Photo de la traductrice:
Yvonne Böhler
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Lauréate du prix
d'encouragement de la traduction, cette spécialiste
de la littérature romande explique comment
elle partage son temps entre son "gagne-pain"
et l'écriture de ses propres livres.
Yla von Dach a obtenu
le Prix Lémanique de la Traduction avec
Colette Kowalski en 2000.
"Le traducteur est
altruiste, ouvert, généreux"
Yla von Dach
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Cest lors de la récente Foire de Francfort
que le Prix dencouragement de la traduction de la
collection CH, décerné tous les trois ans,
a été remis à Yla Margrit von Dach.
Cette distinction récompense le travail d'une véritable
spécialiste de la littérature romande puisque,
de Monique Laederach à Catherine Safonoff, de Catherine
Colomb à Alexandre Voisard, de Sylviane Roche à
François Debluë, Yla von Dach a mis à
la portée des lecteurs allemands une bonne vingtaine
d'ouvrages. Née à Lyss, enseignante de formation,
elle vit à Paris. Ecrivain, elle a publié
deux récits: Geschichten
vom FräuIein (1982)
et Niemands Tage-Buch
(1990).
Le Temps: - Pourquoi ce choix de vivre
à Paris?
Yla von Dach: - Ce choix s'est fait
après la publication de mon premier livre: j'ai constaté
que je pouvais mieux écrire en vivant à l'étranger,
et Paris m'attirait. J'ai alors jeté mon dévolu
sur la traduction littéraire comme gagne-pain, pensant
naïvement que je pourrais en vivre, et que j'aurais
le temps d'écrire...
-Ce qui ne s'est pas réalisé
?
En fait, la traduction absorbe presque
toute mon énergie.
- Votre traduction du "Manuscrit"
de Sylviane Chatelain vient de paraître. Combien de
temps avez-vous travaillé sur ce roman de 200 pages?
- L'Editeur m'a proposé un
contrat à la fin de l'année dernière.
Bien sûr, je n'ai pas travaillé que sur ce
livre, puisque depuis deux ans, j'assure la traduction en
allemand de chaque numéro de la revue Animan; c'est-à-dire
que tous les deux mois, j'interromps mes travaux littéraires
pour traduire ces quelque soixante pages. Les revenus des
traducteurs littéraires indépendants sont
maigres et aléatoires. En règle générale,
nous ne touchons nos honoraires qu'à la remise du
manuscrit, ce qui revient à dire que nous devrions
être en mesure de vivre plusieurs mois sur nos réserves...
Ce qui n'est pas mon cas.
- Cette traduction vous a-t-eIle posé
des problèmes particuliers?
- Les premières pages m'ont
donné du fil à retordre: à dessein,
la romancière brouille les pistes, enlève
les repères, choisit délibérément
un style fragmentaire. C'est comme si elle voulait faire
le vide, établir un espace de silence, à partir
duquel pourra commencer la quête du texte qui est
l'objet véritable du roman. Un tel défi, juste
après une traduction de Troyat, moins satisfaisante
de ce point de vue, était fait pour me séduire.
- Quels sont les aspects de ce travail
qui vous enchantent?
-J'aime travailler la langue, suivre
ses méandres, affronter l'impossible. Et dans le
meilleur des cas, l'intensité de cette confrontation
à la langue me récompense amplement de ma
peine. Je suis sensible au double rapport à la langue,
méticuleux et intuitif, qui nous est demandé.
Mais les choses sont moins conscientes qu'elles n'y paraissent;
et je dois dire que les commentaires d'Eleonore Frey, chargée
par la collection CH de relire ce dernier travail ou, dans
le cas d'autres traductions, certaines discussions organisées
par le Centre de traduction littéraire de l'Université
de Lausanne, m'ont été très précieux.
- Et que détestez-vous dans ce
métier?
- La course contre le temps et les
délais. Bien sûr, sur ce plan, nous ne faisons
pas exception, presque tous les métiers connaissent
ces contraintes, mais dès qu'une certaine créativité
entre en jeu, le loisir cesse d'être un luxe, le temps
libre permet une prise de distance qui m'apparaît
presque indispensable à un travail de qualité.
- Vous avez traduit des écrivains
français (Alice Ferney, Henri Troyat), mais surtout
des auteurs romands. Est-ce un choix, et sentez-vous une
forme de parenté entre tous ces écrivains?
- Plutôt qu'un choix, cette
option est le fruit des circonstances, le fait des éditeurs
avec lesquels je travaille, et le résultat aussi
de la politique de subvention qui soutient la traduction
d'écrivains suisses (Pro Helvetia, la collection
CH). A maintes reprises, j'ai eu l'occasion d'apprécier
la richesse du contact personnel avec les romanciers que
j'ai traduits. Plutôt que de parenté, entre
ces écrivains romands, je parlerais peut-être
d'une certaine coloration de leur langue, d'un rythme profond
qui donne à leurs livres une tonalité différente,
me semble-t-il, des livres écrits en France.
-Vous êtes écrivain et traductrice.
Comment ces deux métiers se côtoient-ils?
-Je dirais qu'ils sont complémentaires.
Quand je traduis, je suis aux prises avec la problématique
d'un autre, je suis dégagée de moi-même.
Quand j'écris, c'est un travail sur moi, il y a une
part d'autocensure sur laquelle je dois travailler...
- Etes-vous d'accord avec ceux qui définissent
la traduction comme une forme d'effacement?
- Certes, le traducteur ne se montre
pas en pleine lumière. Aime-t-il être dans
l'ombre? Ne pas avoir à faire face? Mon point de
vue est plus positif: le traducteur est altruiste, ouvert,
généreux, il s'engage pour un auteur, se met
au service d'un texte qu'il aime et qu'il veut faire rayonner.
Marion Graf
Page créée le 06.12.00
Dernière mise à jour le 20.06.02
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