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Nouvelles écritures dramatiques de Suisse romande (6)

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Dans un dossier conséquent consacré par Feuxcroisés 7/2005 - la revue "cousine" du Culturactif - aux écritures théâtrales de Suisse, François Marin avait notamment interviewé Mathieu Bertholet, Antoine Jaccoud, René Zahnd, Marielle Pinsard et Dominique Ziegler. Dans la continuité de ce travail, il  a donné la parole à des figures émergentes de la nouvelle dramaturgie romande sur le Culturactif, de septembre à décembre 2006. Il reprend ici la constitution de ce qui devient  un dossier fourni sur les jeunes dramaturges de Suisse romande. Après  Bastien Fournier, Sandra Korol, Patrick Suter, Odile Cornuz, Nadège Reveillon, Julie Gilbert, Valérie Poirier et Olivier Chiacchiari, Michel Beretti et Camille Rebetez, François Marin s'adresse ce mois de mars 2007 à Yves Robert et Alexandre Friedrich — également présent dans la sélection des Livres du mois.

 

  Yves Robert , par François Marin

Yves Robert (1964). Auteur de plusieurs pièces de théâtre comme La Mort de Vladimir (2004) et de La Femme qui tenait un homme en laisse (2006)

Quel a été votre cheminement vers l'écriture dramatique ? Est-ce une suite de hasards heureux, un choix délibéré ou l'aboutissement d'un travail en relation avec la scène comme comédien, dramaturge, metteur en scène, etc ?

Mon parcours est proche de celui du compagnonnage. D'abord c'est le choix de l'approche du théâtre par la base, soit par la technique. En effet, comment connaître le monde et ses rythmes si l'on ne connaît pas ce qui le tisse ?
Et puis, il y a encore ce qui appartient à la famille et qui ne peut se dire en dehors du cercle des connivences, alors, silence...
Mais surtout, il y a le choix d'un regard sur le monde, rien de ne sert d'être innocent et de traverser la vie en spectateur ébahi, c'est donc une irrépressible envie de s'exprimer, de faire part d'une conviction, et surtout de faire part d'un questionnement. J'ai toujours écrit, systématiquement, en curieux compulsif, et c'est seulement vers l'année 2003, alors que nous entrions réellement dans cette nuit triste de l'après 11 septembre, que je me suis senti assez sûr de mes propos et de leur mise en forme.
Je savais, par mon travail technique, le rôle de la lumière et de son espace. Je savais la fonction de l'ombre et ce qu'elle amène secrètement, pleinement au théâtre, alors je pouvais enfin chercher une application dans la lettre et me risquer en apprenti consciencieux sur la piste du verbe.
Il y a aussi cette impression que la pensée est nécessaire à ma vie : Ecrire, c'est un moyen de développer une pensée en lui appliquant des contraintes, des règles, et souvent émerge de cela un équilibre, malheureusement toujours provisoire. Ensuite, la pensée écrite “ compliquée, développée ”, de nouveau retourne vers la parole, puisque nous sommes en théâtre, et par cela s'épure et retrouve une certaine naïveté. J'en reviens au tissage, comme le mouvement régulier de la navette, des va et vient qui à la fin dévoile une toile.
La notion de pensée me tient fort au cœur. Je présume le théâtre plus important qu'il n'y paraît. Cela ne peut être simplement le développement de quelques idées. Cela doit être une véritable pensée. Attention, il ne s'agit pas de se méprendre et de proclamer quelques vérités. J'espère rester dans la marge étroite du questionnement. Je n'ai pas de vérité.

En résumé, le cheminement qui me mène à l'écriture théâtrale est complexe, mais je le définirais, entre autre, par une impression de perte de l'innocence.

Dans cette discipline artistique, le relais par ses pairs (conseils, encouragement, etc.) semble important. Quelle a été pour vous la rencontre avec vos pairs ? Ces relations sont-elles fortes, enrichissantes, ou lointaines, voire inexistantes ? Comment appréhendez-vous le paradoxe apparent entre le geste solitaire de l'écriture et la dimension collective propre au théâtre ? Quels sont vos liens avec les praticiens de la scène, comédien, metteurs en scène, et directeurs de salle ?

