Le ministre
malgré lui...
Nouvelle
Chacun a sa destinée paraît-il! Je n'ai jamais
cru une baliverne pareille, qui nous débarrasserait
du libre arbitre garanti par la constitution!
Je me suis parfois imaginé en regardant un film que
j'étais le héros de l'action, ce n'était
qu'un phénomène d'identification. En général
mes héros étaient le contraire de moi, ils étaient
grands, forts, et beaux, et réussissaient tout ce qu'ils
entreprenaient.
Je suis architecte. Je suis amené par mon métier
à fréquenter des gens de toutes les classes
sociales. Je ne construis que des grands immeubles à
loyers modérés. Dans ma ville et surtout en
banlieue.
Je fréquente quelques fois des réunions de
partis politique car il faut être vu et connu par les
gens de pouvoir, on ne sait jamais! J'ai une femme ravissante,
intelligente, et un peu folingue, nous nous entendons très
bien. Nous sommes sans enfant, et pensons en adopter un jour.
Curieusement, en recevant cette invitation... j'ai eu une
sorte de pressentiment. L'impression d'un événement
imminent... Le ministre de la construction, le Dr. Balken
m'invitait pour un déjeuner en petit comité.
Ainsi q'un écrivain Hindous de grande réputation
qui avait publié un livre sur les désastres
de l'architecture des grandes banlieues. Cette invitation
étant professionnelle, j'y allais sans ma femme. Je
reconnais que j'avais construit d'affreux immeubles au début
de ma carrière et je traînai ce boulet derrière
moi comme un remord sournois... J'allais en prendre pour mon
grade! Les indous sont très directs!
Au cours du repas, le ministre Balken, qui était
un ami, me fit avouer que je traînais un boulet moral
à cause de ce quartier de banlieue que j'avais "commis"
dans ma jeunesse...
Le critique Hindous, Mr. Salru était accompagné
d'un vieux monsieur, son conseiller, un certain Karmage, qui
me demanda subitement, si je regrettais vraiment... d'avoir
construit ces taudis modernes... Je répondis par l'affirmative.
Il me demanda si j'étais prêt à démolire
ce quartier si j'en avais la possibilité! Surpris,
je répondit qu'en effet, je le ferais sans hésitation,
mais que cela était du ressort de mon ami le Ministre
de la construction... Qui ne pouvait certes pas prendre cette
décision sans se faire surnommer Ministre de la destruction!...
Après avoir beaucoup rit. Karmage dit d'un air mystérieux,
si vous changiez de peau avec le ministre, peut-être
pourriez-vous réaliser votre rêve...
L'on se regarda le Ministre et moi, puis nous avons répondu
ensemble, qu'en effet l'impossible pourrait devenir possible!
L'on s'amusait beaucoup, cette discussion nous changeait des
conversations habituelles, vides et compassées.
Nous nous sommes quittés joyeux et pompette, en se
promettant de nous revoir bientôt en Indes. A l'atelier,
je m'assoupis un instant sur ma planche à dessins.
Ce qui est normal après un repas bien arrosé!
En reprenant conscience, après avoir dormis d'un sommeil
sans rêve, je rêvais que je me trouvais dans le
bureau de mon ami le ministre et que j'avais un mal de tête
inquiétant... Je me sentais là et ailleurs...
un sentiment de dédoublement, comme dans un cauchemar
très réaliste... Au bout d'un instant je fus
réveillé par le téléphone...
Une voix féminine que je reconnus comme étant
celle de la secrétaire de mon ami le ministre, me demandait
si je voulais connaître l'emplois du temps pour la semaine
à venir!
Elle entra sans attendre ma réponse... et à
cet instant je compris la situation... Je ne rêvai pas,
j'étais, moi, l'architecte, dans la peau du ministre
de la construction... Balken!... Sans doute Balken était
devant ma planche à dessin en train de se demander
ce qu'il lui arrivait! Dans ma tête, je sentais physiquement
un tourbillon d'idées, me demandant comment j'allais
me tirer de ce piège. La secrétaire m'observait
attentivement, elle remarquait que je n'étais pas dans
mon assiette...
Je lui demandai de quitter la pièce, j'avais un coup
de téléphone à faire et la rapelerai
sitôt fait. Je téléphonais à mon
atelier et j'eus immédiatement mon cher ministre au
bout du fil... Il avait compris la situation aussi vite que
moi! Nous étions dans de beaux draps...
On ne pourrait pas cacher bien longtemps ce changement d'identité.
Déjà le métier! Je pourrais jouer le
rôle d'un ministre avec l'aide de mon amis, mais pour
lui, ne sachant pas dessiner, la situation était délicate!
Sur ma planche à dessin, il y avait l'esquisse d'une
urbanisation pour le Mexique. Je devais livrer ces projets
dans les dix jours...
