Olivier
Chiacchiari (1969). Auteur de plusieurs pièces
de théâtre dont La Cour des petits,
crée au Théâtre des Marionnettes de
Genève (2006) et de La Mère et l'enfant
se portent bien, crée au Poche-Genève
(2006).
Quel a été votre
cheminement vers l'écriture dramatique ? Est-ce une
suite de hasards heureux, un choix délibéré
ou l'aboutissement d'un travail en relation avec la scène
comme comédien, dramaturge, metteur en scène,
etc ?
C'est souvent à posteriori
que je comprends la nature profonde de mes choix et que
je perçois une cohérence dans mon parcours.
Il en va de même pour mon rapport à l'écriture
dramatique. Si aujourd'hui je suis au clair sur mes motivations,
c'est que je peux me retourner sur les dix-sept années
de travail ininterrompu qui ont dirigé ma vie, et
qui surtout, lui ont donné un sens.
Durant mon adolescence, parallèlement à mes
études de graphisme, je voulais devenir comédien.
J'ai étudié cinq ans au Conservatoire populaire
de théâtre et j'ai joué dans trois productions.
Mais des problèmes d'anxiété m'ont
très vite convaincu que je n'étais pas fait
pour m'exposer physiquement sur le devant de la scène.
En revanche, l'apprentissage du métier de comédien
m'a inoculé la passion du théâtre et
la fascination du texte: comment une pièce s'articule,
quel est l'enjeu d'une scène, qu'est-ce qui anime
les personnages
autant de questions qui m'ont encouragé
écrire ma première pièce, qui a donné
lieu à une réalisation radiophonique. Fort
de cet accueil positif, j'ai récidivé. Voilà
comment j'ai basculé.
L'écriture dramatique est un mode d'expression qui
me convient pour les "contraintes" qu'il impose,
à savoir celles du langage et de l'action. Contrairement
à l'écriture romanesque où tout est
possible, le théâtre a ses règles, mêmes
si elles ne demandent qu'à être transgressées.
Ce sont ces règles concrètes, définies,
qui expliquent sans doute que l'autodidacte que je suis
a osé s'y frotter sans se laisser submerger.
Dans cette discipline artistique,
le relais par ses pairs (conseils, encouragement, etc.)
semble important. Quelle a été pour vous la
rencontre avec vos pairs ? Ces relations sont-elles fortes,
enrichissantes, ou lointaines, voire inexistantes ? Comment
appréhendez-vous le paradoxe apparent entre le geste
solitaire de l'écriture et la dimension collective
propre au théâtre ? Quels sont vos liens avec
les praticiens de la scène, comédien, metteurs
en scène, et directeurs de salle ?
Il y a trois personnes qui ont énormément
compté dans mon parcours et à qui je dois
encore - d'une certaine façon - mes succès
d'aujourd'hui. Le premier est le dramaturge Bernard Bengloan,
qui m'a encouragé et conseillé durant de nombreuses
années. Le deuxième est François Truan,
qui nous a quitté l'an dernier, et à qui je
souhaite rendre hommage. Il a été le premier
à croire en mon travail et à le rendre public
via des lectures publiques. Le troisième est Claude
Stratz, évidemment, grand homme de théâtre,
qui en créant deux de mes textes à la Comédie
de Genève m'a ouvert les feux de la rampe.
Aujourd'hui, j'ai de plus en plus de plaisir à voir
mes personnages prendre corps sur le plateau et à
partager ces moments avec le metteur en scène et
les comédiens. Car si c'est une banalité de
répéter que le théâtre est un
art collectif, c'est une absurdité d'imaginer qu'il
peut se pratiquer sans partage. C'est ce partage - fragile
et complexe - qui intervient au sortir de l'écriture
solitaire, qui entretient ma passion pour le théâtre.
Quand à mes liens avec les praticiens de la scène,
ils sont très divers. Cela va du respect mutuel à
l'indifférence totale.
Vous avez connu ces derniers temps
une réalisation scénique comment s'est déroulé
cette rencontre? Y-a-t-il eu osmose ou est-ce toujours un
arrachement, un ex-propriation par la mise en scène
et les comédiens? Avez-vous découvert des
facettes nouvelles de votre écriture, voire de votre
psyché?
Je sors à peine des représentations
de La Cour des petits, créée par Guy
Jutard aux Marionnettes de Genève en coproduction
avec le Festival de la Bâtie.
