Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Jean Vuillemier - Jacques Chessex
Écriture et transcendance
Ils sont nés tous les deux en 1934, mais
leurs chemins ont divergé. On connaît bien l'itinéraire
de Jacques Chessex, des premiers textes de poésie parus dans
les années 50 aux romans d'inspiration plus autobiographique
des années 90 "(L'Imitation", "Sosie d'un Saint").
On connaît moins, peut-être, Jean Vuilleumier, dont l'uvre
protéiforme (romans, récits, essais, poèmes en
prose) compte parmi les plus exigeantes de ce pays. Pourtant, entre
ces deux grands écrivains, les points de convergence abondent.
Jean Vuillemier, La
Divergence, Editions L'Age d'Homme, 2002. |
Dans La
Divergence*, Vuilleumier prend prétexte d'un
voyage outre-Atlantique, dans la belle ville de Toronto où
il est invité à recevoir un Prix littéraire,
pour revenir sur ce qui constitue l'un de ses thèmes
de réflexion préférés (depuis
L'Effacement, paru en 1991)
: la tentation de se retirer du monde, dans un couvent ou
en faisant vu de silence, pour interroger Dieu et répondre
à l'énigme de la transcendance.
Faisant alterner le récit (distancié)
et les extraits de son journal intime, Vuilleumier nous invite
à suivre les pas de Pascal Malivert, ancien journaliste
dans un quotidien genevois et aujourd'hui écrivain
à temps plein. Au hasard des rencontres, Malivert,
qui traverse une crise d'infertilité
impuissance à décrire le monde en même
temps que sentiment d'inutilité et d'imposture ,
va retrouver le fil de l'écriture. Mais à quoi
bon écrire ? Par
besoin. Comme s'il m'était nécessaire de transcrire
ce que je vis pour en prévenir la dissolution. C'est
un peu une tentative de prendre forme, de conquérir
une cohérence sur le non-être.
Le charme de Toronto
Ou encore : à quoi bon écrire
dans une civilisation de l'immédiat, du tapage médiatique,
de la tyrannie économique ? Pour affirmer sa divergence,
avance Vuilleumier, son irréductibilité. Même
s'il se nourrit de la réalité comme un vampire
(réalité qu'il transforme toujours en fiction)
l'écrivain nous tend un miroir qui n'est pas un reflet
du réel, mais un révélateur de nos comportements
secrets, et des pièges que recèle le monde.
Avec minutie et sensualité,
Vuilleumier nous restitue l'odeur des rues de Toronto, l'enfilade
des colonnes surmontées de dragons aux yeux multicolores
de Chinatown, les petites boutiques de little Italy et, bien
sûr, l'extraordinaire capharnaüm du restaurant
Honest Ed, lieu mythique de la ville canadienne. Pourtant,
ce n'est pas là que Malivert retrouvera l'inspiration,
mais aux chutes du Niagara, qui véritablement féconderont
son écriture. En même temps que la rencontre
avec le consul de Suisse, Bertrand Ravenel, qui porte en lui
un secret douloureux : affirmant elle aussi sa divergence,
sa fille s'est retirée dans un couvent, abandonnant
le monde et sa famille. Douleur du père et dépression
de la mère. Mais fascination de Malivert pour qui ce
retrait est peut-être le geste le plus noble qui soit.
Le roman se termine sur ces interrogations transcendantales,
thème cher à Vuilleumier, qui mêlent sacrifice
et vocation, silence et don de soi.
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Jacques
Chessex, Transcendance et transgression, Editiions La Bibliothèque
des Arts, 2002. |
La parole de Jacques
Chessex
Il y a plus de vingt ans, Jacques Chessex
s'entretenait avec le journaliste Jérôme Garcin
dans un livre passionnant. C'est une autre journaliste, Geneviève
Bridel, qui interroge aujourd'hui l'écrivain dans un
petit livre passionnant**.
Pourquoi
écrire sur la vie d'un écrivain ? demandait
Marguerite Duras. Ses livres devraient
suffire. Plus qu'à nul autre, cette phrase
semble s'accorder à Jacques Chessex, dont l'uvre
tout entière nous parle de lui. Surtout depuis une
dizaine d'années où les livres qui se suivent
à un rythme soutenu empruntent les chemins de l'autobiographie,
qu'il s'agisse des magnifiques chroniques de L'Imparfait
(Bernard Campiche, 1996) ou du provocateur Monsieur
(Grasset, 2001). À travers tous ses livres, Chessex
se dévoile donc de plus en plus. À quoi bon,
alors, en rajouter ? C'est le talent de Genevièvre
Bridel d'avoir interrogé Chessex en refusant d'ériger
sa statue ou de prêter sa plume à une entreprise
hagiographique. Chessex se livre ici, comme il aime le faire,
à un éclairage quelquefois cru et sans concession
sur ses démons passés (l'alcool, le suicide
de son père) et ses merveilles (ses enfants, sa passion
de la peinture, l'irrésistible appel
de l'uvre en lui). En revisitant sa vie, Geneviève
Bridel n'a pas peur de sonder l'obscur, ni de raviver d'anciennes
blessures. Le seul regret qu'on aît à la lecture
de ces entretiens (où l'on apprend beaucoup sur les
influences de Chessex, son plaisir d'enseigner, l'interrogation
métaphysique qui est au centre de son écriture),
c'est le silence du maître sur la création littéraire
d'aujourd'hui, en Suisse romande et ailleurs
Jean-Michel Olivier
* La Divergence, roman, par Jean Vuilleumier,
L'Âge d'Homme, 2002.
** Jacques Chessex, Transcendance et transgression, entretiens
avec Geneviève Bridel, La Bibliothèque des Arts,
2002.
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Page créée le 05.06.02
Dernière mise à jour le 05.06.02
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