Texte de fin dannée
« Vous nauriez pas un franc ?
»
Le vent du nord traverse le lac, franchit les
quais et sengouffre dans la rue. Cest une bise glaciale
qui transperce jusquaux os. Noël approche et la rue est en
fête. De loin, ses lampadaires forment deux lignes de lumière
; ils portent tous une étrange coiffe décorative : une
sorte de cône en branchage de sapin entortillé de petites
lampes électriques. Les arbres revêtent un feuillage lumineux
et des ampoules pendent comme des pommes. « Vous nauriez
pas un franc ? » Les vitrines des boutiques regorgent de guirlandes,
détoiles, de flocons, de sapins, danges
Tout
est vert, rouge, blanc, argenté, doré
Des filets
dampoules pendent des avant-toits, des cascades derrière
les vitrines. La lumière sautille, danse
Noël arrive
! Un tram sarrête, déversant ses passagers dans le
flot de passants qui inonde les trottoirs des deux côtés
de la rue. On change sporadiquement de côté, des vélos
roulent entre les rails du tram, on se croise, on se suit. Les amoureux
se tiennent la main, le bras, la taille en souriant. Des groupes damis
avancent gaiement. Une petite famille essaie de se frayer un passage.
Une autre rafale de vent. On se serre lun contre lautre,
mais la rue est si joyeuse, si illuminée quon ne le sent
plus. « Vous auriez pas un franc ? » Une fanfare de lArmée
du Salut joue une chanson de Noël, les passants continuent en souriant,
sifflotant, chantonnant. La douce et alléchante odeur de marrons
grillés envahit lair. Noël arrive ! La nuit tombe
sous le ciel gris, mais on ne le remarque pas dans la rue flamboyante.
« Vous nauriez pas un franc ? » On est en quête
de cadeaux, imaginés emballés sous le sapin. Les enfants
attendent, impatients de déchirer le papier coloré, et
les adultes se souviennent de quand ils étaient enfants. La famille
est en petit cercle autour du sapin, dont lodeur enivrante et
magique embaume lintimité ; les bougies brûlent doucement.
Quelquun raconte une histoire ou un conte. Seule lumière
de la pièce, les bougies du sapin illuminent les visages émerveillés.
Les décorations, sorties année après année,
ramènent avec elles le passé. Un doux mélange deffervescence
et de nostalgie. Tout est magie et rêve
et souvenir. «
Vous auriez pas un franc ? » Encore une rafale. Une vague dair
chaud séchappe dun magasin et saventure dans
la rue avant dêtre balayée par la bise. On y entre,
la peau stupéfaite de la chaleur rougit. Il est rempli de jouets,
denfants, de parents, de chocolats, de guirlandes, de pères
Noël, de petits trains électriques courant sur des rails
Un vendeur savance vers le clochard, irrité et honteux
: « Sortez ! Vous navez pas le droit dentrer ici !
» Dehors la bise souffle toujours.
© Sébastien Heiniger
Page créée le 20.11.01
Dernière mise à jour le 20.06.02