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Gilberte Favre

Notice biographique - BibliographieInédit - Des Etoiles sur mes chemins

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Comme un acte de mémoire

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Editions Z
Corinna Bille - Le vrai conte de sa vie
Survivre
René Spahr, Humaniste et pionnier


  Notice biographique

Gilberte Favre

Gilberte Favre
Née à Sion le 2 octobre 1945 où elle commence à écrire à l’âge de 12 ans et à publier (poèmes puis journalisme parallèlement aux études) à 16. Est tentée très tôt par le voyage et par le désert.

1961 : «pèlerinage» à Charleville-Mézières (Rimbaud). Puis : Paris, Moyen-Orient (surtout Liban et Kurdistan), Hoggar, Vietnam, New York. Vit aujourd’hui entre Lausanne et le Valais (val de Bagnes)

1965-1967 : stage de journaliste à la FAV, à Sion. Avec Jean-Marc Lovay, Jean-Daniel Coudray et Alphonse Layaz; création de la Société des jeunes écrivains valaisans.

1967 : voyage de quatre mois en 2CV au Moyen-Orient.

1969-1973 : reporter à L’Illustré (Suisse et Moyen-Orient).

1972 : mariage avec Noureddine Zaza, homme politique et écrivain kurde.

1973 : naissance de Chango Valéry.

1974 : Voyage au Liban avec Corinna Bille et Maurice Chappaz.

1988 : mort de son mari.

1991-1996: Séjours au Kurdistan, au Liban et au Vietnam.

2000: Découverte de New York.

2001: Liban

2002: Découverte de l' Egypte.

2007: Séjour au Kurdistan.

2008: Egypte: Nil, Abou Simbel.

2009: Série de causeries littéraires sur Corinna Bille au Liban (écoles publiques et Bibliothèques).

2011: Participation au Salon du Livre francophone de Beyrouth.

Voir aussi

- Le Temps, samedi littéraire, 5 juin 1999, texte inédit Ma mère.
- dimanche.ch, 4 juin 2000, texte inédit "Frères et sœurs de notre temps".

Blog de l'auteure : http://itineraires.blog.24heures.ch

 

  Bibliographie

Suicide du bonheur (poèmes en prose), épuisé,1966 .

 
Inch’allah (récit de voyage), épuisé, 1968.
 
Chemins (poèmes), épuisé, 1974.
 
Corinna Bille, le vrai conte de sa vie (Editions 24 Heures),1981.
 
Requiem pour une enfance, Editions Clin d'oeil, 1983.
 
L’Hirondelle de vie, chronique des enfants du Liban, (préface d'Andrée Chedid), Editions de L'Aire 1988.
 
Itinéraires (poèmes 1970-1990).
 
Une Vie entre parenthèses, roman, La Thièle, Yverdon, 1992.
 
Préface à Ma vie de Kurde, de Noureddine Zaza (réédition, Labor et Fidès, 1993).
 
Mémoire de Sion, la vie quotidienne entre 1850 et 1950, album photographique (Editions Z, Lausanne),1998.
 
Corinna Bille ,Le vrai conte de sa vie, Editions Z, Lausanne, 1999.
 
Comme un acte de mémoire, Editions de L'Aire, Vevey, 2000.
 
Survivre, Editions Z, 2003.
 
René Spahr, 1905-2001 : humaniste et pionnier, Editions Z, 2004.
 
Des étoiles sur mes chemins, récit, Editions de L'Aire, Vevey, 2011.

 

  Inédit paru dans - dimanche.ch

Frères et soeurs de notre temps

Rêve ou souvenir? Je ne saurais préciser si je les ai vraiment vus un jour, ces êtres qui ne peuvent plus parler ni rire ni même pleurer.

Je suis seule et je marche lentement, très lentement dans une obscurité étrange. J’ignore si je suis sur le point de quitter l’aube ou si la nuit approche.

Je vais d’une grotte à l’autre et je distingue des femmes et des enfants accroupis autour de lampes à pétrole. D’autres sont endormis à même le sol. Plusieurs jeunes mères m’invitent à m’asseoir. Aussitôt je m’efforce de les comprendre mais ces femmes ne savent pas (plus) parler. Elles murmurent: «Perisa… nizanim… hevî…» que je traduis par: «Détresse… je ne sais pas… espoir…»

Dans une vie antérieure peut-être ai-je été Kurde puisque je suis capable de saisir des bribes de kurmanji.

