Hommage à Colette Kowalski
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Colette
Kowalski 1936-2006 , par Iso Camartin |
Colette Kowalski 1936-2006
Ich begegnete Colette im Jahr 1970
in Lyon, zur Zeit, als an den Universitäten das Diskussionsfieber
grassierte, als Politisches und Poetisches sich kühn
mischten, als Zeit zu reden und zu streiten etwas war, das
alle in grossen Mengen vorrätig zu haben schienen.
Sie erschien regelmässig zu den Veranstaltungen des
Goethe-Instituts, wo man literarische Neuerscheinungen deutschsprachiger
Autoren vorstellte. Als Deutschlehrerin an einer französischen
Schule wollte sie sich kundig machen, woher der neueste
Wind auf literarischem Feld bläst. Wir freundeten uns
schnell an: Colette war von geradezu ansteckender Herzlichkeit
und von unwiderstehlichem Charme. Ab und zu lud sie mich
zu sich und ihrem Mann Roger nach Hause zum Abendessen ein.
Dort habe ich erfahren, was französische Lebensart
ist und wie das Bürgerliche und das Intellektuelle
sich in einer Bücherburg verbinden lassen. Damals hatte
ich gerade Chateaubriand entdeckt, die Mémoires
d'outre-tombe, und es gab für dieses zu den Tagesfragen
völlig quer stehende Buch keine enthusiastischere Leserin
als Colette. Wir unternahmen gelegentlich etwas gemeinsam:
am Wochenende mit Freunden eine kleine Kunstreise ins Beaujolais,
oder einen Besuch in der Oper. Dabei entdeckte ich, dass
Kunst und Musik ihr Herz ebenso bewegten wie die Literatur.
Später traf ich sie gelegentlich
in ihrer Galerie, die sie inzwischen führte. Einiges
hatte sich verändert: Roger Kowalski, - Dichter, Lebenskünstler,
Ästhet - war überraschend früh gestorben.
Sie hatte begonnen, sich alternative Beschäftigungen
zur Schule auszudenken, die sie mehr als das Unterrichten
von Halbinteressierten lockten: die Galerie und das Geschäft
des Übersetzens. Hartmut Köhler, Romanist und
mit der Herausgabe und Übersetzung von Paul Valérys
Cahiers betraut, trat in ihr Leben. Ich denke, die
Arbeit einer Übersetzerin entsprach nun viel besser
ihren Lebensprioritäten. Und so kam es, dass sie für
viele Gegenwartsautoren zu einer hoch kompetenten und äusserst
einfühlsamen Übersetzerin wurde. Vor allem für
die Verlage Zoé, Gallimard und Le Seuil wurde sie
zur wichtigen Vermittlerin von deutschsprachiger Gegenwartsliteratur.
Über 30 Bücher hat sie aus dem Deutschen ins Französische
übertragen, von Schriftstellern wie Botho Strauss und
Thomas Hürlimann zu Markus Werner und Peter Weber.
Vor allem Autoren und Autorinnen aus der Schweiz müssen
ihr dankbar sein für diese Vermittlung in den französischen
Kulturbereich hinein. Ihre Übersetzungen wurden mehrfach
mit Preisen ausgezeichnet: so etwa mit dem Prix Gérard
de Nerval, dem Prix Lipp oder dem Prix lémanique
de traduction.
Ich erinnere mich besonders gern
an eine Eigenart von Colette: Wenn sie glücklich war
und mit sich und der Welt zufrieden, hat sie - etwa beim
Spazieren durch die Strassen einer Stadt - leise vor sich
hingesummt. Sie steckte voll von Melodien und musikalischen
Themen - vor allem die Liedkunst der Romantik hatte es ihr
angetan. Man konnte wunderbar mit ihr über Musik reden
- es bewirkte eine Art Leuchten bei ihr, das der Beweis
dafür war, wie tiefgreifend Musik ihr Leben bestimmte.
Neben dem Reisen durch Italien, das sie ebenso liebte. Nun
hat Colette Kowalski uns verlassen, leise und viel zu früh.
Wenn ich an sie denke, sehe und höre ich sie durch
eine süditalienische Stadt schlendern, eine Melodie
von Schumann oder Fauré vor sich hinsummend.
