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Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
François Nourissier - Jacques Chessex - Ginette Moussa Cantona - Françoise Baud et Éric Christe

  « Eau-de-feu » de François Nourissier, Gallimard, 2008.


Une femme et un homme qui s'aiment forment un couple. C'est bien à tort, pourtant, qu'ils croient ne former qu'un. Souvent, une foule d'intrus s'invitent dans la relation amoureuse, sans y être conviés, et provoquent ravages et tempêtes.

C'est le sens du récit intense et sans fard que François Nourissier nous propose avec Eau-de-feu *. Sous des masques transparents, Nourissier nous parle d'un couple lié par la passion de la peinture et de l'écriture. Tandis que lui écrit, elle, Reine, peint, des toiles de plus en plus tourmentées, hantées par les fantômes d'Auschwitz, qui plongent au plus profond du désespoir humain. Le couple, à ses débuts, s'épaule et se stimule. Chacun semble profiter à merveille de l'énergie créatrice de l'autre. Puis, l'alcool s'invite dans cet amour qui semble sans limite. Et peu à peu étend ses ravages. Il ne s'agit pas, ici, comme on dit pudiquement, d'un « problème d'alcool », mais bien d'une lente destruction où, dès 1994, «  l'ivrognerie, la vraie, brutale, rapide, crée un décor et des comportements nouveaux  ».

Si Nourissier s'interroge, c'est à la fois pour chercher à comprendre l'origine de cette souffrance que Reine noie dans l'alcool et pour tenter de partager la douleur de sa femme. Comme à son habitude, ce grand styliste qu'est Nourissier ne triche pas : il traite l'effondrement de Reine avec lucidité, de la même manière qu'il traite son propre vieillissement, ses ruses et ses lâchetés, la maladie de Parkinson qui le ronge. Dans cette suite de tableaux extraordinairement vivants, il rend hommage à sa compagne, en même temps qu'il déplore sa propre impuissance à la sauver.

 

  « Le simple préserve l'énigme » de Jacques Chessex, Gallimard, 2008.

L'amitié de Chessex

Il faut lire, en même temps que le récit de Nourissier, le livre que Jacques Chessex consacre à son ami écrivain. Cela s'appelle Le simple préserve l'énigme **. Chessex y raconte la relation à la fois amicale et complice, tissée d'admiration réciproque, qui le lie, depuis presque cinquante ans, à François Nourissier. « J'ai vingt-six ans, lui trente-trois. À l'époque il est long, maigre, souple, rapide, rieur et même moqueur. Le teint coloré, tirant sur le carmin en fin de repas, le sourire inquiété d'une petite cassure à une incisive.
Quarante-huit ans d'amitié sont nés là, je veux dire de mutuelle curiosité, d'histoires de livres, d'enfants, de maisons, de séparations, dans l'exigence légèrement consentie d'une communauté de sentiments sur nos lieux, nos origines, notre proximité — une totale indépendance des esprits et des mouvements. L'un et l'autre sachant ce qu'écrire pèse de silence, de travail contre soi et le monde, et d'exposition aux coups.
 » On y découvre un Chessex généreux et fidèle, présent dans les moments de joie comme de douleur, qui donne dans cette belle amitié autant qu'il reçoit.

 

  « Jean-Claude Fontanet : architecte de la douleur » de Ginette Moussa Cantona, essai, L'Âge d'Homme, 2008.
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Relire Fontanet

Il est des écrivains, en Suisse romande comme ailleurs, très injustement méconnus, voire oubliés. Jean-Claude Fontanet (né à Genève en 1925) en fait partie. La plupart de ses œuvres, reprises dans la collection Poche Suisse, comme Mater dolorosa, Printemps de beauté ou L'Effritement , ont marqué, pourtant, la vie littéraire de ce pays. Les personnages de Fontanet, vulnérables, pétris d'angoisse et de culpabilité, mais tous hantés par un désir jamais assouvi d'authenticité, sont rachetés par l'amour de la femme, souveraine médiatrice, qui les aide à accepter le mal et la perte, sous toutes leurs formes. Un livre passionnant, dû à la plume de Ginette Moussa Cantona, ancienne professeur au Collège Calvin, aide à nous replonger dans cette œuvre sombre, mais aussi éclairante. Jean-Claude Fontanet : architecte de la douleur *** est une étude extrêmement fouillée, complète, intelligente, empathique, qui permet de resituer l'importance de l'œuvre de Fontanet dans la littérature romande et de lui rendre la place qu'elle mérite : l'une des premières.

 

  « Thomas Hardy, cent poèmes » choisis et traduits par Françoise Baud et Éric Christen, anthologie bilingue, L'Aire, 2008.

Thomas Hardy revisité

C'est un livre imposant, mais indispensable, que nous proposent, aux éditions de l'Aire, Françoise Baud et Éric Christen, Thomas Hardy, cent poèmes ****. On connaît Françoise Baud, qui enseigna longtemps l'anglais aux collèges Sismondi et de Saussure ; de même qu'Éric Christen, enseignant et formateur. L'ouvrage qu'ils ont écrit à quatre mains, sous la forme d'une anthologie bilingue, tant par ses commentaires que par ses traductions, mérite tous les éloges. D'abord parce qu'il nous permet de redécouvrir l'un des plus grands écrivains anglais, Thomas Hardy (1840-1928), auteur, entre autres, de Tess d'Urbervilles et de Jude The Obscure . On connaissait (bien mal) le romancier, beaucoup attaqué, en son temps, par les critiques et le clergé. Bien qu'ayant toujours pratiqué la poésie, c'est seulement vers la fin du XIXe siècle que paraît son premier recueil de poèmes, Wessex poems .
Grand explorateur du temps et de la mémoire, poète visionnaire et empathique, Hardy développe dans ses poèmes une réflexion philosophique qui le rapproche d'un Baudelaire ou d'un Mallarmé.
Illustré de belles photographies, l'ouvrage de Françoise Baud et Éric Christen est accompagné, en outre, d'un CD proposant un récital des poèmes de Hardy en français par Maulde Coutau. Subtilement traduite, malgré les nombreux pièges sémantiques, la poésie de Thomas Hardy nous revient, musicale, tantôt grave ou allègre, comme un présent qu'il faut goûter et (faire) partager !

Jean-Michel Olivier

* « Eau-de-feu » de François Nourissier, Gallimard, 2008.
** « Le simple préserve l'énigme » de Jacques Chessex, Gallimard, 2008.
*** « Jean-Claude Fontanet : architecte de la douleur » de Ginette Moussa Cantona, essai, L'Âge d'Homme, 2008.
**** « Thomas Hardy, cent poèmes » choisis et traduits par Françoise Baud et Éric Christen, anthologie bilingue, L'Aire, 2008.

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Cet article de Jean-Michel Olivier
a été reproduit avec l'autorisation de la revue SCENES-MAGAZINE
http://www.scenesmagazine.com

 

Page créée le 23.01.09
Dernière mise à jour le 23.01.09

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