Notice biographique
- Bibliographie - Témoignages
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Extrait de : Coeur de neige - Extrait de : Chemins
d'écume - Article : "Promenade avec Einstein"
Notice
biographique |
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Michel
Goeldlin naît le 3 août 1934
avec la double nationalité suisse et américaine.
Il écrit en français et a créé
dix romans et trois non-fiction à ce jour,
totalisant 48 éditions, coéditions,
adaptations et traductions en anglais, russe,
allemand, italien, suédois et prochainement catalan. Il a aussi écrit pour
sa femme Yucki, photographe, les textes d'un album
et de 42 expositions individuelles présentées
à Monaco, en France, au Canada, en Suisse
et en Russie. Un essai a été publié
au Canada sur son uvre.
Michel Goeldlin est membre de:
- Comité d'Honneur de l'Association pour le Rayonnement des Langues Européennes ARLE, Paris
- Association des Ecrivains de Langue Française ADELF, Paris
Michel et Yucki Goeldlin sont Chevaliers de l'Ordre des Grimaldi et de l'Ordre des Arts et des Lettres. |
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pour communiquer avec l'auteur: goeldlin@libello.com
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Bibliographie |
Les Sentiers
obliques, roman, 1° éd Éditions
Bertil Galland,Vevey, 1972
2° éd Éditions Bertil Galland Vevey,
1972
catalan : Edicions La Campana, Barcelone, à
paraître |
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Le vent meurt
à midi, roman, Éditions Bertil Galland,
Vevey, 1976
allemand coédition:
Benziger, Cologne, 1977
ExLibris collection CH, CH Zurich, 1977
russe Éditions Kstatie, Moscou, 1977
collection l'Aire Bleue, Éd. de l'Aire, Vevey,
1998 |
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Juliette Crucifiée
roman, Éditions Bertil Galland, Vevey, 1977
théâtre radiophonique : diffusion RadioSuisse
romande, Lausanne 1979
allemand : Rainer Wunderlich Verlag, Tubingue, 1981
Éditions de L'Aire, Vevey 1984
italien : SEI, Società Editrice Internazionale,
Turin 1986
théâtre radiophonique : diffusion Radio-Canada
: Montréal, 1986
coédition:
Éditions Boréal, Montréal, 1987
Éditions de L'Aire, Vevey, 1987
anglais : Ragweed Press Vevey, Charlottetown, 1987
France Loisirs, Paris, 2007 |
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A L'Ouest du
Lake Placid, roman, Éditions Bertil Galland,
Vevey, 1979
Éditions de L'Aire, Vevey, 1987 |
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Les Désemparés,
roman, Éditions de L'Aire, Vevey, 1983
France Loisirs, Lausanne-Crissier, 1984
allemand : Schweizer Verlagshaus, Zuric, 1984
allemand : au catalogue du Club Neue Schweizer Bibliothek,
Zurich, 1986 |
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Les Moissons du désert, roman, frontispice
de Hans Erni, Éditions de L'Aire, Vevey, 1984
Alban Éditions, Versailles, 2004
suédois : Elisabeth Grate Bokförlag, Stockholm,
2007
Textes pour:
Sahara, exposition de Yucki Goeldlin, Espace
Voyageurs du Monde, Nice 2005
Expositions de Yucki
Goeldlin avec textes:
Espace Voyageurs du Monde, Nice 2005
Musée de la Méditerranée, Stockholm,
2007
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Textes
pour:
60 Photographies romanesques de Yucki Goeldlin
album, Éditions de l'Aire, préface de Bertil
Galland, Vevey, 1985
expositions:
Musée suisse de l'Appareil Photographique, Vevey,
1985
Centre culturel suisse, Paris, 1986
Université Mac Gill, Montréal, 1986
Galerie George, Charlottetown Nouvelle Ecosse, 1986
Université Ste-Anne, 1995 |
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L'espace d'un
homme, essai autobiographique, Éditions Zoé,
Genève, 1989
France-Loisirs, Lausanne-Crissier, 1989 |
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La Planète
des victimes, reportage de guerre - 280 pages et 48
photos hors texte de Yucki Goeldlin
coédition:
Éditions du Griot, Paris, 1990
Éditions de l'Aire, Vevey, 1990
France Loisirs, Paris, 1991
Prix Alpes-Jura de l'Association des Ecrivains de Langue
Francaise |
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Expositions
de Yucki Goeldlin avec textes:
Vernissage exposition et livre La Vieille Grille, Paris,
1990
Villa Lamartine, sous le patronage de SAS le Prince Albert
de Monaco, Monaco
Musée suisse de l'Appareil photographique, Vevey,
1991
Bibliothèque d'Etat de Littérature étrangère,
Moscou, 1991
Bibliothèque centrale, Saint-Pétersbourg,
1991