Iso Camartin
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Heurs
et malheurs du traducteur (par Colette
Kowalski) |
Heurs et malheurs du traducteur
Mesdames, Messieurs
Il vous est peut-être arrivé
au théâtre, restreint de tous côtés,
ankylosé et somnolent, alors que sur scène
les acteurs s'ébattent en liberté et semblent
en tirer un très vif plaisir, de vous demander s'il
ne serait pas plus juste de payer le public dont la présence
patiente rend possible l'exercice d'une activité
si gratifiante.
Il en va un peu de même avec la traduction, délectable
occupation qui se voit non seulement rémunérée,
mais parfois, ô miracle, récompensée.
Un traducteur rend-il de si éminents services à
l'humanité, procure-t-il à ses lecteurs autant
de plaisir qu'il en a éprouvé ? J'en doute.
Certes je lis comme tout le monde
des traductions, sans quoi je ne saurais rien de bon nombre
de littératures. Cela m'arrive même dans les
langues que je connais un peu et je me souviens avec reconnaissance
de la collection "Domaine anglais" dirigée
par Pierre Leyris au Mercure de France qui, sous la même
couverture vert tilleul, m'a fait connaître Kenneth
White, Arthur Symons, Dorothy Richardson et bien d'autres.
Donc, il est assez utile de traduire, et je pense qu'on
peut le faire la tête haute, même si le traducteur
a plutôt mauvaise réputation.
Cependant, si l'on considère
que bon nombre de traducteurs de grandes langues européennes
ont passé ou passent encore une partie non négligeable
de leur existence à enseigner l'idiome qu'ils traduisent,
et que selon toute vraisemblance il continuera à
en être ainsi dans l'avenir, on bute sur un petit
mystère, Si leur enseignement est efficace, ils scient
la branche sur laquelle ils sont assis. Or, malgré
les générations de polyglottes formés
depuis des générations dans nos établissements
d'enseignement, on continue à traduire de l'anglais,
de l'allemand, de l'espagnol, même dans la Suisse
quadrilingue. La branche tient bon. Il y aurait peut-être
quelque conséquences à tirer de cette constatation,
mais je ne veux pas le faire, car ce serait déplorer
un échec dont on se félicite secrètement.
Le plaisir à traduire, c'est
d'abord un plaisir de lecture. Tout livre qu'on lit est
un supplément d'existence que l'on s'approprie, mais
la traduction est une lecture à la puissance x. Car
la langue étrangère, pour le lecteur qui la
possède à peu près, est une vitre transparente,
elle peut présenter des bulles ou des défauts,
il ne s'y arrête pas. Tout juste s'il se félicite
parfois de ne pas avoir à préciser tel ou
tel passage qu'il perçoit pour ainsi dire sous forme
vaporeuse. Cette vitre ne révèle son caractère
d'obstacle que quand il s'agit de traduire. Pour commencer
tout l'abandonne, la langue source dévoile ses chausse-trapes,
la langue natale semble soudain se dérober, ne lui
présente plus que des trous béants. C'est
pour le traducteur la traversée du désert,
l'expérience de la déréliction.
Pourtant j'ai parlé de plaisir.
Il s'affirme au cours des versions successives, des tâtonnements,
lorsqu'il n'est plus besoin de regarder l'original, que
le texte commence à lever comme une pâte, à
prendre forme et consistance. Au plaisir du lecteur succède
alors le plaisir de l'interprète, celui du pianiste
qui, connaissant ses notes par coeur, commence à
modeler son toucher, sa couleur, son phrasé sur ce
qu'il pressent de l'esprit de la musique. C'est une lente
mise à l'épreuve du langage, des ressources
propres, point si propres que cela, car rien n'aide davantage
à traduire que de lire en même temps dans sa
langue et de puiser aux bonnes sources.
C'est la tâche de l'auteur,
et éminemment du poète, de chercher "l'or
du temps". Le traducteur, n'a plus qu'à éviter
que, par une alchimie inverse, cet or natif n'entre en un
alliage douteux avec le vulgaire métal de sa langue
propre. Hélas, que de fois l'auteur pourrait-il s'écrier:
"Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé?"