Heureusement nous avions quelque chose d'important en commun,
l'esprit d'organisation!
Mais il y avait nos femmes. Par bonheur elles étaient
toutes deux ravissantes cultivées et intelligentes,
il fallait les mettre au courrant. Dans le lit conjugal, elles
ne verraient pas de différences au sujet de l'apparence
physique, mais elles sauraient rapidement que leurs maris
respectifs n'étaient pas vraiment là.
Après avoir pris rendez-vous en ville, nous avons
immédiatement loué un logement pour nous y rencontrer
et prendre les décisions utiles. Je pourrais dessiner
mes projets et je prendrais avec mon ami le ministre, des
cours d'économie politique! Dès le premier jour,
intence réfléxion philosophique sur notre situation.
Etat d'urgence!
Nous avions été les victimes consentantes
d'un tour de magie. Sans y croire vraiment!... Pour nous c'était
un rêve réaliste dans lequel nous étions
en pleine possession de notre libre-arbitre. Pour les autres?
On devrais jouer le jeu! Jusqu'au réveil?
Je remarquais assez rapidement que le corps de mon ministre
n'était pas très en forme, Je faisais du sport,
mais lui, aucun! J'étais adroit, lui, pas du tout!
Je devais agir avec prudence pour ne pas avoir un accident.
Je décidais de mettre ce corps, dans lequel j'allais
habiter, pour un temps indéfinis, en une forme éblouissante.
Je commençais immédiatement, sur le tapis, à
la stupéfaction de ma secrétaire.
Nous avons organisé un dîner chez moi, pour
annoncer à nos femmes, ce qu'il nous arrivait...
C'était tellement invraisemblable, que pendant plus
d'une heure, elles pensèrent à une farce de
notre part. A l'aide d'indiscrétions murmurés
à l'oreille, elle comprirent que ce n'était
pas un jeu. Les révélations intimes qu'elles
étaient seules à connaître, étaient
la preuve que nous avions vraiment échangé nos
corps par le tour de magie du vieil Indous...
Cette nuit, nous sommes restés avec nos femmes légitimes.
Mais ce ne serait pas toujours possible. Nous allions être
obligé de nous faire cocu avec nos corps, l'esprit
du mari restant légitime!
Je me demande comment un juriste verrait la chose? En cas
de divorce, serai-ce l'esprit où le corps qu'il faudrait
séparer? Pour un théologien la question serait
transcendantale, c'est à dire du domaine de Dieu! On
devra définir qui est qui.
Juridiquement; l'esprit appartiens-t-il au corps où
es-ce le contraire. En étant corporellement là,
mon esprit est ailleurs, où suis-je réellement?
Voici une phrase impossible à expliquer... Pragmatisme
et ambiguïté... Si je commets un larcin qui est
coupable, mon corps qui n'est pas là, où mon
esprit qui est là!
Il se dégageait une odeur de casuistique de cette
situation scabreuse.
Sans entrer dans des détails peu ragoûtants.
j'eus beaucoup de peine au début à uriner...
étant complètement hétéro, toucher
le pénis de "mon corps de ministre" me répugnais!
Puis je fus choqué par une "envie" de fumer
des cigares... moi qui n'avais jamais fumé de ma vie!
Faire l'apprentissage du corps de mon ami Balken, me donnai
des nausées. J'aurais donné beaucoup pour retrouver
ma "machine" à moi. J'étais dans la
situation de prothèse totale... Comme dans ces films
de sciences fiction où l'on voit le héros installé
dans un corps d'apparence humaine, mais construit entièrement
en acier.
Mais moi, je me trouvais dans un corps qui était
plus faible que le miens. Je m'essoufflais dans les escaliers...
Moi qui suis un travailleur énergique, j'étais
subitement fatigué, au bout de deux heures de travail.
Jouant mon rôle de ministre le mieux possible, je
ne trouvais pas toujours le ton qu'il fallait avec les fonctionnaires
indéboulonnables qui m'entouraient.
Pour éviter un désastre je du mettre la secrétaire
au courant. Dans mon bureau d'architecte, je mettais immédiatement
à la porte un employé qui ne tenait pas le coup.
Dans ce ministère impossible de balancer un fonctionnaire
inefficace. Ces types me narguaient ouvertement. Je rageais
intérieurement.
Je transformais le ministre un peu mou et conciliant, dont
tout le monde s'accordait à dire qu'il ferait un bon
diplomate, en une boulle d'énergie à qui rien
ne résistait! En un tour de main, je convainquis le
gouvernement de faire sauter à la dynamite le quartier-péché-de-jeunesse-affreux
qui m'avait mis dans de beaux draps! Le vieux Karmage avait
bien compris que seul le fautif aurait l'énergie et
la motivation de réparer son erreur à coup de
d'explosifs. Au ministère, seuls les proches collaborateurs
qui me connaissaient bien étaient étonnés
par ma transformation...
