Un roman de l'errance
Avec son dernier livre, "Et
si l'ailleurs était nulle part"*, c'est le roman
d'une vie que nous donne Bernadette Richard : riche en péripéties
et dense en émotions, c'est à la fois une
roman d'aventures et un récit initiatique. À
lire d'urgence.
Il y a des livres de circonstance et
des romans qu'on porte en soi depuis toujours, comme une hantise
ou un rêve irréalisable. Et
si l'ailleurs était nulle part est de ceux-là,
et cela se remarque dès la première ligne. Un
ton particulier. Un récit qui s'engage très
vite (et très bien) sur des rails implacables. Un univers,
enfin, qui prend forme sous nos yeux avec ses personnages
farouches et tourmentés, tous en quête d'un ailleurs
introuvable.
Journaliste et chroniqueuse pour les
arts plastiques (on lui doit, entre autres, un splendide hommage
au peintre Luc Marelli**), auteur aussi de nombreux textes
de fiction (romans, nouvelles, pièces de théâtre),
Bernadette Richard a beaucoup bourlingué. Elle a vécu
longtemps à Paris, avant de revenir en Suisse. Aujourd'hui,
elle partage sa vie entre la Suisse (où elle est journaliste)
et l'étranger (où elle écrit ses textes
de fiction).
Zichka le rebelle
Le temps, voilà peut-être
la matière principale de Et
si l'ailleurs était nulle part. Non seulement
parce que l'auteur a pris son temps pour l'écrire (plus
de 16 années de travail), le reprenant sans cesse et
le laissant mûrir, en ciselant chaque phrase méticuleusement,
comme on sculpte une statue, jour après jour, pour
lui donner sa forme définitive. Mais aussi parce que
le temps est la matière mystérieuse de la vie
de Zichka, le personnage central du livre, sans cesse hanté,
appelé, convoqué par un ailleurs qui l'oblige
à quitter ceux qu'il aime pour se laisser entraîner
sur les routes du monde.
C'est ainsi que débute le livre
: abandonnant son village dans les montagnes, ainsi que son
enfant et sa mère de celui-ci, Zichka, appelé
aussi le Rebelle (à cause des questions qu'il pose
sans arrêt), se lance un jour à l'aventure. Pour
suivre son chemin, que lui seul peut tracer, il devra affronter
mille épreuves et mille tourments.
L'initiation
Première étape de ce
voyage initiatique : le désert où Zichka,
où les femmes vivent libres et sans voile , où
la joie règne en maîtresse. À travers
les rencontres et l'expérience, aussi, de la solitude,
il réalisera avec tristesse que partout où
il passe, il n'est qu'un étranger. C'est là,
pourtant, que Zichka apprendra les rudiments du métier
d'artiste qui lui permettront de tailler la pierre, et de
tirer de la matière inerte des formes magnifiques.
Quittant tout à nouveau, Zichka
s'embarque pour la cité de fer et de verre (qui ressemble
fort à l'Amérique). C'est là, dans cette
jungle organisée, chaotique, majestueuse ,
qu'il engage de nouveaux combats, politiques et sociaux. Il
participe aux mouvements de contestation et se lie d'amitié
avec un philosophe qui prépare la révolution.
Mais dans le désert de cette ville, comme dirait Baudelaire,
le temps s'étiole et le Rebelle a l'impression de tourner
en rond. Riche de ses nouvelles expériences, il ressent
à nouveau le besoin de partir.
Le retour qu'il amorce et qui va le
mener chez lui n'est pas facile. Il comporte
des doutes et des questions, des détours, aussi, qui
le conduisent au bord de la folie. Et quand il reverra enfin
les gens de son village, personne, ou presque, ne le reconnaîtra.
Le voyage qu'il a accompli pour se construire cette
quête lente et difficile de soi-même l'aura
rendu comme étranger aux yeux des autres. C'est le
prix à payer pour conquérir cet ailleurs que
chacun porte en soi, mais obscur et souvent renié.
Avec Et
si l'ailleurs était nulle part, Bernadette Richard
signe un grand livre, à la fois ample et ambitieux,
d'une écriture souple et tendue, comme une blessure
à vif.
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