Reconnaissons que tout ce qui s'écrit n'est pas d'or
pur. Nous autres lecteurs n'en pourrions plus d'admiration.
Mais il n'empêche que la transmutation doit s'opérer
au niveau convenable, qu'un argent de bon aloi ne doit pas
se changer en maillechort. Et j'arrive à une autre
composante du bonheur de traduire. Peu d'activités
offrent tant de variété. Un truchement satisfait
de son état accueille avec transport cette diversité.
Caméléon qu'il est, non seulement il ne souffre
pas de sa versatilité, mais trouve plaisir à
changer de couleur. Il lui arrive même d'en être
un peu surpris. Et quoi de plus agréable que d'arriver
encore, de ci de là, à se surprendre soi-même
quand on s'est fréquenté pendant des décennies
?
Cependant le traducteur ne réussit
pas toujours à se rendre invisible. Je pense aux
traducteurs des Mille et une nuits dont Borgès trace
le portrait dans "Histoire de l'éternité",
Galland, Burton, Mardrus et je crois quatre traducteurs
allemands. Il ne s'agit pas pour Borgès de décerner
des prix de fidélité. Aucune de ces traductions
n'est vraiment fidèle, et dans ce cas qui s'en soucie
? Ce qui l'intéresse, c'est ce qui, dans la traduction,
transparaît du traducteur sans qu'il le veuille ou
qu'il s'en doute. Une coloration d'époque, bien entendu,
car le traducteur vit dans son siècle, mais aussi
des variations plus subtiles, dues au tempérament:
pudique ou un peu prude, brutal ou vigoureux, obscène
ou seulement licencieux. La confrontation donne à
réfléchir, car, bien que toutes ces traductions
soient, chacune à leur façon de bonnes traductions,
elle fait apparaître des manies littéraires
dont aucun traducteur n'est exempt.
Pourtant, me semble-t-il, le traducteur
devrait tendre à adopter un manteau couleur de muraille,
avoir l'ambition de retrouver la transparence de la vitre
insoupçonnée. On pourrait penser que la meilleure
façon de se rendre invisible est de s'attacher à
une stricte littéralité, la fidélité
jusqu'à la mort, la mort du texte dans la plupart
des cas. Car l'étroite imitation conduit souvent
à un produit qui n'a de nom dans aucune langue humaine.
Il est fort regrettable que la structure syntaxique de l'allemand
ne puisse guère s'imiter en français et que
le traducteur se sente à tout moment gêné
dans sa liberté de mouvement. S'il est possible et
hautement louable d'écrire comme le fait Saint-John
Perse "Etroits sont nos vaisseaux, étroite notre
couche", peut-on en déduire qu'on est habilité
à retourner la phrase française sens devant
derrière pour "rendre" la structure allemande
?
Quel serait l'opposé de la
littéralité ? Une traduction frisée,
apprêtée au goût supposé du lecteur,
qui gomme les étrangetés, en rajoute quand
elle le peut, se targue même secrètement de
rendre service à l'auteur. je ne dirais pas que cela
ne puisse être parfois bénéfique et
qu'il ne puisse y avoir de traductions meilleures que l'original.
Mais je parle par ouï-dire sans y être jamais
allé voir. Et la cohorte des grands écrivains
affadis, repassés, raplatis par leur traducteur est
bien plus nombreuse que la poignée de pisse-copie
ennoblis par le passage à une autre langue.
Ces deux écueils, littéralité
et amélioration, qui l'un comme l'autre témoignent
d'une vraie sollicitude, tout traducteur les connaît
et doit naviguer à l'estime sans s'y fracasser. Infiniment,
incommensurablement plus difficile, et quasi hors de portée
des forces humaines, est de rendre le halo sonore et affectif
qui auréole les mots, dans leur sonorité et
dans leur graphie même. C'est une entreprise impossible.
