retour à la rubrique
retour page d'accueil


Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Noëlle Revaz, Lydie Salvayre

  Noëlle Revaz

C'est avec impatience qu'on attendait le second roman de la valaisanne Noëlle Revaz (née en 1968). Sept ans après Rapport aux bêtes , rude roman rural, voici donc Efina *, histoire d'amour improbable entre une jeune femme sans emploi et un comédien sur le retour, bégueule, duplice et impuissant.

C'est peu dire que la déception est à la mesure de l'attente, tant au niveau du propos, inconsistant, de la construction (?) que du style, oscillant entre les tournures enfantines et les maniérismes (suppression des points d'interrogation, inversions systématiques, style oral, etc.)

On comprend bien ce qui a pu fasciner l'auteur : décrire une relation « amoureuse » non seulement inaboutie, ou malheureuse, mais aussi inexistante. Tout commence, ici, par un malentendu : Efina retrouve une lettre d'un comédien fameux, T, laissée en souffrance depuis longtemps, et décide de lui écrire. Il lui répond. Ils se revoient. Ils couchent ensemble. C'est un désastre. Ils s'éloignent l'un et l'autre, se rapprochent sporadiquement, se séparent à nouveau. Entre eux, quelque chose à la fois les relie et résiste, obstinément. Elle multiplie les amants ; tous la laissent froide. Il vit entouré de femmes, sa carrière prend un nouvel essor. Il accumule les aventures. Le cinéma s'intéresse à lui. De son côté, Efina se fait faire un enfant, puis se marie avec Raül (!) ; le couple décide de prendre un chien…

La femme crampon

Le roman, bizarrement construit, est fait des lettres — souvent répétitives — qu'échangent les amants improbables (on est loin des Liaisons dangereuses ). Le roman progresse ainsi, cahin caha, sans véritable point fort, ni fil conducteur solide. On sent que l'héroïne se cherche, tout au long du livre, autant qu'elle cherche un homme qui pourrait la révéler à elle-même. Or, bien sûr, le comédien sur le retour ne le peut ou ne le veut pas. Il est flatté par cette groupie, ce « crampon » que rien ne décourage, même pas les lettres d'insultes ou les humiliations. Il reste campé dans son double rôle de comédien et de confident. Il a l'habitude qu'on l'adule. Depuis longtemps et sans raison. Il ne quitte jamais son personnage.
On le voit : Efina ne prend pas, comme on le dit d'une sauce ou d'une mayonnaise. Les intermittences affectives des protagonistes lassent même le lecteur le mieux disposé. Le roman ne progresse pas. Il ne dit rien du trouble amoureux, ni de l'enjeu, central, d'une vraie relation. On reste à jamais prisonnier des faux-semblants. La déception est à la mesure de l'attente.

* Noëlle Revaz, « Efina », roman, Gallimard, 2009.


  Lydie Salvayre


L'amour aveugle

Il y a des livres dont la nécessité s'impose, d'emblée, dès les premières pages. BW **, le dernier livre, au titre étrange, de Lydie Salvayre, est de ceux-là. D'entrée de jeu, le lecteur est happé par un récit haletant, des phrases courtes qui ricochent comme des balles, un ton qui le prend à la gorge. Lydie Salvayre, dont on connaît La Puissance des mouches ** et La Compagnie des spectres ***, se fait le scribe, dans BW , de l'homme qu'elle aime. À la fois pour retranscrire sa pensée et pour le sauver, au double sens du terme.
Derrière ces deux lettres, BW, se cache un homme au destin singulier, Bernard Wallet, qui tâta d'à peu près tous les métiers, fut un grand voyageur et un sportif émérite (sélectionné pour le 800m aux JO de 1968), avant d'entrer dans l'édition. D'abord chez Gallimard, où il sera représentant (en Belgique et en Suisse) ; puis à son propre compte, quand il fondera, en 1997, les éditions Verticales, important découvreur de talents dont la devise était d'être « un centre de ralliement des divergences ».

Le point de départ de ce long monologue (rapporté par Lydie Salvayre, qui en interrompt souvent le fil pour y mettre son grain de sel) est un accident de santé : en 2008, BW est victime d'un grave décollement de rétine, qui nécessitera plusieurs opérations. Pendant près d'un mois, il sera plongé dans le noir, incapable, bien sûr, de lire et d'écrire. Pendant cette traversée de la nuit, BW se confiera, comme jamais, à la femme qu'il aime (et qui l'aime). Il racontera ses voyages, ses exploits sportifs et amoureux (assez discrètement), sa passion pour les livres. Et peut-être surtout pour les nouveaux talents, qu'il aime débusquer et encourager.
Mais le vrai centre du livre — outre l'expérience traumatisante de la cécité — c'est la volonté de partir. Lydie Salvayre découvre que BW est et a toujours été un homme qui part. Toute sa vie, il aura quitté ce qu'il aimait, brusquement, comme sur un coup de tête  : l'athlétisme juste au moment où il fait partie de la sélection française du 800 m, puis l'édition générale. Enfin, sa propre maison d'édition, son enfant, qu'il décide d'abandonner en d'autres mains, découragé par la nouvelle idéologie (du succès à court terme) qui préside au monde de l'édition française. Monde auquel il se sent de plus en plus értanger.
C'est donc l'aveu de cette étrangeté que recueille Lydie Salvayre, qui en apprend tous les jours sur l'homme qu'elle aime. Étranger au monde contemporain, étranger à l'édition, étranger aux mondanités, aux usages, aux bonnes manières. Le récit d'une rupture annoncée (par toute une vie de départs). Un aveu à la fois bouleversant et étonnant. Lydie Salvayre transcrit les paroles de BW de manière brute, sans fioritures, presque sans intervenir. On sent que l'écriture du livre s'est imposée d'elle-même — même si, parfois, on peut regretter l'absence de construction (et certains clichés lourdauds, en particulier sur la Suisse, pays trop tranquille, qui affiche «  les avis de recherche de la bande à Baader même dans les stations d'essence  » !). BW est un beau portrait d'homme en rupture, généreux et contradictoire, furieux et en sursis de vue.

Jean-Michel Olivier

** Lydie Salvayre, « BW », Le Seuil, 2009.
*** Les deux livres de Lydie Salvayre sont publiés au Seuil, dans la collection « Points ».

 

Retrouvez les pages du feuilleton littéraire sur le site culturactif.ch avec toute l'actualité culturelle de Suisse, ainsi que sur le site www.jmolivier.ch.

Cet article de Jean-Michel Olivier
a été reproduit avec l'autorisation de la revue SCENES-MAGAZINE
http://www.scenesmagazine.com

 

Page créée le 12.03.10
Dernière mise à jour le 12.03.10

© "Le Culturactif Suisse" - "Le Service de Presse Suisse"