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Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Richard Aeschlimann - Dominique Noguez

 Richard Aeschlimann, L’éternité d’un jour, L’Âge d’Homme, 1999.

La pensée incorrecte

Peintre, dessinateur, galeriste à Lausanne, Richard Aeschlimann est un écrivain redoutable. Avec lui, pas de clichés, ni de langue de bois : tout ce qui sort de sa plume a la fraîcheur d’une pensée originale, résolument contraire à l’air du temps. Son neuvième livre, "L’éternité d’un jour"*, par exemple, est un livre extraordinairement neuf : une sorte de carnet de bord où l’artiste consigne ses "impressions de voyageur amnésique de la vie".

Glanées au fil du temps, ces réflexions, qui se présentent comme une suite d’aphorismes, constituent peu à peu une philosophie originale, qui déboucherait à la fois sur une éthique et une esthétique. Une esthétique souvent imprégnée d’ironie, dans laquelle, " aussi profondes que soient ses réflexions, c’est toujours à la surface qu’on se noie ".

Journal d’un créateur qui parfois doute de ses talents, ou quelquefois (c’est pire encore) en est trop convaincu, cette Éternité d’un jour est une mine passionnante dans laquelle l’artiste, dirait-on, travaille à ciel ouvert, cherche, creuse la langue, interroge la matière, pousse également la logique jusque dans ses derniers retranchements : " pour un seul et même trajet, il existe au minimum deux réalités : l’aller et le retour, deux situations totalement différentes ".

L’humour, comme souvent, est une manière polie d’échapper au désespoir, ou plutôt (car Aeschlimann n’est jamais désespéré) à la nuit qui guette tout artiste, qu’elle s’appelle folie, maladie ou vieillissement. Il l’aide aussi à saisir ces bribes d’éternité - petits flashes de pensée, jet de couleur, sensation brusque d’être en accord avec le monde - qui ponctuent l’existence, sans que nous en ayons conscience, et souvent nous aveuglent, en même temps qu’elles nous ravissent.

 

 Dominique Noguez, Le grantécrivain, Gallimard, 1999.

Avec Dominique Noguez (Prix Femina 1997 pour son magnifique roman, L’Amour noir), on reste dans les eaux profondes de l’écriture. Cet auteur singulier s’interroge ici sur la place et la fonction de l’écrivain dans la société de spectacle qui est la nôtre.

Partant de la figure - mi-tragique, mi-comique - du grantécrivain** (figure typiquement française représentée, naguère, par Sartre, Camus, Gide ou Malraux), Noguez analyse les avatars de l’écrivain devenu (malgré lui ?) bête de foire, tartuffe médiatique ou plus souvent encore alibi culturel (le système du spectacle ne consacrant, bien entendu, que ceux qui sont inoffensifs).

Examinant la brusque disparition de la voix de l’écrivain, il s’interroge enfin sur la place du français dans le système glocal qui est le nôtre, système entièrement dominé par l’anglais (non celui de Shakespeare, bien sûr, mais le jargon de 500 mots qui l’a supplanté) et propose diverses formes de résistance. Pour que cette langue menacée de mort par la bêtise de ses prétendues élites renaisse, à l’égal du phénix, à chaque fois plus vivante et plus forte.

 

Jean-Michel Olivier

* Richard Aeschlimann, L’éternité d’un jour, L’Âge d’Homme, 1999.
** Dominique Noguez, Le grantécrivain, Gallimard, 1999.
*** Maurice Chappaz, Partir à vingt ans, La Joie de Lire, 1999.

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Cet article de Jean-Michel Olivier
a été reproduit avec l'autorisation de la revue SCENES-MAGAZINE
http://www.scenesmagazine.com

 

Page créée le 15.04.00
Dernière mise à jour le 15.04.00

 

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