Jamais "Liebe" pour une oreille française,
ne sonnera comme "amour" ou plus passionné
encore "amore". Jamais le "coeur" français,
que pour comble de disgrâce on prononce à Lyon
chez les vrais natifs comme corps, c'est-à-dire que
dans les vers de Baudelaire "Car à quoi bon
chercher tes beautés langoureuses ailleurs qu'en
ton cher cur et qu'en ton corps si doux", on
distingue mal le viscère de l'ensemble, ce "cur",
si discret, si élégamment gris quand la voyelle
est pure, qu'a-t'il de commun avec l'élan, la projection
dans l'espace du mot "Herz" : "Dein ist mein
Herz, dein ist mein Herz, und wird es ewig, ewig bleiben".
dans le lied de Schubert. Je pense aussi à une exposition
de gravures en noir et blanc que j'avais intitulée,
et je n'en étais pas mal satisfaite "Sang d'encre".
Imaginerait-on une galerie allemande qui annoncerai"Tientenblut".
On touche là à des frontières infranchissables
dont la rigueur se fait sentir surtout en poésie.
Dante écrit dans le "Convivio": "Que
chacun sache que nulle chose par un lien poétique
harmonisée ne se peut de son langage en un autre
transmettre sans rompre toute sa douceur et harmonie".
J'évoquerai encore une condition
qui me paraît essentielle et je pense que tout traducteur
me donnera raison: on ne peut se passer d'un conseiller
secret, d'un locuteur conscient de l'autre langue, sachant
distinguer avec sûreté ce qui est fait de langue,
qui ne paraît original au traducteur que parce que
celui-ci ne vit pas dans l'intimité de cette langue,
et ce qui est invention, création personnelle, qui
a de plus le sentiment sûr des niveaux, des registres
de sa langue. L'auteur, s'il est vivant, peut vous guider.
Et je suis très reconnaissante à certains
auteurs qui m'ont évité des bévues
monumentales. S'il en reste, j'en porte l'entière
responsabilité, parce que, ne m'en étant pas
aperçue, je n'ai pas posé de question. Et
pour terminer en véritable truchement, je voudrait
lire un passage de Botho Strauss, beaucoup plus beau que
tout ce que je pourrais dire, empreint de cette étrange
intemporalité propre à lui et qui exprime,
je ne dirais pas de façon exemplaire, car le passage
n'est sans doute exemplaire que de Botho Strauss, mais de
façon littéraire, c'est-à-dire artistique,
ce que peut être cette recherche dans la pénombre
parfois traversée de modestes éclairs.
"De vieux traducteurs, rien
que le couple seul le soir dans la rue, ils se dressent
comme deux hautes ombres d'autres, ombres de peau et d'os.
Grands échalas, étirés en hauteur.
Carcasses perdurables avec le même pas, les même
épaules voûtées par la tâche journalière
partagée. Qui longuement auscultent le langage, se
taisent, prennent le vent comme le gibier dans la clairière,
jusqu'à ce qu'enfin l'un tente un nouvel essai [...]
Le mot est éprouvé sur les lèvres,
dans l'oreille, dans l'esprit, dans l'enchaînement
- rejeté par tous deux. [...] Ainsi, quand ils sont
assis face à face au café, ces géants
émaciés; les vieux doigts se rencontrent au
milieu de la table, signalent par un léger tapotement
quand quelque chose semble venir, quelque chose de commun
dans le langage qui sans cesse se dérobe. Des heures
durant ils méditent sur le mot commun. Quel halo,
quelle connotation, quelle mélodie primordiale, quel
appel expiré le mot frôle-t-il ?
Ce n'est pas à elle qu'il parle, pas plus qu'elle
ne parle à lui. Ils parlent pour trouver ce qui manque,
peu de choses certes, insatisfaits qu'ils sont de tout mot
trop vite adopté. Il faut très longtemps pour
que se dégage la solution commune, il s'agit de traduction.
[...] Et tandis que l'homme peut-être persiste dans
un état de mutisme très profond, animal, la
femme sent souffler un vent de voix, de sorte que le mot
s'envole de ses lèvres, sans effort, sans qu'elle
le veuille [...] Commence un réarrangement expérimental.
Mais ce mot, produit d'une quantité d'autres déjà
écartés, ne sonne pas juste non plus, bien
qu'il brasille un peu comme le feu de position du bac sur
le fleuve nocturne. Il ne parvient pas à se dépasser...
