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Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Étienne Barilier - Sandrine Fontaine - Julien Burri

  Étienne Barilier, Nous autres civilisations… Éditions Zoé, 2004

Barilier au secours de Bush

Georges W. Bush peut dormir sur ses deux oreilles : contre la vague d'antiaméricanisme qui déferle sur l'Europe (et le monde entier), il a trouvé un chevalier sans peur et sans reproche pour défendre sa cause, et pourfendre de son Excalibur les renégats qui le traînent dans la boue. Son nom étonnera les lecteurs romands, puisqu'il s'agit d'Étienne Barilier, plus connu pour ses romans et ses essais sur la musique et la littérature que pour la défense des chefs d'État en perdition. Mais soyons justes : son dernier livre, Nous autres civilisations… mérite qu'on le lise de près et qu'on en parle, car il est passionnant d'un bout à l'autre, malgré ses a priori discutables. Tout commence par une déconstruction subtile des divers discours qui ont fleuri aux quatre coins du monde sur le 11 septembre. Barilier les classe en trois catégories : la version spéculaire signée Arundathi Roy ou Luciano Canfora (Ben Laden n'est que le reflet inversé de Bush) ; la version émanatiste, signée Noam Chomski (Ben Laden n'est qu'une émanation des États-Unis, qui sont " le centre noir de tous les maux ") et la version de Jean Baudrillard, que Barilier appelle moniste-animiste (le terrorisme, c'est le système, dont les Twin Towers n'étaient que les incarnations anthropomorphiques). Même si l'actualité (les tortures, viols, meurtres perpétrés en Irak au nom de la Civilisation) donne tort à Barilier, il faut reconnaître que le débat développé dans la première partie du livre est stimulant, malgré quelques naïvetés. La suite également est intéressante, qui aborde la question de l'altérité de l'Islam, du voile et des femmes, de la parole divine, qui interdit toute forme de démocratie tant qu'elle reste intangible. C'est la conclusion forte du livre de Barilier : plutôt que de nous tourner vers La Mecque ou Washington, tournons nos regards vers Athènes, berceau de la philosophie et de la démocratie. Si les événements du 11 septembre nous apprennent quelque chose, c'est justement cela : que la réponse au terrorisme politique ou religieux, c'est la démocratie, le libre arbitre, l'égalité entre les êtres et les sexes. C'est une leçon qui date un peu, sans doute, mais qu'il faut répéter, partout, à chaque instant, sans se lasser.

 

  Sandrine Fontaine, Des Animaux et leurs poètes, Éditions de l'Aire, 2004

Ponge, Éluard et Prévert revisités

Sandrine Fontaine est licenciée en lettres de l'Université de Lausanne et enseigne dans un collège vaudois. Passionnée par les chats, la peinture et la littérature, elle a eu l'excellente idée de revisiter trois poètes majeurs du XXe siècle (Ponge, Éluard et Prévert) qui ont chacun développé un bestiaire fantastique. On se rappelle l'attrait de Ponge, par exemple, pour les mollusques dont il traque le secret (la perle de l'huître…) et qu'il parvient, après mille efforts, à traduire en parole, avec le génie qui est le sien. Son questionnement de l'altérité (l'animal) va de pair avec un questionnement de l'être et du langage. Paul Eluard, quant à lui, préfère les animaux familiers comme le chien, le chat, la vache (dont il glorifie, à travers le lait, les vertus maternelles). Sa poésie interroge, mais surtout imagine et rêve les animaux, dont les images renvoient aux tableaux des grands peintres. Avec Jacques Prévert, les animaux prennent la parole. Ils ne sont ni objets d'étude (Ponge) ni images oniriques (Eluard), mais ils dialoguent librement entre eux, et avec les hommes, pour qui " ils représentent l'innocence ", l'enfance toujours vivante et prompte à se manifester. D'une écriture limpide et accessible, le livre de Sandrine Fontaine est une mine de renseignements. Il réjouira tout particulièrement les collégiens et les enseignants qui y trouveront, comme Ponge dans l'huître délicieuse, un monde à découvrir, à boire et à manger.

 

  Julien Burri, Jusqu'à la transparence, L'Aire, 2004

Burri le transparent

Un mot encore sur un petit livre très personnel et très précieux : le recueil de poèmes Jusqu'à la transparence du jeune écrivain lausannois Julien Burri. J'ai dit déjà tout le bien qu'il faut penser de ses premiers textes, en particulier son Journal à rebours et Je mange un bœuf (L'Aire, 2000 et 2001). Au fil des livres, Burri s'affirme comme l'un des écrivains les plus originaux et subtils de Suisse romande. Son dernier texte porte bien son titre : il s'agit bel et bien, ici, d'une mise à nu des sentiments et des émotions, dans une quête exigeante de la transparence du langage. Il faut aller à l'essentiel, au cœur de l'être, au grain de la peau, aux pulsations du sang. Fascination de la neige " qui n'a pas de racine ", aridité du corps, reflets trompeurs, quête de l'autre qui permettrait d'éviter, peut-être, le morcellement qui menace à chaque instant, comme le froid et le gel. " À deux/ le froid nous mord plus lentement./ Parfois je rêve/ que nous cousons l'hiver avec le printemps. " Un livre d'une très haute tenue.

Jean-Michel Olivier

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Cet article de Jean-Michel Olivier
a été reproduit avec l'autorisation de la revue SCENES-MAGAZINE
http://www.scenesmagazine.com

 

Page créée le 26.05.04
Dernière mise à jour le 26.05.04

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