin, Les
Petites fugues, arrive un beau jour l'ouvrier étranger
( son nom c'est Jorge, mais moi je dis Georges : ici
on n'est pas des étrangers ), qui va faire découvrir
à Vulve, qui comprend que par le corps ,
le chemin du plaisir, et au mari le goût de la vengeance.
Si la langue de Noëlle Revaz intrigue
d'emblée par sa force inventive, une certaine fraîcheur
et son désir de casser la syntaxe, reconnaissons,
hélas, que le style tourne bien vite au procédé,
que l'invention se fait répétitive, et que la
guerre proclamée à la syntaxe devient laborieux
exercice d'écriture. Sans compter que la trame du roman,
de plus en plus mince au fil des pages, se fait inexistante.
Dommage que Noëlle Revaz, au talent
prometteur, s'enlise dans une littérature qui connut
autrefois de beaux jours (mais avec une exigence éthique
: Ramuz, Céline !). On aimerait lire d'elle un texte
moins systématique, moins démonstratif
plus libre et plus personnel
en somme.
Rapport aux bêtes, roman, par Noëlle
Revaz, Gallimard, 2001.
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La Danse de l'insecte,
Christian Eicher, L'Aire, 2001. |
La danse de l'insecte
Même s'il n'est pas achevé
, mais ouvert aux interprétations comme aux silences
du lecteur, La danse des insectes**,
premier roman de Christian Eicher (né en 1968 à
Berne) mérite bien des éloges. Construit comme
une roue aux multiples rayons, il égrène sur
tous les tons possibles les souvenirs les plus anciens, les
plus curieux, les plus révélateurs. Ce qui frappe
d'emblée, c'est l'aisamce avec laquelle Eicher passe
non seulement d'un souvenir à l'autre, mais surtout
d'un style à l'autre. Tantôt loufoque et tantôt
grave, tantôt dantesque et tantôt elliptique,
l'auteur ne cesse de tourner autour d'images obsédantes,
de visages entrevus aussitôt que perdus, de minutes
heureuses ou angoissantes.
Le talent d'Eicher ? Dire les
choses en leur tournant autour pour les séduire,
se les approprier. Il y a quelque chose de fascinant dans
cette roue des souvenirs sans cesse en quête d'équilibre
qui explore la vie, comme à l'aide d'un rétroviseur,
non seulement pour la comprendre, mais peut-être aussi
pour s'en échapper : sortir une fois pour toutes du
cercle enchanté des réminiscences.
La Danse de l'insecte, par Christian Eicher,
L'Aire, 2001.
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Ma route avec
les Indiens d'Amérique du Nord, Michelle Vigne, Ides et calendes,
2001. |
Les derniers Indiens
Avec Michelle Vignes***, nous débordons
du champ de la littérature, puisque cette Française
(née à Reims en 1928) est d'abord photographe.
Celle qui travailla plusieurs années avec Henri Cartier-Bresson,
à Paris, chez Magnum, puis pour l'Unesco et les Nations
Unies, nous donne aujourd'hui un livre de photos bouleversantes
qui retracent la longue lutte des Indiens d'Amérique.
Michelle Vignes a vécu avec eux, s'est ralliée
à leur cause, a participé aux grands mouvements
de résistance du A.I.M. (Mouvement Indien Américain).
Souvenez-vous de l'occupation de 1969 à 1972 de l'île
d'Alcatraz, puis le siège de Wounded Knee !
Ses images en noir et blanc sont un
témoignage à la fois émouvant (par leur
humanité) et terrifiant (par leur détresse)
de ces combats fondamentaux. Elles nous rappellent, chacune
à leur manière, que l'Amérique a bâti
sa richesse et sa suprématie sur l'exclusion du peuple
indien, après qu'il fut exterminé, comme on
sait, tout au long du XIXème siècle. Paru dans
l'excellente collection Photogalerie dirigée
par Michèle Auer, ce livre est d'autant plus indispensable
aujourd'hui que les USA pratiquent, ailleurs, d'autres formes
de génocide.
Ma route avec les Indiens d'Amérique
du Nord, par Michelle Vigne, Ides et calendes, 2001.
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Quarante-trois
artistes avec Michel Butor, Editions Comp'Act, 2002. |
Butor et ses peintres
Changement de registre, encore une
fois, avec le très beau livre que les Editions Comp'Act,
dirigées par l'extraordinaire Henri Poncet, consacrent
à Michel Butor et à ses amis plasticiens****.
On connaît le talent protéiforme de Butor (l'homme
aux mille livres) également doué pour le roman,
l'essai, la chronique
Ce qu'il manquait, c'est la réunion,
en un seul volume, des artistes avec lesquels Butor a travaillé.
Qu'on en juge : Claude Viallat, Jacques
Monory, Olivier Debré, Pierre Alechinsky, Jean-Luc
Parant, Marc Jurt (pour ne citer que les plus célèbres)
forment un ensemble à la fois extrêmement divers
et cohérent. Ce qui fascine Butor, en chaque artiste,
c'est sa singularité. Une singularité qui se
traduit, comme naturellement, par un poème lyrique
et vagabond, d'une haute tenue et d'une puissante inspiration.
Accompagné d'un texte passionnant de Patrick Longuet,
ce livre d'art est aussi un livre d'amour et de mémoire
: en même temps qu'il se laisse imprégner par
les couleurs des autres, Butor remonte à la source
des mots, ornant les uvres qu'il accompagne d'étranges
graffiti-poèmes, tantôt écrits en marge,
tantôt dans le corps même des uvres.
Quarante-trois artistes avec Michel Butor,
Editions Comp'Act, 2002
Jean-Michel Olivier
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Page créée le 28.03.02
Dernière mise à jour le 28.03.02
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