Pour en revenir à ce rêve ou à ce souvenir… Je continue à errer d’une grotte à l’autre et mon regard s’arrête sur chaque visage, sauf sur celui des personnes endormies. En effet, je craindrais de les réveiller et le sommeil des êtres, comme celui des chats, est sacré. Au matin, je ne saurais préciser si j’ai réellement vécu cette vision de fin du monde et si je les ai vraiment vus un jour, ces êtres qui ne peuvent plus parler ni rire ni même pleurer. A moins que cette errance au pays des grottes ne fut qu’un «mauvais rêve», comme disait ma mère quand je pleurais, enfant…

Pourtant j’ai le souvenir de dialogues véridiques à Halabja. «Dans ma famille, il y a eu huit morts: mon père, ma mère, ma grand-mère et mes cinq frères. Tous ont été gazés. Le monde entier s’est tu.» «Chez nous, il y en a eu dix. Je suis le seul à rester de ma famille...» A Qualadiza, Faddoulah avait murmuré - ses bras avaient dessiné un grand arc sur le champ de ruines: «Avant les bombardements, ici, il y avait 50 000 habitants…»

Au moment où mes yeux s’étaient posés sur la ville rasée, j’avais senti le poids d’un gros caillou à la place de l’estomac. Ensuite des gouttes de sueur avaient inondé mon visage et malgré la chaleur, je m’étais mise à grelotter.

Après, j’avais vomi entre les ruines des maisons et Faddoulah avait détourné son regard. Je me souviens qu’en entendant sa voix chantonnante: «Comment allez-vous? Voulez-vous que j’appelle un docteur?», j’avais souri entre larmes et nausées.

Une heure et deux petits verres de thé plus tard, ma tête et mon estomac s’étaient réconciliés.

Et puis, dans l’après-midi, j’avais découvert la «vallée des veuves». Cela faisait six ans que des femmes y attendaient leurs deux mille «disparus».

Elles se souvenaient du jour exact du mois et de l’année où le camion de l’armée irakienne avait embarqué tous les hommes du village «à partir de seize ans». C’était en 1983. Depuis, elles ne portaient plus que des vêtements noirs et n’avaient plus jamais eu de nouvelles des «disparus». «No more… No more…», avaient-elles répété et j’avais d’abord compris: «No morts… no morts…»

J’avais aussi entendu: «Travaux forcés... fosses communes... tortures…»

Une femme âgée avait parlé des «yeux arrachés au moyen d’une petite cuillère, de la peau enlevée à la lame de rasoir...» et encore de «la mort donnée par le serpent».

Une autre avait insisté pour me montrer les portraits encadrés de son père, de son mari et de son frère «tous les trois disparus». Etrangement, les regards de Hemres, Reso et Zilan m’avaient paru vivants et je n’avais pas pu (voulu ?) croire à leur mort.

Et puis j’avais observé qu’à force de chagrin les larmes des «veuves» ne sortaient plus de leurs yeux et les sourires non plus.

A l’heure de nous quitter, quand l’une d’elles m’avait interrogée -«Croyez-vous qu’ils sont encore vivants ?» -, j’étais restée sans voix. A la prison de Souleimanieh, j’avais été inquiétée par les taches de sang éparpillées sur le sol et par les graffiti recouvrant les murs. Mon interprète avait déchiffré: «Omar Cheikhmous de Zakho. Siyamend Silivan de Dohouk. Diyar Gulian d’Arbil» et encore: «Dieu, le miséricordieux, pense à nous!»

Faddoulah avait ajouté - à cette seconde-là ses yeux s’étaient remplis de larmes: «Ils ont écrit leur nom et leur adresse pour qu’on ne les oublie pas...»

Dans un recoin du pavillon des femmes, mon regard avait été agrippé par un tissu déchiré. Une touffe de cheveux châtain clair, presque blonds, y était restée suspendue.

«C’est «l’antichambre de la mort». Une fois arrivées dans ce lieu, les femmes savaient ce qu’elles allaient y subir: le viol et puis la mort...» Le lendemain, à l’Hôpital de Zakho, j’avais vu les enfants brûlés au napalm.

Et puis des chênes et des mûriers décapités ou agonisants. Ils avaient été vaincus par le napalm et leurs feuilles, sous la poudre blanche, respiraient la mort.

Après, j’avais entendu le chant des quatre orphelins pleurant leur mère de 34 ans «morte pour rien».

Ensuite j’avais éclaté en sanglots sous les yeux ébahis des villageois et des enfants avaient voulu me consoler. «Après la nuit vient le jour…»

Enfin, le surlendemain j’étais retournée au pays où l’on ne tue pas. Sept ans plus tard, j’avais rêvé plusieurs fois de cette errance. Toujours je déambulais entre des grottes sans me presser comme si j’avais tout mon temps et que le temps n’existait plus. Je m’asseyais auprès de ces gens pour dialoguer avec eux et je les connaissais depuis que nous étions nés. Toujours ils chuchotaient de crainte que le ciel ne les entende et je les écoutais à la fois terrifiée et fascinée.

