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Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Corinne Desarzens - Elisabeth Horem - CamPoche

 Corinne Desarzens, Je voudrais être l'herbe de cette prairie et Je suis tout ce que je rencontre, Editions de L'Aire, 2002

L'herbe magique de Corinne Desarzens

Au fil des livres (plus de dix désormais) Corinne Desarzens affine sa plume. Ce qu'elle écrit est inclassable : à mi-chemin de la philosophie (qu'est-ce qu'une araignée ? qu'est-ce que l'herbe ?) et du récit poétique, de l'enquête sur le terrain (chacun de ses livres est un voyage) et de la description quasi médicale d'une réalité tangible (rien de plus matériel que son écriture). Ses deux derniers ouvrages* sont à dévorer d'une traite - avec gourmandise.

L'herbe, tout d'abord, tantôt rouge, comme chez Boris Vian, tantôt sinueuse et mortelle, comme chez Claude Simon, tantôt menaçante ou symbole d'inaccessible, comme chez Nicolas Bouvier, tantôt verte et acide, comme chez Cingria - mais toujours magique.

Enchaînant les chapitres comme on rassemble en bouquet quelques brins d'herbe, Corinne Desarzens nous emmène dans un périple à la fois géographique (elle traverse toute l'Europe en compagnie d'une poignée d'écrivains), philosophique et sensuel. "Avec les escrocs internationaux et les chevaux, l'herbe partage une caractéristique : elle ne dort jamais, ou très peu. L'hiver l'oublie, le printemps la redresse, l'automne lui retire ses sucs." S'interrogeant sur l'herbe, le sens et les sensations qu'elle procure, les bienfaits qu'elle prodigue, Corinne Desarzens s'y vautre avec délectation. Elle passe littéralement au crible les prairies de l'Occident (très belles pages sur le wild West américain) pour en tirer la sève fondamentale. Cette patiente exploration de nos racines - menée un peu à la manière de Francis Ponge, avec un souci maniaque et délicieux du mot juste - s'achève sur une évocation extraordinaire de Charles-Albert Cingria, le plus grand écrivain suisse du XXe siècle. "Ah l'herbe ! Rome fut primitivement un sacrifice et un lieu d'herbe."

Même si elle est toujours plus belle chez le voisin, l'herbe est le point d'ancrage de tous les écrivains, même et surtout s'ils se prétendent déracinés. Elle permet le mélange et la communication avec le substrat primitif et obscur. Elle est le lien perdu avec la mère. L'objet, aussi, de toutes les nostalgies et de tous les désirs régressifs. Corinne Desarzens nous en retrace admirablement la légende. Comme elle retrace, dans un autre livre, paru en même temps*, le destin singulier de l'araignée qui se nourrit de ses rencontres.

 

 Elisabeth Horem, Le Chant du bosco, Editions Bernard Campiche, 2002

Le Chant du bosco

Si Corinne Desarzens est l'écrivain des fugues et des espaces ouverts, Elisabeth Horem, qui publie ce mois-ci Le Chant du bosco**, est l'écrivain de l'exil intérieur et de l'enfermement. Après Le Ring (1994), Congo-Océan (1996) et Le Fil espagnol (1998), Elisabeth Horem nous donne un roman oppressant et obscur.

Ici, c'est nulle part, une dictature sans nom et sans visage qui emprisonne arbitrairement ses citoyens. À partir de cette trame kafkaïenne, Elisabeth Horem construit un récit fort bien mené, d'une écriture serrée et étouffante, hanté de rêves et de fantômes, de souvenirs le plus souvent inventés, sinon impersonnels. On suit avec angoisse les déboires de Vaart et de Sana, tous deux amoureux de la belle Mona. Amoureux malheureux, bien sûr, puisque le premier n'aura jamais droit à ses faveurs, tandis que le second sera exécuté par le régime tyrannique. Mais on reste sur sa faim. Même si l'univers d'Elisabeth Horem a quelque chose à la fois de fascinant et de tragique (on pense aux goulags soviétiques et aux dictatures militaires d'Amérique du Sud), on peine à voir l'enjeu de ce Chant du bosco, où l'air est à ce point rare et étouffant qu'on en sort avec un grand désir d'aller respirer de l'air frais.

 

 CamPoche, Editions Bernard Campiche, 2002

Nouvelle collection de poche

Après l'Âge d'Homme avec Poche Suisse, Zoé avec MiniZoé et L'Aire avec L'Aire bleue, Bernard Campiche lance à son tour une collection de livres de poche***. Le résultat, comme toujours avec l'éditeur d'Orbe, est superbe : texte imprimé sur beau papier, couverture photo plaisante, typographie agréable à l'¦il. De la très belle ouvrageŠ


Les trois premiers titres parus : Mortelle maladie, un roman déjà ancien (1969) d'Anne Cuneo qui traite d'une grossesse à la fois subie et refusée ; La Fiancée d'hiver, un recueil de nouvelles admirablement écrites par Anne-Lise Grobéty en 1986 ; et enfin Demi-sang suisse, le deuxième roman de Jacques-Etienne Bovard (après La Griffe), sorte de jeu de piste ou de fausse enquête policière sous fond de la fameuse " affaire des fiches " qui a secoué la Suisse au début des années 1990. Un texte remarquable tant par sa construction que par son atmosphère étrange, dans lequel Bovard nous transporte avec brio dans l'univers des chevaux, qu'on sent frémir à chaque page. Une grande réussite.

Jean-Michel Olivier

* Je voudrais être l'herbe de cette prairie et Je suis tout ce que je rencontre par Corinne Desarzens, L'Aire, 2002.
** Le Chant du bosco par Elisabeth Horem, Bernard Campiche, 2002.
***Mortelle maladie par Anne Cuneo ; La Fiancée d'hiver par Anne-lise Grobéty ; Demi-sang suisse par Jacques-Etienne Bovard ; CamPoche, Bernard Campiche, 2002.

Retrouvez les pages du feuilleton littéraire sur le site culturactif.ch avec toute l'actualité culturelle de Suisse, ainsi que sur le site www.jmolivier.ch.

Cet article de Jean-Michel Olivier
a été reproduit avec l'autorisation de la revue SCENES-MAGAZINE
http://www.scenesmagazine.com

 

Page créée le 08.01.03
Dernière mise à jour le 08.01.03

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