Consigne : Imaginer une histoire à
partir dun proverbe (dont la signification nest pas indiquée).
A chaque cochon son
samedi (proverbe haïtien, qui a pour sens : « A chacun
son destin », le samedi étant le jour où lon
tue le cochon).
Il fait bon vivre dans la ferme de M. Fermier.
Bon, comme partout, on y trouve les incorrigibles râleurs qui
ne seraient même pas heureux sous les cocotiers (peut-être
du simple fait quils ny pourraient pas grogner). Il y a
de tout, des vaches, des poules, des lapins, des moutons, deux ou trois
canards qui pataugent dans les flaques, deux ou trois oies extrêmement
sottes (jai réussi une fois à leur faire croire
quelles étaient des vaches. Elles ont brouté pendant
trois jours), un âne, des rats venus en contrebande, quatre chats,
un chien et un perroquet qui na aucune raison dêtre
dans mon histoire. En fait, jai oublié de me présenter.
Quelle impolitesse ! Je suis tout à fait désolé.
Je suis M. Souris, heureux de vous raconter cette fable pas si fabuleuse
que ça. Je me faufile partout, je sais tout : jai une mémoire
déléphant. Jaurais même aimé
en être un, mais lauteur naurait pas su comment expliquer
ma présence dans une ferme. Et puis pour se faufiler partout...
Me voilà donc, une simple souris grise qui va sûrement
se faire manger par M. Chat un jour. Je suis en quelque sorte la mémoire,
la conscience, lâme de la ferme.
Tout ceci est très beau, mais je méloigne
de mon histoire. Revenons-y donc. Où en étais-je ? Ah,
oui... La ferme est très belle, une ferme comme les autres, avec
une cour, un silo à blé, entourée de verdure. Au
début de lété, quand le blé est encore
en herbe, le vent fait des vagues dans les champs. La vie est belle
dans notre ferme... mais on ny loge pas gratuitement. Chaque animal
doit payer son loyer. La vache donne son lait, la poule ses oeufs, les
moutons leur laine... Mais notre héros, M. Cochon, ne pouvait
donner du lait, ni des oeufs, et son poil était beaucoup trop
court pour faire de la laine. Il savait, était né en sachant
ce quil offrirait à M. Fermier. Un jour on le prendra,
on lemmènera à labattoir et il deviendra lard,
jambonneau, côtelettes, saucisses. Jamais il ne sest révolté
là contre, ça faisait partie de son être. Dans «
cochon » se trouvait « côtelettes et jambon »
comme dans... je ne sais pas... par exemple dans « mortel »
se trouve « mort ». Mourir était naturel, normal
et tout à fait accepté. Je pense maintenant, par hasard,
aux humains. Ils me font rire. Ils se pensent toujours immortels. Ils
vivent comme sils devaient ne jamais voir la mort. Mais en oubliant
la mort, ils oublient la vie. Ils courent, stressent demain jaurai
le temps. Mais demain a aussi son demain et maintenant nest jamais.
Ils veulent accumuler richesses, gloire, pouvoir. Mais un jour, demain
ne sera plus.
Quant à M. Cochon, être sage et
philosophe, il profitait le plus possible de la vie. Comme il ne pouvait
compter sur demain, il vivait aujourdhui. Il savourait le soleil,
le vent, les douces odeurs de la ferme. Il mangeait aussi beaucoup.
Oh, comme M. Cochon aimait manger ! Il mangeait comme un gros porc (je
vous emprunte cette expression parce que je la trouve très explicite
dans le cas présent). Il avait beaucoup damis, était
tendre et ouvert. Il profitait sans relâche de tous les plaisirs
qui se présentaient. Il vivait heureux ainsi.
Un samedi, M. Fermier le prit et labattit.
M. Cochon, quoique triste de quitter la vie, mourut en paix. Il avait
bien vécu. La vie ne lui avait pas échappé, comme
le sable entre les doigts. Il est mort. Cest naturel, normal,
banal. On naît. On meurt. Mais entre-deux fleurit la vie. Ne la
manquez pas.
A chaque cochon son samedi
Le vôtre viendra aussi
Profitez de la vie
Avant quelle ne soit finie
© Sébastien Heiniger
Page créée le 20.11.01
Dernière mise à jour le 20.06.02