Le partage du regard est d'une nécessité absolue, mais, il n'est pas forcément le fait du monde théâtral. La relation de travail entre praticiens du théâtre tend vite à la confrontation de dogmes, ce qui entraîne parfois un asservissement aux “ règles de la grammaire dramaturgique ”. Il en découle souvent un aplatissement de la pensée. Quand on passe par-dessus cela, il y a miracle et c'est à ce moment que la confiance trouve sa réelle importance. L'interlocuteur prend alors sa place dans un espace, certes critique, mais aussi ouvert sur la folie et l'inventivité de l'auteur. C'est un équilibre précaire où de touts côtés, la susceptibilité le dispute à la générosité. Quand ce miracle s'est produit, la mise en forme d'un spectacle, d'une pensée, progresse, découvre, arpente des sentiers inconnus; même si la forme présentée au public ne conquiert pas l'approbation générale, il se dégage pour les créateurs, le sentiment d'une avancée, d'un affermissement, d'une étape.
En fait, je ne saurai rien affirmer sans le regard, parfois dur, de quelques confidents. Ils me sont aussi nécessaires et précieux que de l'oxigène dans la bouteille du plongeur. Souvent, on nage dans des eaux sombres, sans perspective, d'autre fois, dans des eaux d'une clarté limpide, mais qui laissent un sentiment d'ivresse et de vertige.
La première phase du travail est solitaire ; la suite ne peut que se faire qu'en partage et collaboration ; le théâtre est toujours une entreprise commune.

Vous avez connu ces derniers temps une réalisation scénique. Comment s'est déroulée cette rencontre? Y-a-t-il eu osmose ou est-ce toujours un arrachement, une ex-propriation par la mise en scène et les comédiens? Avez-vous découvert des facettes nouvelles de votre écriture, voire de votre psyché?

La dernière création est un monologue dans lequel j'ai enfermé beaucoup de violence et de sexualité en contrepoint de la froideur historique et de la politique à la sexualité d'eunuque. C'était un objet, une pensée difficile que j'ai laissée en toute confiance à un metteur en scène, sans autre indication. La première représentation, à laquelle j'ai assisté, a été pour moi le renvoi d'une gifle monumentale, elle m'a révélé des facettes personnelles que je m'étais cachées jusqu'à présent. Le metteur en scène m'avait ouvert, entre autres, un guicheton sur mon humour, noir et en partie inconscient. Je l'ai pris comme une bénédiction. En général, je ne me sens pas propriétaire de mes textes. Soit j'ai toujours eu de la chance avec les expériences de travail sur mes pièces par les autres, soit je suis de très bonne composition et enclin à la curiosité. Toujours est-il que lorsqu'un texte est donné à un tiers, c'est à lui de l'enrichir, moi je deviens simple spectateur.

Vous écrivez et résidez en Suisse romande, y-a-t-il pour vous une singularité d'une écriture en Suisse romande, un état d'esprit particulier ? Pourriez-vous de fait vous retrouver dans les derniers mots de Raison d'être de Ramuz qui se fixe pour objectifs de pouvoir écrire un livre, un chapitre, une phrase qui ressemble à la terre de ce pays ?

Je suis terriblement casanier et le voyage me fait peur. Je suis profondément un habitant tranquille de ce pays. Cela entraîne que je manque de points de vue extérieurs pour le percevoir pleinement. En bref, je manque de points de vue pour appuyer un raisonnement intellectuel. Alors ce que je sais est de l'ordre de la croyance ou de l'habitude. Je suis un membre d'une communauté où je ne vis pas trop mal et je ne désire pas écrire spécialement pour elle. Je vis avec, et avec le reste du monde aussi. Je me dis que si j'écris quelque chose qui ressemble à ma communauté, il y a bien des chances que cela soi universel. Je pense à Maurice Chappaz, et aussi à Théodore Monod, chacun est ancré dans sa propre terre, le Valais et le Sahara, pourtant chacun est pleinement universel. Si je parle de ces deux auteurs, issus de mondes différents, c'est que je ressens une similarité entre eux qui me fait oublier leurs origines. (Ce qui est encore plus étonnant chez Théodore Monod, c'est l'appropriation détachée du désert — qui devient alors son désert — par ce marin a fait . De Rouen, sa terre première, jusqu'aux dunes à perte de vues, sa terre “ propre ”.)

En 2003 l'antenne suisse des Ecrivains et Auteurs de Théâtre a été fondée à Neuchâtel. Depuis quelques années d'autre part, la SSA multiplie les innovations pour promouvoir l'écriture en Suisse romande. Comment percevez-vous ce mouvement ? Quelles perspectives voyez-vous pour l'écriture en Suisse romande ?

