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Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Jean-Michel Olivier: Lauréat du prix artistique de la Ville de Nyon

  Entretien avec Jean-Michel Olivier

Les fantômes de l’amour

Délire fusionnel, quête de l'amour parfait, contradictions et excès de la nature humaine : il y a tout cela dans le dernier roman de Jean-Michel Olivier, " L'Amour fantôme "*, qui sait prendre des libertés avec les conventions et gratter là où ça fait mal. Entretien.

Frank Fredenrich — Entre une mère vampire, une hippie révoltée, une artiste morbide et une tenniswoman frigide, on ne peut pas dire que les femmes de ce roman soient très attractives !

Jean-Michel Olivier — La mère est un de mes thèmes favoris. Dans La mémoire engloutie**, elle exerce une profonde fascination sur le personnage principal, Simon, toujours hanté par les chansons que sa mère lui chantait. Ensuite, dans Le Voyage en hiver***, c’est grâce à elle, la mère disparue, que le héros reconstruit son histoire. Mais dans L'Amour fantôme, j’ai voulu changer de perspective et explorer la face obscure de l’amour maternel, que j’appellerai l’amour noir : comment une mère, par angoisse ou amour excessif, en vient à dévorer le fils qu’elle a elle-même mis au monde. Dans la mythologie classique comme dans le cinéma (je pense aux films de Woody Allen ou de Fellini) les figures de la mère dévorante ne manquent pas. Curieusement ce thème est peu traité dans la littérature. Les trois autres femmes du livre sont à l’image de leur époque. Lorsque Colin rencontre Rose, en 1969, dans ce que j'appelle l'âge végétal, amour rime avec révolte et trouve son point de fuite dans l’engagement politique. Dix ans plus tard, pendant l’âge animal, l’amour rime avec la mort et l’exploration physique des limites : c'est là que Mona et Colin se rencontreront. Enfin, dans l'âge minéral, le corps et le désir sexuel sont effacés au profit du " développement personnel " et de l’idéologie new age — ce qui donne, d’un côté, l’attrait pour les philosophies orientales (la pensée zen, par exemple, ou le bouddhisme) et, de l’autre, sur le versant tragique, le massacre de l’OTS.

— Le principal représentant de la gent masculine, Colin, est un être falot, complètement à la merci des femmes, n’ayant aucun libre-arbitre. Pourquoi ce choix ?

— J’aime les héros qui cherchent leur chemin, qui se construisent (et se détruisent) dans l’expérience amoureuse ! Les distraits, les égarés, les somnambules. Je pense que l'essentiel de ce que nous vivons nous reste inaccessible. Pour échapper à la tyrannie maternelle, Colin se jette dans une frénésie de rencontres. Rose, puis Mona, puis Neige l’initient aux trois âges de l’amour : autant de flammes qui éclairent son chemin, le brûlent ou le réchauffent. C'est grâce à elles — comme Frédéric Moreau dans L’Éducation sentimentale — qu'il se découvre enfin…

— N’est-il pas difficile pour un romancier de caractériser ses personnages par ce qu’ils disent ou ce qu’ils font, en mettant de côté tout ce qui est de l’ordre d’un monde intérieur et d’un identité ?

— Les romans que j’essaie d’écrire ne sont ni réalistes, ni psychologiques. Au contraire, j'essaie de déchiffrer l’époque qui nous met en scène, " la grande machination sociale dont nous sommes les acteurs ", comme écrit Kundera. Je ne crois pas à une identité unique et définie sur laquelle JE pourrait se reposer définitivement (voilà pourquoi, souvent, mes personnages sont dépourvus de patronymes). Je crois plutôt à un mouvement (c’est le sens de la vie même) qu’on ne peut arrêter. La question, alors, n’est plus : comment être soi ? Mais : comment faire coïncider, en soi, tous les moments de son histoire ? Comment aimer une femme sans être la proie de mille fantômes ?

— Pourquoi cette place accordée à la musique dans ce livre ?

— J'ai commencé à faire de la musique bien avant d'écrire. Et si j'écris, c'est peut-être pour continuer à faire de la musique, mais autrement, dans le silence, en faisant résonner les mots à ma manière et en travaillant sans relâche sur le rythme et le phrasé.

— Dans quelles conditions l'ouvrage paru en collaboration avec le photographe Jacques Pugin a-t-il été élaboré ?

— L'écriture est une expérience solitaire. Et cette solitude, parfois, est très lourde à porter ! C'est pourquoi j'aime beaucoup travailler en collaboration avec un artiste, qu'il soit peintre (René Feurer), graveur (Marc Jurt) ou photographe. Quand Jacques Pugin m'a montré ses images sur la montagne — sa montagne peinte et revisitée —, je les ai trouvées magnifiques. Et l'idée nous est venue très naturellement de les insérer dans un récit qui serait une sorte de promenade par monts et par mots, et aussi une méditation sur le pouvoir des images.

Frank Fredenrich

* L'Amour fantôme, roman, L'Âge d'Homme, 1999.
** La Mémoire engloutie, roman, Mercure de France, 1990
*** Le Voyage en hiver, roman, L'Âge d'Homme, 1994.

Retrouvez les pages du feuilleton littéraire sur le site culturactif.ch avec toute l'actualité culturelle de Suisse, ainsi que sur le site www.jmolivier.ch.

Cet article de Jean-Michel Olivier
a été reproduit avec l'autorisation de la revue SCENES-MAGAZINE
http://www.scenesmagazine.com

 

Page créée le 28.01.00
Dernière mise à jour le 28.01.00

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