Mais comme les politiciens sont des girouettes, ils haussaient
les épaules. Je raisonnais devant eux en imitant mon
ami Balken, feignant des scrupules au sujet des malheureux
habitants de mon urbanisation...
Et lorsque j'eus arraché l'accord du gouvernement
pour la démolition; j'offris le champagne à
tout le monde en présence de mon alter ego le ministre
dans mon corps d'architecte... Qui prenait l'air contrit d'un
écolier pris en faute, mais-heureux-de-s'en-tirer-à-bon-compte...
Certaines situations devenaient bouffonnes comme dans un
vaudeville... Autant que possible nous respections nos rôles
mais parfois nous étions terriblement agacés
d'être prisonnier dans le carcan de l'autre. Nos femmes
avouèrent sans honte, que dans les choses de l'amour,
le corps avait la priorité absolue...
C'était le cadet de nos soucis, nous n'étions
pas stupides au point d'ignorer une chose aussi élémentaire.
Pas de jalousie, pas d'histoires! Mais avant tout... En priorité,
retrouver Karmage, le vieux magicien indien, et reprendre
notre place légitime dans nos corps respectifs.
Ceux qui parlent de la séparation de la chair et
de l'esprit ne savent pas ce dont ils parlent! Je n'y croyais
pas, maintenant encore, je pense à des hallucinations,
je ne constatai pas de substance transportable tangible dans
l'esprit. Mais n'en est-il pas de même dans une communication
sur Internet?
On ne voit pas les ondes, mais cela fonctionne. Mais alors,
nos cerveaux respectifs étaient une masse gélatineuse,
comme un disc dur est une plaque d'acier! Du hardware en somme!
Nos esprits sont le software... Une explication de ce type
ne nous satisfaisais qu'à moitié. Mais cela
nous calmait un peu.
Le bruit intérieur... des organes en travaille, était
autre. La nuit surtout, je savais que je "n'habitais"
pas chez moi. La physiologie de l'autre est différente.
Un guerrier du moyen-âge qui endossait l'armure d'un
autre, devait se sentir bloqué dans un "corps-carcan"
étranger.
Une chose évidente pour moi, est que l'esprit a une
certaine emprise sur le corps. Je me débarrassai des
douleurs articulaires de mon amis Balken en quelques semaines!
Pendant que son goût pour les cigares avait disparu!
Mon corps ne demandait pas de nicotine...
Les préférences physiques ne sont qu'en partie,
des commandements du corps. L'esprit peut les effacer. En
"apprenant" le corps de Balken, j'apprenais a comprendre
le miens. J'arrêtais de fumer le cigare, sachant très
bien que lorsqu'il aura réintégré son
corps, il ne fumerait plus!
Au bout de quelques mois, le temps nécessaire pour
démolire le quartier maudit, j'étonnais le ministère
par mes connaissances en architecture. (Balken était
juriste!) Au ministère, j'expliquais mes plans d'urbanisation
et en confiais la réalisation à d'anciens collègues
moins chanceux, mais plus talentueux que moi. Avec l'aide
de Balken, je me débarrassais des obstacles juridiques
en virtuose! Je commençais à démolire
les taudis dans tout le pays!
Au ministère on avait trouvé l'homme de la
situation! Mais à mon bureau d'architecture Balken
ne savait que faire de son temps.
Notre bureau commun nous permettait de réajuster
le tir pour toutes les décisions, ceci dans le plus
grand secret.
J'avais tout sur le dos, la nouveauté de la situation
était extraordinairement fascinante. Je ne sentais
pas la fatigue. Chaque fois que je rencontrais Balken j'avais
un choc!
Me voir du dehors, je n'arrivais pas à m'y habituer.
Surtout que l'esprit et le caractère de Balken avait
modifié ma démarche, mes gestes aussi, son sourire
n'était plus le mien... Sa femme était la mienne...
Elle paraissait l'apprécier... Il était flegmatique!
Il restait volontiers à la maison! Il jouait au bridge!
Il était le mari idéal pour ma chère
femme! Pour me venger je musclais ce corps d'emprunt, je lui
coupais les cheveux en brosse. Finalement je baisais sa secrétaire
en espérant qu'il aie la bonne surprise à son
retour... Tout cela n'était pas bien méchant,
c'était seulement pour me soulager!
Son caractère passif et diplomatique s'adaptait mieux
que le miens à cette situation. Et par dessus le marché
il était installé dans un corps d'athlète,
c'était comme si Sammy Davis s'installait dans le corps
de Stalone! Des histoires me tapaient sur les nerf. Ma femme
voulait mon corps, pour batifoler, et la femme de Balken aussi!
