Le journaliste
et traducteur d'origine glaronaise, installé à
Lausanne, se voit récompensé pour son travail
de passeur entre les deux côtés de la Sarine
Si Marcel Schwander n' existait pas,
la Fondation Oertli aurait dû l'inventer. Cette institution
a pour but d'encourager une bonne compréhension entre
les régions linguistiques de la Suisse. Or, les personnalités
qui ont consacré autant d'énergie que Marcel
Schwander à construire des ponts sur la Sarine ne courent
pas les rues. Lauréat du Prix Oertli 1999, doté
de 30 000 francs, ce journaliste et homme de lettres originaire
du canton de Glaris est un véritable emblème
de la communication confédérale.
Comme journaliste, il a travaillé
pendant dix ans à Bienne, ville bilingue, puis a été
pendant presque trente ans correspondant pour la Suisse romande,
basé à Lausanne, du Tages Anzeiger. Comme homme
de lettres, il a traduit en allemand de nombreux Romands,
de Jacques Chessex à Gaston Cherpillod et de Corinna
Bille à Amélie Plume. "En entrant dans
la littérature romande comme le spéléologue
entre dans les souterrains d'une montagne, j'avais l'impression
d'entrer dans l'âme des Romands ", déclarait-il
samedi lors de la remise du Prix.
Le Temps: Dans votre discours, vous vous
êtes aussi défini comme un "travailleur
des lettres". Qu'avez-vous voulu dire?
Marcel Schwander: La traduction ressemble
un peu au travail de la femme qui accouche, ou au travail
du laboureur qui passe et repasse sur le même sillon.
Il faut s'efforcer de percevoir la musique d'un texte, et
même son odeur. Ainsi, en traduisant Corinna Bille,
j'ai senti presque physiquement l'odeur des fleurs, de l'herbe....
- Avez-vous l'impression que chaque fois
il n 'y a qu une seule traduction qui soit juste?
- Non, surtout dans les textes allusifs,
poétiques. Parfois, on comprend le sens d'une page,
mais on ne trouve pas le moyen de le faire renaître.
D'autres fois, c'est le texte lui-même qui a plusieurs
sens, et alors il faut choisir, parce qu'il n'existe pas,
en allemand, un mot ou une phrase correspondant à la
multiplicité des sens du français. On dit toujours
que le français est plus précis que l'allemand,
mais en même temps il laisse beaucoup plus de choses
ouvertes.
- Quel est le rapport entre la langue et
la vision du monde?
- Chaque langue a une histoire. Le
français a pris naissance dans les milieux de cour,
c'est une langue élitaire. Quand on l'entend on se
croit à Versailles, on voit des femmes élégantes,
des perruques... Alors que l'allemand est plutôt une
langue paysanne. On ne peut pas dire exactement les mêmes
choses dans l'une ou dans l'autre. Chaque langue a ses possibilités
et ses limites propres.
- Vous avez traduit des auteurs romands,
vous avez informé les Alémaniques sur la Suisse
romande, mais le canton de Vaud, où vous êtes
installé, c'est encore autre chose...
- Oui, le canton de Vaud c'est un monde
à part. Ce qui m'a ouvert la porte pour le comprendre,
c'est de traduire le Portrait des vaudois de jacques Chessex.
Cette traduction a eu un succès énorme jusqu'en
Allemagne ou en Autriche, parce que j'ai vraiment essayé
de rendre accessible aux germanophones cette spécificité
vaudoise en cherchant des équivalences. Par exemple,
pour traduire certains mots de la vie paysanne, j'ai recouru
au vocabulaire de Jeremias Gotthelf.
- Comment avez-vous ressenti le fait de
travailler dans le journalisme et dans la littérature?
- En tant que journaliste, on se forge
une langue de tous les jours, rapide et efficace, mais qui
risque l'appauvrissement. Se plonger parallèlement
dans la langue littéraire, qui requiert du temps, c'est
comme un bain de jouvence.
Propos recueillis par Silvia Ricci Lempen
Lundi 29 novembre 1999
Page créée le 06.12.99
Dernière mise à jour le 20.06.02
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