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Promenons-nous…

L’homme cherchait à saisir les traits du visage à travers le voile de la pénombre. La victime était une jeune femme. Son corps était allongé sur le côté. Des traces dans le sable laissaient supposer qu’elle n’était pas morte sur le coup, mais qu’elle s’était débattue.

L’homme se mit à genoux près de la tête et approcha son visage en face de celui de la femme. Ses yeux regardaient fixement, droit devant elle, en direction de la ligne d’horizon au-dessus de la mer.

Un nuage qui masquait la moitié de la lune se retira lentement. Sa peau fut comme saupoudrée d’une lueur pâle qui lui donnait une apparence translucide, un peu comparable à la teinte du dard d’une luciole fatiguée.

Il se déplaça en penchant la tête vers la droite, de sorte que ses yeux se retrouvent face à ceux du cadavre. Il resta ainsi un moment qui lui sembla être une éternité. Elle était belle. Il tendit la main pour caresser sa joue, mais se ravisa juste avant d’entrer en contact avec la peau.

Elle portait un maillot en coton blanc, une jupe courte de couleur cyan et des chaussures blanches à talons haut. De fins lacets de cuir s’enlaçaient autour de ses chevilles. Sa peau était lisse et bronzée.

L’homme entrouvrit la bouche, la referma, l’ouvrit encore, puis finit par prononcer, doucement, les mots :

- Qui es-tu ?

L’immobilité des yeux de la jeune femme l’attirait jusqu’à l’obsession.

La corne d’un bateau qui rentrait au port le tira de sa torpeur. L’homme regarda autour de lui : il ne savait pas au juste, combien de temps il était resté assis là, à contempler sa funeste trouvaille. Il se leva lentement, jeta un dernier regard sur la masse immobile, puis s’en alla dans la direction opposée à la mer. Il marcha une cinquantaine de mètres sur la route qui longeait la plage, avant de bifurquer à un croisement pour suivre un chemin qui s’enfonçait à l’est, dans la forêt des Landes.

L’homme marchait lentement, les mains dans les poches et les yeux rivés sur le sol afin de ne pas trébucher dans l’obscurité.

Il entendit un craquement de bois sec derrière lui. Il s’arrêta brusquement, son cœur battait fortement dans sa poitrine. Il sentit le sang lui monter dans la tête et frapper violemment ses tempes. Il retint sa respiration et se concentra de toutes ses forces sur son ouïe. Il fit un pas en avant, puis un autre et relâcha enfin l’air de ses poumons. Sa tête commençait à s’engourdir.

Il retint son souffle une fois encore, et regarda tout autour de lui. Il n y avait que la lune qui éclairait quelque peu le chemin et les arbres environnants. Pas de phares de voitures ni de lumière d’une quelconque habitation. Rien, sinon le léger frisson du vent dans les arbres.

Il sortit les mains de ses poches et se remit en marche d’un bon pas. Il se rassura un peu, une forêt était quelque chose de vivant, de mobile, et il était normal d’entendre des bruits de toutes sortes, surtout des craquements de branches d’arbre. Cette pensée le calma, mais il ne ralentit pas son allure pour autant. Le chemin devint rectiligne et il devina, de part l’obscurité décroissante à deux cent mètres devant lui, la lisière de la forêt.

Il se figea à nouveau. Un autre bruit avait attiré son attention. Il regarda en arrière en écarquillant instinctivement les yeux pour mieux voir. Les poils de sa peau se hérissèrent : il ne voyait rien, mais il entendait, non loin, un bruit répétitif, régulier, qui ressemblait à celui d’un objet lourd que l’on traînerait dans les feuilles mortes. Ou comme quelqu’un qui avancerait en rampant, en s’appuyant sur les coudes.

Il aurait voulu hurler mais ses mâchoires étaient comme soudées l’une à l’autre. Il réussit finalement à faire demi tour et il se mit à courir en titubant vers l’orée de la forêt.

Cela le suivait. La cadence du bruit s’était accélérée, et il pouvait l’entendre distinctement se rapprocher de lui, malgré sa respiration haletante. C’était certain, quelque chose le suivait.

