Toutes les voix ma voix

Je viens chaque matin pêcher les voix du monde
à la pointe extrême de l’imposture
ces voix que j’avale et digère
nouées au centre de mon ventre

les voix du monde
toutes les voix contraintes
des statues et des chiens
des rivières des mélodrames
des tombes aux viandes honteuses
partout les voix
des foules indubitables.

Je serai là lorsque descendra la nuit vierge
la nuit totale et musicale
que ne déchirent pas les sarcasmes du crime
je serai là
à la recherche de ma voix unique
à la recherche
de la première voix du monde.

Voix de sable

Ma voix de sable qu’emporte la houle
des villages trop querelleurs
tisse un voile sur les plaintes de gel
que taisent les palabres
la prose du vent.

Lorsque les rues se hâtent vers les heures closes
j’y rejoins des villes toujours proches et belles
bousculées de parfums, ivres de brumes sales.
Dans le sommeil étroit des hivers taciturnes
quand me désigne un verre
de ciel captif à partager
quand se nouent des langages abstraits et rapides
comme les cris de miel d’une mosquée qui chante
je parcours des saisons sans pénombre
emporté par le lent soliloque de pierre
des morts vindicatifs hautains et dérisoires.

Loin des rues épuisées certains soirs
derrière une fenêtre agitée de lumière
une bête embusquée guettant une parole
comme une gorgée d’alcool maternel.

Tentative d'évasion

Il nous reste à subir
le châtiment du temps qui tourne
et moisit dans ses murs
de clameurs brunes
si lourd est le tribut
de notre dépendance
à cette rigoureuse
réalité
plus menteuse pourtant
que les histoires d’arbres
qui se sont consumés
d’amour.

Ma conscience m’emporte
vers des terres balayées par la soif
vers des villes d’exil dont les ciels se sont tus
j’entends la prosodie urgente
d’enfants crépusculaires et d’époux épargnés
par la déroute du matin
dire l’éloge de la mort
contre les cris dont se vêtent les foules.

Reste le beau désir de dire à une femme
ce rêve d’évasion.

© Gilbert Charlamme

Page créée le 22.05.02
Dernière mise à jour le 22.05.02