Je suis membre de l'antenne suisse de l'EAT depuis sa création, grâce à Michel Beretti, je l'en remercie. Cette association m'a fait découvrir et connaître des gens formidables avec qui j'ai pu échanger de manière très libre les soucis de l'écriture. Comme toutes les structures professionnelles, les EAT nous procurent un sentiment d'appartenance et nous ouvre la possibilité de partage.
On pourrait croire inutile que les ramoneurs se rencontrent une fois l'an pour un repas et un apéro bien solide, pourtant, de ces inutilités émerge la résolution de quelques problèmes ou manière de passer le hérisson dans la cheminée, ainsi la corporation progresse et reste solidaire. J'aime à croire que nous ne sommes pas si différents des ramoneurs.
L'avenir de l'écriture théâtrale dépendra de la qualité de nos pensées et de la passion qui nous animera. Je n'aimerais pas écrire à vide et je suppose que la plupart des auteurs que je connais partage un sentiment similaire. Ecrire, c'est plus qu'une profession, peut-être pas un sacerdoce, mais, en tout cas pour moi, c'est une “ nécessité ”. Les actions des EAT qui visent à mettre en avant le propos des auteurs, à leur donner une écoute et à promouvoir leurs pensées est aussi utile que l'ascension de l'Everest. Cela peut prêter à la moquerie, surtout de la part des gens à l'esprit pratique, peut importe, l'escalade est belle.

Propos recueillis par François Marin

  Alexandre Friederich, par François Marin

Alexandre Friederich (1965). Auteur de romans et de pièces de théâtre, notamment Journée mondiale de la fin (Théâtrales 2004). Cette même année, il a publié Trois divagations sur le mont Arto (Heros-Limite, 2004, livre du mois de mars du Culturactif.)

Quel a été votre cheminement vers l'écriture dramatique ? Est-ce une suite de hasards heureux, un choix délibéré ou l'aboutissement d'un travail en relation avec la scène comme comédien, dramaturge, metteur en scène, etc. ?

Je ne suis ni comédien ni metteur en scène ni auteur, je veux être (ça commence à marcher) écrivain. Il y a dix ans ma maman m'a emmené à Stresa chez un millionnaire de quatre-vingt dix-neuf ans. Il vivait seul. Il parlait sans arrêt. Je me suis réfugié à l'étage inférieur de l'immeuble dans un appartement désaffecté. Là j'ai écrit ma première pièce, Mieux vaut que rien . A cette époque les seuls auteurs de théâtre que je connaissais - en dehors des auteurs scolaires – étaient Calderon de la Barca et Ionesco. J'écrivais sans intention, pour m'amuser. Je me suis amusé. Cette pièce a été montée en 1997 à Genève. J'écris en ce moment ma dix-septième pièce. Le plaisir est toujours aussi grand (c'est devenu difficile), en revanche je n'ai pas changé sur un point : je ne travaille pas avec les metteurs en scène et les comédiens, je leur fais confiance.

Dans cette discipline artistique, le relais par ses pairs (conseils, encouragement, etc.) semble important. Quelle a été pour vous la rencontre avec vos pairs ? Ces relations sont-elles fortes, enrichissantes, ou lointaines, voire inexistantes ? Comment appréhendez-vous le paradoxe apparent entre le geste solitaire de l'écriture et la dimension collective propre au théâtre ? Quels sont vos liens avec les praticiens de la scène, comédien, metteurs en scène, et directeurs de salle ?

Ecrire, c'est être seul. Etre seul, c'est bien. Je passe volontiers six heures à boire de la bière et six autres heures à discuter, mais lorsqu'il s'agit d'écriture, je ferme la porte. Le théâtre relève de la politique, pas l'écriture théâtrale, encore moins l'écriture en général (je distingue fortement les deux types d'écriture, ce n'est pas le même métier). Les directeurs de théâtre suisses me découragent, les metteurs en scène suisses me découragent. Etre metteur en scène, comédien, directeur et producteur ne leur suffit pas, ils veulent encore être écrivains : ils sont complexés. La plupart sont des anti-intellectuels. Certains ne lisent pas et s'en vantent. Ils n'ont pas ma sympathie. Par ailleurs, le mélange des genres (théâtre multimédia) et le mélange des langues (théâtre multiculturel) relève de la sape. J'ai été bien accueilli à Paris. Alors que je suis un inconnu (totalement inconnu), j'ai trouvé des gens qui osaient dire « oui » ou « non ». C'est déjà un progrès. Sur 100 « non », il y a parfois un « oui ». Je dois aussi dire ma gratitude au Département de l'Instruction Publique de Genève qui a soutenu deux des mes projets. Les effets de ce soutien sont considérables.

Vous avez connu ces derniers temps une réalisation scénique. Comment s'est déroulée cette rencontre? Y-a-t-il eu osmose ou est-ce toujours un arrachement, une expropriation par la mise en scène et les comédiens? Avez-vous découvert des facettes nouvelles de votre écriture, voire de votre psyché?