Il lui semblait à présent entendre toutes sortes de mouvements provenant de tous côtés, et dont le murmure s’ajoutait au son - déjà insupportable - de cette chose qui se traînait derrière lui. Il parvint à la sortie du bois. Il pleurait, haletait, fou d’angoisse. L’homme continua à courir droit devant lui, à travers un champs couvert de hautes herbes.

Finalement, épuisé, il tomba sur les genoux et s’efforça de respirer profondément pour reprendre son souffle. Tout était calme. Rien ne bougeait à part les ombres des nuages, projetées au sol par la lueur de la lune. Il se mit à sangloter plus fort : il venait de remarquer qu’il se trouvait, non pas hors de la forêt, mais simplement dans une clairière déserte, d’une centaine de mètres d’envergure. Seul un vieux pin était planté en son milieu. Il n’eut pas le courage de retourner dans la forêt. Cette seule idée augmentait les frissons qui parcouraient tout son corps. Il alla s’asseoir au pied du pin, le dos appuyé contre le tronc et prit sa tête entre ses mains.

Après quelques heures, l’homme commençait à somnoler de fatigue, si bien que parfois, des rêves s’introduisaient brusquement dans le champs de sa conscience, comparables à des hallucinations. Il s’endormit et se mit à rêver qu’il déambulait, perdu dans un dédale de cyprès. Des visages aux yeux figés dépassaient des arbustes et le regardaient passer. Quelque chose le suivait, qui se traînait dans son ombre. Il s’engagea dans un couloir étroit qui déboucha sur une impasse. Il vit alors la chose. Il comprit que c’était lui, qui traînait le corps de la jeune femme de la plage.

Elle se leva et se plaça debout en face de lui.. Elle le regardait fixement.

- Qui es-tu ? demanda-t-elle d’une voix enrouée.

L’homme ne pu répondre, paralysé par la peur. La jeune femme se mit à rire, à rire fort, d’un rire cynique.

***

Un étrange article parut dans la presse locale de C. le 18 août 1999 :

Victime de la plage : affaire résolue

L’enquête de la police municipale à démontré que S.G., la jeune femme étranglée sur la plage de C. le 14 août, à été la victime d’un drogué, retrouvé pendu non loin du lieu du meurtre.

Le 16 août, des promeneurs ont signalé à la police la présence d’un homme pendu dans une clairière de la forêt de C. à deux kilomètres du lieu du drame. L’enquête révélera la présence de peau appartenant à la victime sous les ongles du suspect. De plus, les empreintes de ses chaussures correspondent à celles retrouvées à proximité du corps de S.G. Il semblerait que l’homme se soit enfui dans la forêt après son forfait. C’est au lieu-dit : Le Poichou qu’il se serait alors confectionné une corde avec sa chemise afin de se pendre. L’autopsie a révélé que l’homme se trouvait sous l’influence du LSD et de l’alcool au moment des faits.

L’homme, qui ne portait sur lui aucun papier, n’a pas encore été identifié. Rien n’indique qu’il connaissait sa victime. Pour la justice, l’affaire est considérée comme classée bien que subsiste le mystère quant à l’identité du tueur et à son étonnante apparence : il s’agit d’un homme de taille 1 m 80, de corpulence moyenne, aux cheveux et à la peau complètement blancs.

Selon le légiste qui a examiné la dépouille, il ne s’agirait pas d’un cas d’albinisme, mais d’une transformation soudaine de la pigmentation due à une grande frayeur.

***

Certains hommes sont prêts à chercher et à questionner les lieux les plus reculés et refoulés de notre nature, et c'est louable.

Mais qu’en est-il des tricheurs, des apprentis sorciers ?

Sont-ils à même d’assumer toutes les conséquences de leurs actes et de faire face à la peur ?

Certaines substances ouvrent aux chercheurs des portes que tous ne sont pas prêts à franchir.

Pour s’aventurer par delà le monde qu’ils connaissent, les notions de bien et de mal que les hommes emportent avec eux, deviennent l’occasion de leur chute.

Ceux qui cherchent dans des endroits que leur propre conscience reconnaît comme un lieu sacré, un lieu de culte, s’y aventure souvent - à leur insu - accompagnés de leur propre juge.

L'ennemi de homme n'est jamais que lui-même… ses propres lois sont les premières tables de pierre à briser.

© Valentin Kaufmann

 

Page créée le 10.08.00
Dernière mise à jour le 10.08.00


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