Et puis j’avais été soudain très impatiente de sortir de ces grottes pour voir le soleil, mais je n’avais pas accéléré le pas. Je n’avais pas pu abandonner ces êtres sous le prétexte que mes yeux étaient fatigués de trop de noirceur.

Enfin j’avais fini plus ou moins par sortir de ma nuit.

Des mois, des années?

Après m’avoir habitée si longtemps, les visages de Charbel, Rima, Alexis, et Nicolas avaient fait place aux survivants d’Halabja. Souvent ils venaient me visiter dans mon sommeil: «N’oublie pas que nous existons, que nous avons existé. Que d’autres que nous sur notre planète ont connu la barbarie et que d’autres la vivront si tu te tais…»

Ensuite j’avais pensé aux rescapés d’Auschwitz et de Buchenwald entre autres enfers sur terre, à eux tous qui avaient dû vivre avec cela.

J’avais revu la beauté du regard de ceux revenus de «là-bas» et je m’étais laissé submerger par une vague de tendresse. Leur innocence me subjugua et je me demandai comment ils avaient réappris à sourire - à marcher, à parler, à créer, à vivre. Comment ils faisaient surtout pour être meilleurs que nous, plus tolérants et plus généreux.

Aujourd’hui, les rescapés d’Halabja n’ont pas cessé de me hanter. Quand je crois entendre leur hurlement - «Jîné !**» - j’essaie à chaque fois de répondre à leur appel mais ils ne me répondent jamais.

Avec le temps, l’obscurité a fini par m’apprivoiser et j’en déduis que les petits enfants de Zakho avaient raison. Oui, la lumière succède toujours à la nuit et de même la paix au désespoir.

Alors j’écoute le chant des oiseaux et au-delà tous les bruits et lamentations de la planète des humains. Qu’ils viennent d’Afrique ou d’Asie, d’Europe ou d’Amérique, ces cris expriment toujours les mêmes choses, les mêmes mots: «N’oublie pas que nous existons…»

S’ils le clament si fort, s’ils le répéteront jusqu’à la fin du monde, c’est sans doute pour nous empêcher de dormir comme si nous ne savions pas.

Ce sont les survivants des guerres et des famines, des tortures et des camps d’hier et d’aujourd’hui.

Ils sont nos frères et sœurs de notre temps.

* Les enfants de L'Hirondelle de vie, chronique des enfants du Liban, L'Aire, 1988, préface d'André Chedid.
** Nom qui signifie "la vie", en kurde.

Gilberte Favre

4 juin 2000

 

  Des Etoiles sur mes chemins

Gilberte Favre - Des Etoiles sur mes cheminsLe père de l'auteur n'a jamais pu lire un de ses livres - il était à demi illetré -, mais il connaissait le langage des oiseaux et autres trésors de la nature. Gilberte Favre a dû attendre sa mort pour découvrir l'indicible de son enfance, clé de tant de mystères.
Sur le chemin de l'écriture de la vie, elle a cependant eu le privilège de compter sur un guide précieux, le "Père-Poète", Maurice Chappaz.
De la Suisse au Hoggar, en passant par le Liban et le Kurdistan, son itinéraire est notamment éclairé par des personnalités aussi lumineuses qu'Andrée Chedid, Eleni Kazantzaki, Ghassan Tueni.
Ce livre peut être considéré comme un chant d'amour et de reconnaissance à son père, à son père spirituel et à ses amis d'ici et d'ailleurs, mais il est aussi le récit émouvant d'une petite fille qui a trouvé son salut dans les livres.

Gilberte Favre est née en Valais en 1945. A douze ans, elle s'adonne à la poésie. Une poésie qui donnera le ton à sa vie. Tous ses voyages, que ce soit une visite de la tombe de Rimbaud, ses pérégrinations au Moyené-Orient, au Vietnam, ou dans le Sahara, seront considérés comme des pèlerinage ou des initiations. Cette ferveur dans la vie se retrouve dans tou sses livres. Biographe de Corinna Bille, épouse d'un écrivian, Gilberte Favre garde une lueur orientale dans ses yeux d'enfants. Lueur qu'elle nous restitue dans tous ses écrits. Elle vit entre Lausanne et le Valais.

Gilberte Favre, Des Etoiles sur mes chemins, Editions L'Aire, 2011.

 

Page créée le 08.10.11
Dernière mise à jour le 08.10.11

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