Néanmoins ce qui est arrivé nécessite
une interprétation et c'est cette nécessité
qui a fait les deux vieillards si grands et si maigres,
comme si l'intraduisible minait l'homme, comme si cette
résistance l'étirait en longueur. Ils s'élèvent
déjà si haut qu'ils voient par la fenêtre
du premier étage les familles attablées pour
le repas du soir - s'il leur arrive de lever le triangle
effilé de leurs visages, au lieu de la tenir obstinément
baissé sur la pointe de leurs pieds."
Il me reste à remercier les
membres du jury, monsieur le professeur Lenschen qui se
bat pour que vive ce prix, et vous tous, ici présents,
pour votre bienveillante attention.
Colette Kowalski
Sixième remise du Prix lémanique
de la traduction littéraire 2000. Colette Kowalski
et Yla M. von Dach. Ed. Walter Lenschen, série: Prix,
2001, 104 p.
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Extrait
de Feuxcroisés n°4 : Entretien avec Colette Kowalski,
par Isabelle Rüf |
En 2002, la revue Feuxcroisés
n°4 consacrait un dossier à Colette Kowalski.
Nous vous en proposons ici des extraits.
Traduire, comme d'autres
jouent aux billes
Entretien avec Colette Kowalski
Au cours d'un atelier organisé
l'an dernier à bord du Bateau inter-lignes, journée
que la Collection ch organise chaque année sur l'eau
en l'honneur des passeurs que sont les traducteurs, il fut
donné lecture d'un travail en cours sur le roman
de Peter Weber, Der Wettermacher: un texte jugé
proprement intraduisible en vertu de ses néologismes,
ses jeux de mots, des emplois qu'il fait du dialecte et
de son rythme très particulier. Le kamikaze de la
traduction se révéla être la Lyonnaise
Colette Kowalski. On cita alors une trouvaille de la téméraire:
là où le romancier alémanique voyait
des "Wesen und Aber-wesen", elle avait imaginé
des "êtres et des peut-être". Rendre
à la fois aussi rapidement l'ambiguïté
et l'étrangeté de l'énoncé,
c'était une belle intuition. Colette Kowalski a donné
de nombreuses preuves de son audace stylistique en se confrontant
à des écritures complexes. Si elle l'a exercée
sur de nombreux auteurs de Suisse allemande, elle ne voit
pas chez eux d'écueils particuliers. La dif?culté
est partout et parfois dans les textes simples.
Après avoir longtemps exercé le métier
d'enseignante, Colette Kowalski a pratiqué à
Lyon un métier qui est aussi une passion. Elle effectue
de longs séjours en Allemagne pour entretenir un
rapport vivant à la langue. En raison d'un agenda
compliqué, la rencontre a donc été
virtuelle, sur une aire de ces "autoroutes" de
la communication, par les sentiers du e-mail.
- Colette Kowalski, comment êtes-vous
venue à la traduction?
- J'ai commencé à
traduire "of?ciellement" assez tard, en ce sens
seulement je suis encore une jeune traductrice. Si je précise
"of?ciellement", c'est que j'ai, depuis l'adolescence,
beaucoup traduit, comme d'autres jouent aux billes, par
plaisir, mais aussi dans l'espoir d'apprendre les langues,
en particulier l'allemand dont j'avais besoin pour faire
une licence (ancien style) de lettres modernes.
J'ai donc étudié à Lyon et à
Paris. Dans le même temps, je suivais les cours du
Conservatoire d'art dramatique de Lyon, car le théâtre
me paraissait la chose la plus intéressante du monde.
Finalement j'ai enseigné le français et l'allemand
au collège et au lycée et, après la
mort de mon mari, le poète Roger Kowalski, j'ai dirigé
pendant quinze ans une galerie d'art à Lyon, la galerie
K, activité point vraiment lucrative, mais très
enrichissante par les amitiés nouées avec
les artistes.
- Quels sont vos liens avec la
langue allemande?
- Mes premiers contacts avec l'allemand
ont été les opéras de Wagner et les
lieder de Schubert. Je n'avais pu apprendre l'allemand à
l'école, car, dans les années d'après-guerre,
c'était une langue peu proposée. C'est donc
par la musique que j'ai connu mes premiers mots d'allemand.