De ce côté j'étais out!
On avait organisé nos vies, sans tenir compte de
nos grandes différences de type et de caractère.
Le schéma idéal et "logique" ne s'adaptait
plus.
Bien éduqués, culturellement, nous étions
d'accord sur presque tout, mais dans le fond, tout au fond,
sur rien du tout.
Il y a un abîme entre ce qu'on doit faire et ce qu'on
veut faire! Il ne s'agissait plus de démolitions de
quartiers affreux, mais de découvertes inattendues
sur nous-même. Vérité dont nous nous serions
bien passé! Mais le révélateur impitoyable
des vérités profondes allaient nous transformer
que nous le voullions ou pas.
Je commençais à lire C.G.Jung, je n'y trouvai
pas les sages conseils que l'on donne aux époux lors
de leur mariage. Il naviguait sur de trop hauts sommets.
J'avais un tempérament commandeur... Balken avait
le tempérament de la conciliation et du compromis.
En situation normale, nous étions complémmentaire.
Dans ces étranges circonstances, il n'y avait pas
de recettes efficaces. Ce n'était pas si effroyablement
bête que le Big-Brother...
Heureusement qu'il n'y avait pas un climat passionnel exaspérant
dans nos relations.
Nous étions assez raisonnables pour essayer par tous
les moyens, de supporter notre situation. Il fallait surtout
ne pas perdre notre humour.
J'avais construit quelques villas dans un quartier luxueux,
j'en pris une, et Balken une autre! Nous espérions
résoudre ainsi nos problèmes psychologiques
plus aisément.
Il y avait, si j'ose la comparaison, "une nouvelle
donne" chaque matin! J'étais un infirme au point
de vue psychologique, je le reconnais. La manie du commandement
sans doute.
Balken, plus prudent, avançait à pas feutré,
habitué à la horde de loups hargneux de son
ministère. Mais sous son apparence pateline, il était
plus dur que je le pensais.
Depuis que j'avais proposé un nouveau règlement
des fonctionnaires, me permettant de balancer les employés
non efficaces. Je jouissais d'une paix royale au ministère,
on faisait même des heures supplémentaires!
Balken regardait ces changements avec une certaine inquiétude.
Il craignait pour sa situation de ministre. Ses ennemis politiques
n'allaient pas le rater...
Il fallait aller au plus pressé... Retrouver notre
magicien Indous qui remettra les choses en ordre. Au bout
d'une année nous étions dans un état
nerveux lamentable. Nous étions devenus dissimulés,
comédiens et menteurs!
Malgré l'opposition de Balken, j'avais donné
des commandes d'état à de grands architectes...
Ce qui n'était pas dans la tradition du ministère!
Mais personne n'osait s'opposer à des architectes comme
Renzo Piano, Pey... et Botta... Même Dessauges eu droit
à une commande de Cylindres-Haus sur une décharge
publique au bord d'une autoroute...
Je tirais sur la corde jusqu'au point de rupture... Un peu
par opportunité et un peu par jalousie... Finalement
nous avons organisé un voyage officiel aux Indes. Sous
le prétexte d'échanges culturels.
***
Dans mes bagages, j'emportais les plans de construction d'une
nouvelle capitale, moins triste que celle du Corbusier! Pas
de béton, des briques, du bois, du verre, des espaces
ombragés, des arcades partout, protégeant la
population de la pluie et du soleil...
Je n'oublierais jamais le sentiment de soulagement que j'éprouvais
en voyant Karmage notre magicien... Balken en avait les lames
aux yeux... Salru le critique était aussi là,
en compagnie du ministre de la construction des Indes, une
femme jeune et jolie, qui n'avait pas l'air d'être au
courant de l'enjeu véritable de notre présence...
Au cours du repas, Karmage ne dit pas un mot, il souriait
en nous regardant avec attention, il semblait lire nos pensées.
A la fin du repas, il se leva, nous salua poliment en souriant
et disparut...
Nous n'avions pas eu l'occasion de lui demander quoique
ce soit, mais nous avions confiance. A l'hôtel je sentis
une grande fatigue et me laissais tomber sur le lit... Au
réveil j'avais réintégré mon corps
d'architecte... et Balken le sien!
Curieusement malgré le soulagement ressentis... Nous
n'étions pas fous de joie! Nous avions apprit quelque
chose, sans en comprendre le sens. Cette histoire est comme
une découverte. Elle n'a aucun contenu moral, ni exemplaire.
Si vous lui trouvez un sens, c'est votre affaire... Nous déclinons
toutes responsabilités. C'est simplement une histoire.
FIN
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Page créée le 01.05.01
Dernière mise à jour le 01.05.01
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