Mes rencontres avec les metteurs en scène ont toujours été roboratives et sympathiques (certaines ont capoté d'emblée et c'est tant mieux). Ma dernière pièce, Mille enfants meilleurs a été montée par Guillaume Dujardin à Besançon dans le cadre du Festival des Caves. J'étais à la première. Les 15 premières minutes, j'ai sué : je ne comprenais rien et c'était à cause du texte. Mon texte était incompréhensible, trop compliqué. Je me suis réjoui d'être incognito. Personne ne savait que j'étais l'auteur. A la fin, tout le monde s'est montré satisfait et s'est mis à parler de la pièce. Alors j'ai compris : c'était compréhensible. La suite est moins agréable : les comédiens faisaient la tête. Ils prétendaient que j'avais écrit contre eux. On pourrait croire, à en juger par les propos ci-dessus, que c'est vrai, mais pourquoi ferais-je cela : j'aime écrire du théâtre et comme tout le monde, j'aime avoir du succès. Non, simplement, tout n'est pas théâtral dans mon théâtre, tout n'est pas dicible et conforme aux habitudes de jeu. Un peu plus tard, je leur expliquais les raisons de certains passages : ils n'en revenaient pas. Comment se pouvait-il qu'une histoire de rideau, de carottes et de bêches, contienne des références à l'eucharistie, à Saint-Exupéry, à Yves Klein (le peintre monochrome) et à Leibniz. Bon. C'est peut-être là, peut-être pas, mais j'y pense quand j'écris « passe-moi la bêche ! » Chacun sa façon de faire. Et pour en terminer, nous allons nous voir en juin 2007. Voilà, je me contredis : je vais travailler avec des comédiens.

Vous écrivez et résidez en Suisse romande, y-a-t-il pour vous une singularité d'une écriture en Suisse romande, un état d'esprit particulier ? Pourriez-vous de fait vous retrouver dans les derniers mots de Raison d'être de Ramuz qui se fixe pour objectifs de pouvoir écrire un livre, un chapitre, une phrase qui ressemble à la terre de ce pays ?

J'habite au Mexique et, surtout, en France. J'aime dire que je suis suisse. Je le suis. J'aime dire que je suis un écrivain suisse. Surtout en France. Je le dis parce qu'il semble qu'il y ait un problème : les vaudois complexés par les français (et les Genevois), les français prétentieux et naïfs, les provinciaux de la France complexés devant les parisiens. En France, j'habite dans un village (Ain) et dans un hameau (Gers), respectivement 200 habitants et 15 habitants ; lorsque je dis je suis écrivain, une fois sur deux, mon interlocuteur me répond : j'ai un cousin à Paris qui connaît Jacques Derrida (ou un autre de ces hommes connus). A bien des égards, la France, c'est le tiers-monde. Il suffit de compter les 200'000 ouvriers qui entrent sur le territoire romand chaque matin : il y a décalage. La France ce n'est pas Paris, c'est TF1. Pour mon livre Saint-Eustache , j'ai marché les 100 derniers kilomètres qui mènent aux portes de l'église (elle est aux Halles) : là encore, c'est le tiers-monde. Bien plus qu'à Mexico. Il n'y a qu'à France-Culture et dans le Marais que les gens (et dans les cénacles romands) s'inquiètent de ces différences, de ces singularités d'esprit : ça suppose un peu de malveillance et beaucoup de jésuitisme. Raison d'être et Le grand printemps sont les livres de Ramuz que j'aime le plus. Pour ce qui est de la terre, on écrit comme on peut et le plus souvent, ça ressemble à ce qu'on est.

En 2003 l'antenne suisse des Ecrivains et Auteurs de Théâtre a été fondée à Neuchâtel. Depuis quelques années d'autre part, la SSA multiplie les innovations pour promouvoir l'écriture en Suisse romande. Comment percevez-vous ce mouvement ? Quelles sont les perspectives que vous voyez pour l'écriture en Suisse romande ?

S'il y a des relais, tant mieux. Que ceux qui offrent ces relais soient chaleureusement remerciés. Je suis peu doué pour cet exercice, mais je remercie avec sincérité. L'écriture en Suisse romande, ça n'existe pas. C'est une affaire de critiques ou de journalistes. Il y a des écrivains. Il y en a peu et il y en a d'excellents. Nous n'avons rien à envier à la France et puis, ce n'est pas une compétition. Je pourrais vous citer quatre ou cinq écrivains romands actuels qui feraient pâlir de jalousie n'importe quel français honnête et de bon goût. Et à la fin, c'est la nature de la phrase qui fait la différence, pas l'amitié, le galbe des jambes, le portefeuille ou la communication de masse. Mais surtout, qu'on soit français, vaudois ou cochinchinois, quelle importance ? Seule compte la littérature.

Propos recueillis par François Marin

 

Page créée le 16.03.07
Dernière mise à jour le 16.03.07

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