On peut faire pire! Cependant, reconnaissons-le, le vocabulaire
ainsi acquis ne se révèle pas d'une grande
utilité dans la vie courante. Il est dif?cile de
placer un Lindwurm dans la conversation. Il m'a fallu faire
de nombreux séjours en Allemagne, en général
avec le Goethe-Institut, pour acquérir un peu de
pratique. Et depuis vingt ans, je passe beaucoup de temps
en Allemagne, surtout depuis que je n'enseigne plus.
- Et comment avez-vous donc fait
le pas de la traduction?
- Si je suis devenue traductrice,
je le dois à Bernard Lortholary que j'ai rencontré
à Paris, alors que je venais de traduire la thèse
de Hartmut Köhler, sur les Cahiers de Paul Valéry.
Dans la conversation il m'a proposé un essai (il
était alors directeur de collection chez Flammarion),
ce fut Doris Dörrie, Liebe, Schmerz und das ganze verdammte
Zeug (Amour, délire et morgue). Devenu éditeur
chez Gallimard, il m'a par la suite régulièrement
con?é des livres et je lui dois beaucoup.
- Peter Weber, Iso Camartin,
Peter Utz..., comment se fait-il que vous traduisiez autant
d'auteurs suisses?
- Mes relations avec la Suisse,
et en particulier avec les éditions Zoé, ont
commencé peu après. Le deus ex machina fut,
dans ce cas, Iso Camartin que j'avais connu à Lyon
et qui me demanda de traduire son livre, Nichts als Wörter?
(Rien que des mots?) qui parut chez Zoé. Par
la suite, j'ai encore traduit, toujours chez Zoé,
deux livres d'Iso Camartin et d'autres auteurs suisses.
La dernière parution est le très beau livre
de Peter Utz sur Robert Walser. Beaucoup de bonnes choses
me sont venues de Suisse: la connaissance de Marlyse Pietri
et les rapports de con?ance que nous entretenons, une bourse
de Pro Helvetia, deux fois le prix Lipp (qui ne concerne
qu'accessoirement le traducteur), le Prix lémanique
de traduction l'année dernière, et de temps
en temps des travaux pour la revue Passages de Pro Helvetia
ou, ce qui me plaît tout particulièrement,
pour le musée de Genève, par exemple pour
le catalogue Cuno Amiet ou dernièrement pour celui
de l'exposition "Un siècle de dé?s".
- La traduction d'auteurs alémaniques
pose-t-elle des problèmes particuliers?
- Je ne pense pas qu'un écrivain
suisse pose au traducteur des problèmes spéci?ques.
Il me semble que la discussion autour des "différences"
langagières est une sorte de serpent de mer que l'on
ressort de temps en temps pour meubler les réunions
entre traducteurs. Cela vaut aussi pour le français
"fédéral", qui, à d'in?mes
et savoureuses nuances près, ne se distingue en rien
de ce qu'on écrit dans le pays voisin. Bien sûr
Ramuz n'écrit pas comme Giono, mais c'est affaire
de personnalité littéraire, non de langue.[
]
[
]
- Qu'aimez-vous dans ce travail?
- Si j'aime tellement traduire,
c'est sans aucun doute qu'il s'agit là d'un art d'interprétation.
Le traducteur n'est pas un créateur (beaucoup de
grands traducteurs ont été ou sont aussi des
écrivains, l'un n'empêche pas l'autre, parfois
même l'un ?nance l'autre! mais je suis sûre
qu'ils ont parfaitement conscience d'agir à deux
niveaux différents), il avance à l'ombre de
son auteur, sa responsabilité est limitée,
celle du créateur est entière.
[
]
- Y a-t-il des aspects pénibles
dans cette profession?
- Non, sauf quand on a ?ni un livre
et qu'il n'y en a pas d'autre en vue. Sauf quand on rêve
de traduire quelque chose et que l'on s'aperçoit
que c'est déjà fait. Sauf quand on voudrait
faire accepter un texte qui vous est cher et que l'on se
heurte à des refus. Sauf quand on souhaiterait se
voir proposer quelque chose que l'on n'a jamais fait (dans
mon cas du théâtre), et que cela n'arrive jamais.
Sinon le travail lui-même n'est pas pénible.
