En voyage
en vacances en France
Des voyages des vacances en France, lenfant se souvient
très bien. Il navait que trois ou quatre ans,
mais il sait revivre ces voyages. Cétait dans
les années cinquante, vers le mois daoût
ou à peu près.
Dabord, on sarrête à Grenoble, cest
sur la terrasse dun café. On boit un jus de fruit
jaune. La bouteille est une boule ronde en verre vert clair
et granuleux. Le ciel est gris.
On suit la Route Napoléon, des précipices et
des lacets, vertigineux, la route des mines de La Mure, à
pic, à flanc de rocher jusquà Mens. Parcours
difficile, dangereux. Route de viabilité incertaine.
Où sest-on fourvoyé ?
Nuit à Mens. Lhôtel sur la grande place.
Les matelas durs sont trop mous, les édredons étouffants
comme la nuit. La nuit est beaucoup trop noire. Il ny
a pas leau courante. Mais du beurre rance au petit déjeuner.
Layant humé, on le recolle à la motte.
Le pain est recuit au four. On ne va rien manger. On achète
des croissants dans une boulangerie, ainsi quun jouet
pour lenfant. Un cheval en plastique vert, petit cheval
aux pieds rouges capable de marcher tout seul sur une planche
en pente. Pégase, lappelle-t-on.
Il faut rouler. Direction le pont dAvignon qui sarrête
au milieu du Rhône. Il a été détruit
par les bombes pendant la dernière guerre, nest-ce
pas ?
On voit un âne, devant le Palais des Papes que lon
ne visitera pas. Pas le temps. Il faut rouler jusquà
Valbonne. Où lon est attendu.
La léproserie de Valbonne est une chartreuse, un ancien
couvent. On arrive dans laprès-midi. Lenfant
reconnaît le chemin, le bois à traverser et le
dernier virage juste avant le portail. Les tantes les reçoivent
dans la pénombre de leur chambre. Elles leur demandent
sils ont fait bon voyage. Visite guidée. Un cousin
leur fait voir les tours, les escaliers, les couloirs, les
cours, un grand jardin. Sous le toit du clocher, des chauves-souris
dorment tête en bas. Des mouches volent dans le réfectoire
où lon prend le repas du soir.
Une mousse, deux mousses, trois mousses
compte
lenfant à voix haute pendant quun bien
lointain cousin récite une interminable prière.
Haricots filandreux et ragoût réchauffé
refroidissent. La crème au caramel attend. Longtemps.
Ils dormiront dans lancienne chambre à coucher
de lEvêque. Une chauve-souris viendra se prendre
dans les rideaux. Les moustiquaires autour des lits rassurent
peut-être mais font un lieu bien trop clos.
Au petit déjeuner, il y a de la confiture, du bon
beurre, du bon pain. Par hasard, par miracle, le pain ne vient
pas de Pont-Saint-Esprit, comme la semaine dernière.
On échappe au seigle ergoté, aux convulsions,
aux hallucinations. Frisson rétrospectif. Une semaine
sur deux, le pain vient de Pont-Saint-Esprit.
Ainsi, lon reprend la route. En voyage en vacances
en France, les routes sont ainsi faites, pour rouler. Direction
Nîmes : on mange une omelette avant de visiter les arènes.
Marseille : le port et les calanques, des escaliers de bois
raides à faire peur jusquau bas des falaises,
le sable, la Méditerranée.
Et direction plus loin : Aix-en-Provence ; ce nest
pas Aix-les-Bains ! Aix-la-Chapelle, encore moins ! Grasse
: arrêt buffet un matin, yogourt sur un banc sous les
arbres. Dans lair flotte le parfum des fleurs et lodeur
de tous les parfums.
La Côte dAzur. Monaco. Monte-Carlo. Menton. Roulette
et casino. Nice. Le bord de mer, les palmiers, les quais.
Lénorme hélice dun ventilateur au
plafond dun restaurant de Cannes. Une petite fille du
même âge que lenfant mange en se servant
comme il faut de son couteau et de sa fourchette. On la montre
en exemple à lenfant. Lenfant en est agacé.
Les jours senchaînent, et les hôtels. Draps
sales à Digne. Les lits nont pas été
changés. Lenfant découvre une grotte,
caverne dans la falaise, depuis la fenêtre de la chambre.
Lhôtel sera meilleur à Saint-Maximin. Confiture
dabricot. Luxueuse salle de bain. Détour par
la Haute Provence. On regarde couler la Durance. Et suivent
les dernières étapes. Jusquaux cabinets
sales et puants dun hôtel de Montélimar.
Pas de duvet. Un polochon. Du nougat dur comme du bois et
qui colle aux gencives, aux dents. Voici : lon rentre.
Routes bordées darbres, infiniment. Cétait
dans les années cinquante, au mois daoût
ou à peu près.
© jean-pierre.cousin@bluewin.ch
Page créée le 23.03.00
Dernière mise à jour le 23.03.00
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