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Une étoile pour un papillon

La petite respirait lentement. Elle ne m’avait pas entendu entrer. Je m’approchai d’elle doucement. Je posai ma main sur son front bouillant. Elle paraissait fixer un point invisible. La fenêtre laissait passer les quelques derniers rayons de soleil qui éclairaient ses boucles blondes. Elle fixait la fenêtre comme si elle attendait quelque chose, comme si quelqu'un devait arriver par-là.

Je l’ouvris pour qu’elle puisse voir les étoiles qu’elle aime tant naître dans le jour mourant.

Elle était si malade. Je ne pouvais plus rien faire pour l’empêcher de souffrir à part adoucir son quotidien. Pourtant, un sourire illuminait son visage. Elle n’avait pas peur. Pas peur de quitter ce monde où elle n’avait vécu que la tristesse de la séparation et la souffrance de la maladie. J’avais beau lui demander pourquoi, elle se contentait de me sourire de plus belle.

Un jour, je lui avais dit que de toute façon, les petites filles vont rejoindre les anges dans un endroit où tout est beau. Mais elle me souriait encore plus en me disant tout bas :

« Tu sais, je n’ai pas peur de mourir. Tu n’as pas besoin d’inventer d’histoire pour me rassurer. Tu es là, c’est déjà beaucoup »

Alors je me mis à pleurer et elle prit avec délicatesse ma main dans la sienne, moite et bouillante.

Elle était si brave. Elle allait mourir bientôt mais elle semblait sereine et épanouie.

Ce soir-là, elle me regarda différemment. Je lus dans ses yeux qu’elle voulait me dire quelque chose d’important. Quelque chose comme une promesse dans l’éternité. Comme si sa vie en dépendait.

Je me suis assis près d’elle. J’ai posé un baiser sur sa joue chaude. Ses yeux verts brillaient d’une étonnante sagesse pour une fille de six ans. Elle rassembla ses forces pour se lever. Elle s’avança vers la fenêtre. Cette fenêtre qu’elle regardait depuis qu’elle était arrivée ici.

La nuit s’était vêtue de son voile étoilé. Mille diamants se reflétaient dans les yeux de la petite. Un vent frais nous caressait le visage. La respiration calme et régulière de la ville parvenait jusqu’à nous.

Je pris la petite dans mes bras. Elle ferma les yeux et inspira profondément en posant sa tête sur ma poitrine.

Puis elle me parla d’un arbre. Un arbre immense. Ses racines entouraient la terre et les feuilles se transformaient en étoiles. Et sous les racines vivaient sa mère et toutes les autres mamans. Elle ne m’avait encore jamais parlé de sa mère.

Les yeux toujours fermés, elle continuait à me la décrire.

Elle l’attendait depuis longtemps. Des papillons volaient près d’elle et elle l’appelait. Elle me parlait d’un grand champ tout près de l’arbre. Dans le champ attendaient des milliers d’autres parents. Ils attendaient leurs enfants qu’ils avaient dû laisser seuls dans le monde. Ils les attendent pour partir vers l’arbre pour s’y transformer en étoiles.

Elle me dit également que lorsqu’elle aurait retrouvé sa maman, elles iraient ensemble rejoindre les autres pour ensuite devenir une étoile très brillante pour que je ne sois plus seule.

Je l’écoutais. Je la sentais partir. Bientôt, comme un papillon, elle quitta son cocon, ouvrit grand ses ailes multicolores et s’envola. Elle souriait toujours. Je la voyais voler vers son arbre, les cheveux au vent.

Elle se retourna et me regarda. Elle rayonnait. Son visage semblait libéré de toutes souffrances. Elle contempla le ciel et les étoiles puis me dit que je ne devais pas pleurer car elle allait dans l’arbre pour veiller sur moi.

Puis elle partit. Des papillons tournaient autour d’elle. L’un d'eux vint jusqu’à moi pour se poser sur ma main.

Le rire de cristal de la petite, doux comme la brise, résonna encore longtemps dans mon cœur.

Depuis ce jour, lorsque je rentre dans la chambre 307, je m’arrête près de la fenêtre pour regarder le ciel étoilé. Et là-bas, dans l’infiniment grand, vit une petite fille enfin libérée de ses souffrances.

Cette petite fille fragile, libre, heureuse comme un papillon, comme une étoile.

© Jennifer Schneuwly

 

Page créée le 08.10.01
Dernière mise à jour le 08.10.01

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