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Mon amour,

Ça fait un moment que je veux t'écrire. Une lettre comme un paysage qui se dévoile petit à petit, ici un pré de fleurs, là-bas une montagne que la brume découvre, au fond un bateau qui traverse le lac, sans que l'on puisse le distinguer de son sillage, cette blessure.

J'aimerais une lettre sereine. Une lettre comme une traversée océanique dans les basses latitudes, comme le whisky que l'on savoure au coucher du soleil, dans le cockpit d'un bateau gentiment couché par une brise légère, gaie, généreuse; une lettre comme le petit matin dans les tropiques, qui est agréable car l'humidité te fait frissonner un peu, un tout petit peu, c'est bon, avant la chaleur ou après l'amour.

Une lettre où les mots seraient comme l'eau qui épouse le terrain, une lettre qui n'effleurerait que la peau des choses, comme certains regards, ou la lune quand elle n'est toute juste plus nouvelle.

Les vendredis je fais les courses et les samedis j'achète les journaux. La nuit je dors, où je rêve. C'est une vie comme un lac souterrain: sans toi je ne suis que le sous-locataire de moi-même.

J'aimerais te lire des poèmes sans fin et sans mots, ou partir en voyage et te présenter la ragazza jolie, pauvre et nerveuse qui à Milan m'a demandé de l'argent, c'était il y a vingt ans, probablement pour s'acheter de la colle, elle était jeune, huit ans, peut-être dix. Ou le Blues Café, à Amsterdam, tout noir, chaleureux paradoxe au bord de l'un de ces innombrables et innomables canaux qui entourent la ville comme on embrasse quelqu'un avant la séparation définitive. J'aimerais te raconter Cape Town, ce mélange d'Afrique et d'Europe où, il y a une éternité, je suis ressuscité; ou les plantations de thé de Gurué, des montagnes et des montagnes couvertes par le plus beau vert qui soit; ou l'île de Mozambique, lieu magique et aujourd'hui dévasté... Le monde est une table de billard et nous sommes des boules jouées par un joueur invisible, et distrait, qui nous a poussé l'un vers l'autre et a ainsi créé le feu.

Et je me souviens de tes seins, doux comme un lac au petit matin et de ton ventre image de l'univers si l'univers était plat et de tes cuisses qui me serraient comme si tu voulais me donner en cadeau aux dieux et de ta peau que la mienne respirait et de l'amour que nous faisions, éternels vainqueurs, interminables joueurs et immortels, chevauchés que nous étions sur les étoiles.

Je t'aime donc, ma guerrière, mon pur-sang, ma figure de proue, vision majestueuse dans un océan défait, tourbillon de chair et d'étoiles.

Et je t'embrasse.

Luis M. Serpa
lserpa@geneva-link.ch

 

Page créée le 18.05.01
Dernière mise à jour le 18.05.01

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