Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Yvette Z'Graggen - Mireille Kuttel - Jérôme
Meizoz
Yvette Z'Graggen, Mémoires
d'elles, LAire, 1999 |
Mémoire d'elles d'Yvette Z'Graggen
Toute luvre dYvette
ZGraggen, qui trouve un grand écho en Suisse
romande, est un questionnement minutieux du passé.
Passé commun dans "Un Temps de colère
et damour" (1980) ou "Changer loubli"
(1989), quand lécrivaine genevoise se penche
sur le silence des sombres années de guerre. Mémoire
individuelle quand elle cherche à revisiter, pour
mieux en comprendre les secrets, le passé de sa propre
famille.
Cest bien de cela quil
sagit dans Mémoire
delles*, son dernier livre. Tout commence ici
par deux lettres exhumées du silence, et datées
de 1915 et 1916, dans lesquelles Jeanne, la grand-mère
maternelle, écrit à sa fille Lisi (la propre
mère dYvette ZGraggen). Lettres exaltées,
bouleversantes, pathétiques, qui disent à la
fois le malaise de vivre et la souffrance daimer.
Lisant et relisant ces lettres, les
seules sauvées dune correspondance perdue, Yvette
ZGraggen va se glisser peu à peu dans le corps
de Jeanne pour comprendre son tourment : la maladie inexorable
(et encore sans nom) qui léloigne des siens,
la rend étrangère à elle-même.
La déchirure
Bien vite, le drame se dessine : cest
celui dune fille " née
trop tôt dans une société rigide, corsetée
de conventions et dinterdits ". Son destin
est tracé : il ressemble au destin de toutes les femmes
de cette époque : le mariage avec un homme ayant une
bonne situation, les enfants à élever, les tâches
ménagères. Mais Jeanne rêve dautre
chose : du grand amour dabord, " un
don total, un partage sans réserve ", de
voyages, de liberté. Le plus étrange sans doute
(mais il ny a pas ici de hasard), cest quelle
rencontre cet amour dans la personne dun dentiste viennois,
jeune et séduisant, quelle va aimer jusquà
la déchirure.
Élevée dans la peur,
entre un père violent et une mère effacée,
Jeanne va bientôt donner naissance à une petite
fille, Lisi, qui bouleverse son existence. Une nouvelle terreur
lhabite, peuple ses nuits de cauchemars, lempêche
de soccuper comme elle le désirerait de son enfant.
Comme elle séloigne de cette petite fille quelle
chérit, elle senferme lentement dans le silence,
devient méconnaissable, est internée à
plusieurs reprises. Cest cette folie à jamais
mystérieuse dont Yvette ZGraggen essaie de démêler
les fils, en renouant, comme elle le dit, avec sa mère
et sa grand-mère. Cest-à-dire avec une
part mystérieuse delle-même.
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Mireille Kuttel, La
Grande Maison L'Age d'Homme, 1999 |
La Grande Maison de Mireille Kuttel
On ne présente plus Mireille
Kuttel, auteur de La Malvivante
(1978) et dUn Balcon
sur la mer (Prix Lipp 1990). Avec La
Grande Maison**, elle nous donne un roman qui peut
se lire comme une fable forte et vivifiante de notre époque.
Après la disparition de son
mari, Marie-Pierre ne se résigne pas à son veuvage.
Elle hérite dune maison où elle sennuie.
Très vite, au gré des locataires venus dun
peu partout, elle transforme cette grande maison vide en une
auberge du Bon Dieu où se côtoient louvrier
portugais et la prostituée, Georgina qui apprend à
faire le deuil de son fils et Jeannou qui soccupe delle,
Adeline et Nonno qui vont connaître dans les murs de
la Grande Maison une belle histoire damour. Les marginaux,
laissés-pour-compte des globalisations, exclus de la
course au Saint Fric, tous trouvent là-bas un refuge
presque inespéré.
Marie-Pierre les accueille, les écoute,
les comprend. Elle leur redonne espoir et leur transmet quelques
parcelles de lénergie exceptionnelle qui lhabite.
Bientôt, comme les pièces dun puzzle trop
longtemps dispersées, les destins autour delle
se reforment. Les vies se recomposent au gré des rencontres
nouvelles. Avec La Grande Maison,
Mireille Kuttel nous donne une belle leçon de solidarité
!
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Jérôme
Meizoz, Mort ou vif, Zoé, 1999 |
Les secrets de Meizoz
Après deux essais passionnants
sur Lovay (1994) et Ramuz (1997), puis un autre, moins convaincant,
sur Le Droit de mal écrire
(1998), Jérôme Meizoz sessaie au récit
autobiographique. Cela donne Morts
ou vif***, un texte accompagné des photographies
saisissantes dOswald Ruppen.
Dans ce premier récit, Meizoz
sonde à son tour les silences, pièges et secrets
de sa propre famille. Nous sommes au cur des Alpes,
dans un petit village valaisan où se côtoient
sans cesse les vivants et les morts. Le Mal, ici, nest
jamais nommé, mais toujours présent, et menaçant.
Il sentoure de silence et traque, à chaque instant,
de nouvelles victimes.
Cest ce silence quinterroge
Meizoz, et quil cherche à briser, comme pour
défaire le fil dune fatalité tragique.
Le silence qui entoure loncle suicidé ou la mère
morte dun cancer. Comme Annie Ernaux (dont il sinspire)
Meizoz questionne son rapport à la langue, aux langues
plutôt, tant celle quil enseigne à présent,
à Zürich, est différente de celle quil
a apprise autrefois. Il interroge cette trahison (indispensable)
qui est à lorigine de lécriture.
Et il trouve les mots justes. Son récit, émietté
en brefs paragraphes, a la force dun exorcisme.
Jean-Michel Olivier
* Yvette Z'Graggen, Mémoires d'elles,
LAire, 1999.
** Mireille Kuttel, La Grande Maison L'Age d'Homme, 1999.
*** Jérôme Meizoz, Mort ou vif, Zoé, 1999.
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Page créée le 10.03.00
Dernière mise à jour le
10.03.00
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