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Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Serge Bimpage - Vincent Philippe

  Serge Bimpage, Sonia ou l’empreinte de l’amour, roman, L’Aire, 1999.

Polar métaphysique

Méfiez-vous de Serge Bimpage ! Ce diable d’homme, que les lecteurs de La Tribune de Genève connaissent bien, a plus d’un tour dans son sac. Enquêteur, reporter au long cours, passionné de sciences humaines, il nous livre aujourd’hui trois autres facettes de son talent.

  • Un polar haletant, tout d’abord, Sonia ou l’empreinte de l’amour*, qui s’inscrit dans la lignée des enquêtes métaphysiques d’un Dürrenmatt ou d’un Frisch ;

  • un magnifique livre d’images ensuite, Les Visiteurs de la Suisse (1945-1965)** inspiré par les photographies de Jean-Pierre Grisel ;

  • un recueil de portraits***, enfin, dédié à Michel Baettig (l’ami aux multiples talents et à l’énergie inépuisable) qui permet de faire mieux connaissance avec diverses personnalités genevoises (de l’artiste Marc Jurt au comédien Jacques Michel, en passant par Frank Fredenrich, fondateur de SCENES Magazine).

Une double identité

Sonia Stiller ou Sonia Kaufmann ? Le roman de Bimpage s’ouvre sur une arrestation, qui pourrait être un gag, mais aussi une terrible méprise. Est-ce bien elle qu’on recherche ? Est-ce bien elle qu’on arrête ? Sonia au double visage, " côté diurne, c’est un mariage de soleil et d’hortensias ; côté nocturne, l’atmosphère ouatée du songe ". Sonia qui, peu à peu, s’est construit une planète, comme le Petit Prince, qui n’appartient qu’à elle, et que personne ne lui prendra…

Mais impossible, bien sûr, de fuir le monde, même en vivant dans ses marges (Sonia vit dans une communauté de squatters dont Bimpage restitue bien le charme et les contradictions). La société rattrape toujours ceux qui rêvent de lui échapper. Bien malgré elle (mais le hasard, surtout dans les romans policiers, n’existe pas) la jeune femme va se trouver mêlée à une affaire qui la dépasse, et va bouleverser sa vie.

C’est Max, d’abord, un journaliste un brin désabusé, qui vient l’interviewer au squatt, Max dont elle tombe amoureuse et que bientôt, dans d’obscures circonstances, on trouvera " suicidé " chez lui. Sonia va alors reprendre son enquête, à la fois difficile et dangereuse, qui la mènera dans les milieux médicaux et politiques.

De quelle affaire s’agit-il ? Trouvant une place dans un laboratoire d’analyse génétique, Sonia pourra enfin découvrir le secret (mortel) de Max : un réseau de surveillance intime des individus (c’est le rêve du Rhino, Big Brother de la police genevoise) reposant sur l’analyse génétique de chaque citoyen, dont les caractéristiques (à la fois physiques et psychiques) sont fichées ad aeternam.

Comme le hasard n’existe pas, la belle Sonia, mettant au jour un important trafic d’empreintes génétiques, découvrira également le secret de son nom — c’est-à-dire de son père. Alors Sonia Kauffmann ou bien Stiller ? Il faut lire le polar haletant, plein de surprises, d’inventions drôles et de saillies, de Serge Bimpage pour connaître le fin mot de l’histoire. L’enquête est rondement menée et cette empreinte de l’amour ouvre sur des abîmes métaphysiques (l’identité, le destin, le faux secret médical).

 

  Vincent Philippe, Le Silence d’Ilona, récit, Bernard Campiche éditeur, 1999.

Le Silence d’Ilona de Vincent Philippe

Sous ce titre mystérieux, Vincent Philippe, correspondant à Paris de 24Heures et La Tribune de Genève, nous propose lui aussi une enquête, non sous la forme d’un roman policier " décalé " comme Serge Bimpage, mais d’un récit dédoublé (car le héros du livre, Thomas, s’avère en fin de compte le narrateur lui-même, qui pose en quelque sorte son masque).

Tout commence, chez Vincent Philippe, par des photographies qu’il faut interroger. Qui est cette Ilona, la mère hongroise de Thomas, et quelle est son histoire ? Mettant bout à bout les images, comme les pièces dispersées d’un grand puzzle, Thomas interroge le passé, le recompose, lui donne un sens qui jusqu’ici manquait à son histoire. Cette minutieuse enquête lui fera traverser l’Europe, afin de donner forme à cette figure — la muette Ilona — qui se dérobe. Il va croiser la route d’une amie de sa mère, Cornelia, et tomber amoureux de la fille de celle-ci. Il va interroger sa lointaine famille hongroise.

Mais tout, en fin de compte, le renvoie à l’histoire de sa mère — c’est-à-dire à sa propre histoire. Qui tourne tout entière autour d’un secret indicible : Ilona était juive et condamnée, pour protéger les siens comme pour se protéger elle-même, à garder le silence.

Explorant ce silence, Vincent Philippe revisite à son tour les heures glorieuses et moins glorieuses de la Suisse pendant la drôle de guerre : les réfugiés repoussés aux frontières, la peur latente des Juifs en Suisse, les lingots d’or qui transitent par la Suisse jusqu’à la fin de la guerre.

Comment exorciser le silence ? Et mieux comprendre, après coup, une mère longtemps murée dans son secret ? Vincent Philippe, dans une langue simple et précise, nous montre le chemin, en nous faisant entendre, à sa manière, qu’il n’est jamais trop tard pour éclairer sa propre histoire.

Jean-Michel Olivier

* Serge Bimpage, Sonia ou l’empreinte de l’amour, roman, L’Aire, 1999.
** Serge Bimpage, Les Visiteurs de la Suisse (1945-1965), Slatkine, 1999.
*** Serge Bimpage, Ceux qui font Genève, Slatkine, 1999.
****Vincent Philippe, Le Silence d’Ilona, récit, Bernard Campiche éditeur, 1999.

Retrouvez les pages du feuilleton littéraire sur le site culturactif.ch avec toute l'actualité culturelle de Suisse, ainsi que sur le site www.jmolivier.ch.

Cet article de Jean-Michel Olivier
a été reproduit avec l'autorisation de la revue SCENES-MAGAZINE
http://www.scenesmagazine.com

 

Page créée le 24.02.03
Dernière mise à jour le 24.02.03

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