C'en est presque gênant à formuler, tant cette
aventure a été formidable et riche, une osmose
totale entre le metteur en scène, les comédiens
et moi. Nous avons travaillé de concert, chacun mettant
à contribution ses qualités spécifiques
dans le respect de l'autre et pour l'intérêt
de tous
le rêve ! Et le résultat s'en
est ressenti, l'accueil du public et de la presse a dépassé
nos espérances.
Ces moments sont aussi précieux que rares, malheureusement.
Je crois que si les déceptions sont légion
en matière de collaboration artistique, c'est qu'il
est très difficile de faire coïncider les niveaux
d'exigences, les degrés de compétences, les
façons de voir le monde, etc. Une alchimie qui relève
de l'impossible ! Mais quand la rencontre survient, quand
le partage opère, quand les aspirations fusionnent
le théâtre y gagne. Et la vie aussi.
A l'heure où j'écris ces lignes, les répétitions
de La Mère et l'enfant se portent bien qui
sera créée au Théâtre de Poche
dès le 30 octobre par David Bauhofer viennent de
commencer. Une nouvelle aventure m'attend, je ne sais pas
encore comment elle se déroulera, ni le spectacle
qui en résultera, mais compte tenu du talent de David
Bauhofer et de la qualité de la distribution, j'ai
très bon espoir.
Vous écrivez et résidez
en Suisse romande, y-a-t-il pour vous une singularité
d'une écriture en Suisse romande, un état
d'esprit particulier ? Pourriez-vous de fait vous retrouver
dans les derniers mots de Raison d'être de
Ramuz qui se fixe pour objectifs de pouvoir écrire
un livre, un chapitre, une phrase qui ressemble à
la terre de ce pays ?
La singularité de toute région
ne provient pas de son écriture, mais bien de la
région elle-même. Et la singularité
romande, s'il en est, qu'elle soit politique, géographique
ou économique, inspire naturellement une bonne part
des écritures qui s'y pratiquent.
Personnellement, je ne cherche pas à décrire
cette région, mais mes joies et mes colères
y prennent racine, alors pourquoi pas mon écriture
? J'écrirais sans doute différemment si je
vivais en Afrique, en Chine ou au Bangladesh.
En 2003 l'antenne suisse des
Ecrivains Associés de Théâtre a été
fondée à Neuchâtel. Depuis quelques
années d'autre part, la SSA multiplie les innovations
pour promouvoir l'écriture en Suisse romande. Comment
percevez-vous ce mouvement ? Quelles sont les perspectives
que vous voyez pour l'écriture en Suisse romande
?
Toutes les initiatives qui visent
à promouvoir et à soutenir l'écriture
sont le bienvenu. A l'aube du XXIe siècle, il semble
que le théâtre prend conscience qu'il a besoin
d'un souffle nouveau, il doit négocier un virage,
et ce virage ne peut se faire - à mon sens - que
par l'émergence de fables nouvelles. Ce sont les
fables d'antan qui ont fait la grandeur du théâtre
et ce sont les fables d'aujourd'hui qui lui rendront ses
lettres de noblesse. J'en fais le pari !
Fatigués de ressasser les classiques, on en vient
enfin à encourager l'écriture, afin que le
théâtre renoue avec son époque. Mais
il faut toutefois rester vigilants: encourager tous azimuts
peut aussi favoriser un certain dilettantisme. L'écriture
doit être encouragée, certes, mais elle ne
saurait en aucun cas être suscitée. C'est un
acte intime, déterminé, qui doit venir de
l'intérieur. Il ne s'agit pas de se découvrir
écrivain juste parce qu'on vous fait miroiter une
bourse !
En ce qui concerne les perspectives pour l'écriture
en Suisse romande
bien inspiré celui qui pourrait
répondre avec conviction ! Je dirais simplement ceci:
je ne sais pas quelle pourra être un jour la valeur
de mes années de travail, ni des pièces qui
en résultent. Mais ce que je sais, c'est que les
rares auteurs de théâtre romands qui se sont
illustrés et ont perduré ces trente dernières
années, n'ont jamais eu - et n'ont toujours pas -
ce qu'ils méritent. A savoir: une reconnaissance
professionnelle durable, qui leur permettrait en fin de
carrière de ne plus avoir à lutter comme au
premier jour
Alors les perspectives ? Pour conclure sur une touche optimiste,
disons que les mauvais sorts sont faits pour être
conjurés.
Propos recueillis en septembre
2006 par François Marin
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