Destins de femmes
Loin des sentiers battus, depuis près
de vingt ans, Bernadette Richard poursuit une oeuvre exigeante
et solitaire qui mélange le roman, la nouvelle, le
théâtre et les préfaces consacrées
aux peintres qu'elle aime (Minala, Luc Marelli, Francine Mury).
Après ses Nouvelles égyptiennes
(1999) et un roman initiatique fort bien construit, Et
si l'ailleurs était nulle part, cette écrivaine
nomade, " qui vit un peu en France, un peu en Suisse,
le reste ailleurs ", nous donne un beau roman sur l'amitié
féminine et la quête éperdue de liberté,
Femmes de sable.
C'est un livre étrange et passionnant,
qui se présente comme un triptyque, et dont chaque
chapitre porte le nom d'une femme : Maha et Julie, Shagara,
Samar. Mais davantage qu'une galerie de portraits (où
Bernadette Richard excelle, d'ailleurs, par sa plume acérée),
ce roman est l'histoire de plusieurs amitiés. Julie
est photographe, Maha traductrice, Shagara potière
et Samar écrit de la poésie. Toutes issues d'horizons
disparates (sauf Julie, la Parisienne, dont on sait peu de
choses), elles se sont battues contre les lois patriarcales
de leur famille, ont quitté mari, père et parfois
enfant pour aller jusqu'au bout de leur liberté.
C'est au Caire, ville depuis longtemps
décrite et fantasmée par Bernadette Richard,
que le roman se joue, entre les quartiers populaires de la
mégapole, les charmes d'Alexandrie toute proche et
la fascination (ancienne, profonde, absolue) du désert.
Julie retrouve Maha, puis Shagara, puis enfin Samar qui vient
encore une fois de prendre la fuite. Au fil
des rencontres, Bernadette Richard dessine avec beaucoup de
justesse la complicité qui lie les quatre étrangères,
unies comme les doigts de la main dans leur révolte,
leur désir d'absolu et leur totale franchise.
L'amitié est le lieu à
la fois de la confidence et du combat (et la vie d'une femme
égyptienne est un combat de chaque jour). Soudées
par leur complicité, les quatre femmes trouvent ici
la force d'assumer leur destin singulier. Car chacune est
en rupture de ban, pourrait-on dire, fâchée avec
les hommes, la société, l'ordre des choses,
la tradition ou la morale bourgeoise. Même si leur destin
est fragile (n'oublions pas qu'elles sont toutes des Femmes
de sable), Bernadette Richard dessine le lieu d'une amitié
rêvée qui permet de concilier (ou de réconcilier)
le bonheur et la lutte, l'exigence personnelle et l'amour
de l'autre, la douleur des séparations et la joie des
retrouvailles. Un très beau texte.
Jean-Michel Olivier
* Femmes de sable, Bernadette Richard,
Editions de L'Aire, 2002.
Retrouvez les pages du feuilleton littéraire
sur le site culturactif.ch avec toute l'actualité culturelle
de Suisse, ainsi que sur le site www.jmolivier.ch.
Page créée le 24.10.02
Dernière mise à jour le 24.10.02
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