Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Jean-Louis Kuffer - Jean-François
Duval
Jean-Louis Kuffer, L'Ambassade
du papillon, Bernard Campiche, 2000 |
Kuffer à cur ouvert
Monté en épingle par
certains (l'Hebdo) qui n'y ont vu qu'une occasion de polémique
supplémentaire (et donc de tirage intéressant)
et passé sous silence par d'autres (Le Temps) effrayés
par sa franchise, "L'Ambassade du Papillon"* de
Jean-Louis Kuffer aura marqué l'édition suisse
romande en ce début de millénaire.
De quoi s'agit-il ? Des carnets intimes
d'un écrivain qui cherche dans la langue sa propre
voie, sans jamais fuir, ni tricher, mais aussi d'un roman
dicté par la vie qui va, imprévisible, aveuglante,
impérieuse. Il fallait du courage à Jean-Louis
Kuffer pour nous faire pénétrer ici dans ses
chantiers secrets (projets de livres, fragments poétiques,
épiphanies) en évoquant au jour le jour toutes
les difficultés du métier d'écrivain,
son ivresse et ses doutes. C'est ainsi qu'on peut suivre pas
à pas l'écriture des derniers livres Kuffer
les questions de composition, de style, de ton, les espoirs
et les déceptions que la publication de ces ouvrages
a éveillés chez lui. C'est à la fois
très riche et éclairant sur les livres parus
et tombés, pour certains, dans une indifférence
qui ne fait pas honneur à la critique de ce pays (on
pense ici au Viol de l'Ange,
foisonnant roman virtuel paru en 1997).
Figures contrastées
L'autre versant de ces carnets, qui
couvrent sept années de la vie de l'auteur (de 1993
à 1999), c'est bien sûr le réseau de rencontres,
principalement littéraires, qu'ils décrivent
avec une franchise et quelquefois une dureté courageuse.
Plusieurs figures émergent de ces pages : figure de
Vladimir Dimitrijevic d'abord, qu'on ne présente plus
en Suisse romande, et qui, longtemps, encouragea Kuffer à
écrire, lui apportant estime et amitié, comme
une sorte de mentor : la " rupture " dans leurs
relations marque d'une ombre noire toute la première
partie de L'Ambassade du Papillon.
Figure de Jacques Chessex, ensuite, surnommé ironiquement
Maître Jacques, qui tourne autour de Kuffer pour mieux
l'influencer ou le manipuler, tantôt flatteur et tantôt
mordant : dans le portrait qu'il fait de cette gloire régionale,
Kuffer démontre de vrais talents de satiriste (ce qu'ici
on ne pardonne pas). Figures de François, un jeune
peintre parisien avec qui Kuffer se lie d'amitié, et
qui bien vite apparaît comme un fils spirituel. Figure
de Marius Daniel Popescu, un poète roumain, dont la
rencontre donne à la fin de ces carnets un surcroît
d'énergie et d'espérance. Figure, enfin, de
" sa bonne amie ", source d'émerveillement
comme de renaissance, d'amour et d'attachement au monde.
Peu de gens, sans doute, pardonneront
à Kuffer sa franchise et son impudeur (car plus d'une
fois, dans le livre, il se met littéralement à
nu). Il faut pourtant lui rendre grâce d'avoir donné,
avec son Ambassade du Papillon,
un tableau à la fois très précis et très
intime de la littérature de ce pays, beaucoup plus
riche, vivante, intempestive, inattendue, qu'on essaie de
nous faire croire.
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Jean-François
Duval, Boston Blues, Phébus, 2000 |
Le Blues de Duval
Il y a quelques mois, nous avions parlé
du livre que Jean-François Duval avait consacré
à Charles Bukowski, dernier géant de la Beat
Generation rencontré en Californie dans une soirée
quelque peu alcoolisée. Avec
Boston Blues**, son dernier livre, ce grand voyageur
retrouve l'atmosphère glauque des bars, son précieux
whisky (qui marque même la tranche du livre !), les
rencontres d'un soir ou d'une nuit, les confidences sans fin.
Comme Nicolas Bouvier, son saint-patron
littéraire, Duval s'est toujours senti à l'étroit
dans son pays. Il n'est bien qu'ailleurs : sur les routes,
dans les trains, les halls d'aéroport, les sentiers
de montagne. Il se raconte ici, dans un bar de Boston, à
un personnage qu'on ne pipe pas mot, mais qui sait écouter.
C'est une suite de portraits d'étrangères (Liza,
la petite Tatare, Lhamo la Thibétaine, Nava l'israélienne
)
finement ciselés, des rencontres d'un soir ou de quelques
jours, des occasions pour l'écrivain-voyageur de s'ouvrir
à l'inconnu, d'atteindre aussi à une dimension
autre de l'existence (car les femmes, pour Duval, sont des
intercesseurs) qu'il recherche sans cesse..
Dans chaque endroit, donc, une femme
inconnue, sorte de génie
du lieu dépositaire des secrets de son peuple.
Toujours curieux de l'autre, passionné de rencontres,
Duval se cherche en ces terres étrangères où
il avoue "être chez
lui", tel Ulysse parcourant le vaste monde pour
mieux le raconter (à Télémaque ou Matteo)
et en extraire les secrets de son âme.
Un très beau livre, furtif et
sensuel, qui fait un sort, comme le disait Bouvier, aux cendres
vives de l'expérience
Jean-Michel Olivier
** Jean-François Duval, Boston
Blues, Phébus, 2000.
* Jean-Louis Kuffer, L'Ambassade du papillon, Bernard Campiche,
2000.
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Page créée le 25.06.00
Dernière mise à jour le 25.06.00
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