Désespérant, oui, parfois, dans la phase de
déchiffrage ou de défrichage, mais cela ne
dure que le temps du premier contact. Une fois que l'on
dispose d'une première version, même très
imparfaite, d'autres mécanismes se mettent en marche,
l'idiome natal reprend le dessus, et rien n'est plus passionnant
que de sentir le texte prendre forme.
Propos recueillis par Isabelle Rüf
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Colette
Kowalski, par Marlyse Pietri |
Colette Kowalski s'est lancée
sans hésiter, avec un savoir-faire lumineux, dans
les traductions les plus difficiles que je lui ai proposées
: le livre de Peter Utz sur Robert Walser (Danser dans
les marges), un essai de 500 pages bourré de
citations de Walser ; le roman de Peter Weber (Le Faiseur
de temps), l'exemple même d'une fiction qui passe
pour un défi à la traduction ; et dernièrement,
le gros volume de Peter von Matt (Sang d'encre. Voyage
dans la Suisse littéraire et politique), un ensemble
de portraits savamment reliés entre eux aux fins
de prouver que les Suisses écrivent une littérature
plus proche de la politique de leur époque qu'on
ne se l'imagine d'ordinaire. Colette Kowalski, française,
a été un passeur de la littérature
alémanique pour les lecteurs francophones, avec maestria.
Il faut encore citer Eveline Hasler, Hanna Johansen et Iso
Camartin dont elle a traduit trois livres.
Elle a aimé et su jouer avec
les mots en prenant les risques du créateur. La soirée
de lecture à deux voix, celle de Peter Weber en allemand,
la sienne en français, dans une librairie lausannoise
en 1999, a été un moment intense, rythmé
et joyeux de la lecture publique en Suisse romande. Cette
voix s'est tue, nous ne l'entendrons qu'en lisant ses pages,
avec une immense tristesse.
Marlyse Pietri
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Oeuvres
traduites par Colette Kowalski |
Hartmut Köhler |
Paul Valéry
- Klincksieck 1985 |
Doris Dörrie |
Amour, délire
et morgue - Flammarion 1989 |
Iso Camartin |
Rien que des mots
- Zoé 1989 |
Marion Dönhoff |
Une enfance en
Prusse orientale - Albin Michel 1990 |
Albert Drach |
Voyage non sentimental
- Plon 1990 |
Gabriel Loidolt |
Le phare -
Gallimard 1991 |
Hanna Johansen |
Retour à
Oraïbi - Zoé 1991 |
Joseph von Westphalen |
Dans la carrière
- Gallimard 1993 |
Eveline Hasler |
Le géant
dans l'arbre - Zoé 1992 |
Eveline Hasler |
La femme aux ailes
de cire - Zoé 1993 |
Norbert Gstrein |
Le registre
- Gallimard 1994 |
Beate Brüggemann |
Le village allemand
- Presses universitaires du Mirail 1994 |
Markus Werner |
A bientôt
- Gallimard 1994 |
Dieter Bachmann |
Rab - Zoé
1995 |
Botho Strauss |
L'incommencement
- Gallimard 1995 |
Iso Camartin |
Sils-Maria
- Zoé 1996 |
Pham Thi Hoai |
Menu de dimanche
- Actes Sud 1997 |
Emine Sevgi Özdamar |
La vie est un caravansérail
- Zoé 1997 |
Botho Strauss |
Pénombre,
demeure, mensonge - Gallimard 1997 |
Elfried Kern |
Etude pour Adèle
et un chien - Gallimard 1998 |
Peter Weber |
Le faiseur de temps
- Zoé 1998 |
Botho Strauss |
Les Erreurs du
copiste - Gallimard 1999 |
Katrin Seebacher |
Matin ou soir -
Gallimard 1999 |
Iso Camartin |
Le principe de
voisinage - Zoé 1999 |
Peter Utz |
Robert Walser
- Zoé 2001 |
Sven Regener |
Herr Lehmann,
Paris, Le Seuil, 2004. |
Thomas Hürlimann |
Mademoiselle Stark,
Paris, Le Seuil, 2004 |
Marica Bodrozic |
Tito est mort,
Paris, Editions de l'Olivier, 2004. |
Peter von Matt |
Sang d'encre.
Voyage dans la Suisse littéraire et politique,
Zoé, 2006. |
Page créée le 06.06.06
Dernière mise à jour le 16.06.06
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