Le second souffle , de Myriam Donzelot
Ecrire comme on boxe
Pour ceux qui suivent régulièrement
la production littéraire de Suisse romande, Myriam
Donzelot n'est pas une inconnue. Après des études
de linguistique et de psychologie à Genève,
cette jeune femme a publié deux livres au titre énigmatique,
"Libenter" (1991) et "Quatuor encordé"
(1993) aux Editions Eliane Vernay. Ayant décidé
de faire le grand saut, c'est-à-dire de tenter sa
chance à Paris, elle publie aujourd'hui "Le
Second souffle"*, un récit haletant et nerveux,
qui tourne tout entier autour de la boxe, aux Editions de
l'Harmattan.
Experte en récits inclassables
(ses deux premiers textes sont à la frontière
du récit, de la poésie et du roman), Myriam
Donzelot n'avait pourtant aucune attirance particulière
pour la boxe : il a suffi qu'un soir, à la télévision,
elle assiste à un combat de lourds-légers, titre
mondial en jeu, pour qu'un déclic se fasse en elle
écho lointain, sans doute, d'un souvenir d'enfance
et qu'elle se lance, à bras-le-corps, dans un
récit musclé, plein de sueur et de sang, qui
met en scène la boxe comme une métaphore de
la vie.
Un trio amoureux
Si, dans un premier temps, elle a lu
tout ce qu'elle a trouvé sur la boxe (dont le fameux
livre de Joyce Carol Oates, De
la boxe**), elle n'a pas tardé à se lancer
dans l'écriture d'un texte qui, selon ses propres mots,
s'est écrit de lui-même, d'une seule traite,
au cours de l'été 1999. Et l'on sent cet élan
vigoureux, comme le signe d'une vraie nécessité,
dans les pages du Second Souffle.
De quoi s'agit-il ? Des existences
croisées de trois personnages que rien, au demeurant,
ne prédispose à se rencontrer un jour. Il y
a d'abord Akim, le boxeur mutique et gardien de nuit ; il
y a ensuite sa mère, au nom explosif de Shaadiah Boum,
une femme originaire de Marrakech et qui joue les danseuses
orientales dans des cabarets minables ; il y a enfin Oliva,
une jeune femme amoureuse d'Akim, qui cherche dans l'amour
un mélange de sensualité et de douleur, de larmes
et de consolation.
Au fil de pages extrêmement nerveuses,
alternant la description de combats sans pitié et la
préparation, tant psychique que physique, du combat
à venir, Myriam Donzelot tisse ensemble les voix de
son improbable trio, chacune étant liée aux
deux autres par des liens forts et indissolubles. Son style
précis et haletant, ses phrases brèves et sèches,
donnent au récit un souffle qui reste tendu jusqu'à
la fin.
L'autre à abattre
On l'aura compris : ce n'est pas un
livre de plus sur la boxe et les ravages de la violence. Mais
plutôt une réflexion sur l'autre
: l'autre est tous les autres, qu'il aurait fallu et
qu'il faudra abattre, caresser, attendre. Les absents. Les
chiens hurleurs. L'autre est l'absence de toutes les douceurs
que tu ne regrettes pas. Ni de ton dard, ni de ton miel, pourrais-tu
penser. Tu ne penses pas. Tu boxes. Une étreinte déchirante
habillée de gants rouges.
Myriam Donzelot, comme son personnage
principal, est constamment à la limite de la rupture,
entre la vie et la mort, et au-delà de la fatigue,
dans l'écriture comme dans la boxe, où l'homme
cherche son second souffle, celui qu'on garde pour finir le
combat. Celui qui sauve la vie et efface la douleur : La
lumière les cris, la pensée qui se réveille
et avec elle la douleur. Est-ce la douleur qui réveille
la pensée ou l'inverse. S'il a perdu c'est son amer
ego qui pleure, des éclats de pierre lunaire. Il faut
jouer. Etreindre l'autre.
Cet au-delà de la douleur, ce
second souffle que recherche Akim, c'est aussi ce qu'Oliva
désire, mais autrement, dans le rituel intime et violent
de ses étreintes nocturnes. C'est le prix mystérieux
qu'elle doit payer, sans doute, pour accéder à
cette autre dimension de l'amour qu'elle recherche, à
corps perdu, sans le savoir. Au-delà du plaisir et
des cris, au-delà de la nuit.
Même s'il comporte des maladresses,
surtout au niveau de la construction, le troisième
livre de Myriam Donzelot frappe juste et fort. Son écriture,
véritablement singulière, à la fois douce
et directe, sensuelle et physique, est l'une des plus intéressantes
qu'il nous ait été donné de lire depuis
longtemps. Et l'on se réjouit déjà du
prochain texte que cet auteur rare et discret nous donnera.
Jean-Michel Olivier
* Myriam Donzelot, Le Second souffle,
L'Harmattan, 2000.
** Joyce Carol Oates, De la boxe, Stock, 1988.
Retrouvez les pages du feuilleton littéraire
sur le site culturactif.ch avec toute l'actualité culturelle
de Suisse, ainsi que sur le site www.jmolivier.ch.
Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01
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