Siège de l'UNESCO, Paris, 1992
Lire en Fête, Roquebrune Cap Martin, 2007
Mois de la Femme, Nice 2008 |
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Textes
pour:
A la Rencontre des Inuits de Yucki Goeldlin
exposition:
Musée océanographique, Monaco, 1993 |
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Textes
pour:
Mondes extrêmes de Yucki Goeldlin
expositions:
Salon du Livre d'Edmundston, Canada, 1996
Salon du Livre de Gaspésie, Canada, 1997
Siège de France Loisirs, Paris, 1997
La Citadelle, Villefranche/Mer, 1999
Musée de la Préhistoire, Menton, 2004 |
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Panne de Cerveau,
roman, Éditions de l'Aire, Vevey, 1996
Alban Éditions, Versailles 2004
Éditions Kstaty, Moscou, 2006 |
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Coédition
Péril au Nunavut, roman, Editions Libre
Expression, Montréal, 1999
Suisse : "Coeur de Neige",
Éditions de l'Aire, Vevey, 1999
"Coeurs de Neige",
Éditions du Rocher, Monaco et Paris 2008
Snowheart, Kanzaman Madrid, en adaptation long-métrage
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Chemins d'écume,
livre de bord, Indo Éditions, Paris, 2001
Coédition suisse :
LAire, Vevey, 2001
Allemand, National Geographic Adventure Press, Goldmann
Verlag, Munich, 2003 |
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Textes
pour :
Chemins d'écume, expos de Yucki Goeldlin
Musée Océanographique sous le haut patronage
de SAS le Prince Albert de Monaco
Institut Océanographique, Paris, 2002
Hôtel de Ville, Vevey, 2002
dans le cadre du Festival international de l'Image
Ambassade de France à Monaco, 2008 |
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Sculpteur de
Nuages, Editions Carnot, Paris, 2002
Prix littéraire européen 2003 |
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Voyageur du
crépuscule, Alban Éditions, Versailles
2004 |
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La
Vie entre plume et déclic, exposition rétrospective,
photographies de Yucki Goeldlin, textes de Michel Goeldlin
sous le haut patronage de l'Ambassadeur de Suisse en France
Son Excellence M. François Nordmann, Centre International
d'Art Contemporain CIAC, Château de Carros 2005
Médiathèque André-Verdet, Ville de
Carros, 2005
Médiathèque de Valdeblore (Alpes Maritimes),
2005
Monographie, 110 photos couleurs et noir-blanc, Éditions
de l'Ormaie, Vence, 2005 |
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Textes pour:
Siberiana, expo de Yucki Goeldlin, Médiathèque, Vence, 2008 |
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Ouvrages
de référence
Michel Goeldlin, Espaces du réel, cheminements
de la création par Martine Jacquot, préface
du prof. H-D. Paratte, Université d'Acadie, Éd
du Grand-Pré, 215 p. 40 illustr. Canada 1995
in "Multicultural Writers since 1945" par Alba
Amoia et Bettina L. Knapp, éd. Greenwood Press,
Ct, USA, 2004 |
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Témoignages |
L'auteur témoigne avec sobriété
des réalités de cet univers de vies brisées
que d'incessants conflits viennent grossir à l'infini.
Le Monde, Paris
Ses romans... s'inspirent de l'actualité
et de faits divers
Dictionnaire des Littératures,
Larousse
"...un livre de bord exceptionnel,
d'une écriture sans fioritures, une émotion
et sincérité rares... Il mérite amplement
le Grand Prix du rêve et de l'évasion."
Frédéric Altman,
Monaco Madame
"...on croise une galaxie
d'auteurs qui pourraient être eux-mêmes des personnages
de roman. Comme Gwench'lan Le Scouëzec, grand druide
de Bretagne. Ou Michel et Yucki Goeldlin, auteurs de Chemins
d'Ecume, récit écrit et photographique d'un
tour du monde de quatre mois sur un cargo."
Boris Thiolay, Journal du Dimanche
"Encore plus que "l'exotisme",
c'est votre regard à tous deux sur tous ces êtres
humains qui m'a ému. Lucidité, fraternité,
humilité et sens de l'osmose... Les valeurs motrices
d'un écrivain et d'une photographe..."
Didier van Cauwelaert, Prix
Goncourt
"La plume de Michel Goeldlin
défend la dignité de l'homme et la dignité
des mots d'un écrivain."
Nikita Razgovorov, Inostraiana
Literatura Moscou
"Sobre, poignant, plein de
compassion".
Jurg Altwegg, Frankfurter Allgemeine
Francfort
"Votre livre m'a pris et ému,
par la gravité de son thème assurément,
mais aussi par la simplicité du ton et de la langue,
de même que par sa construction dans la diversité
et l'accord des mouvements."
Marcel Arland de l'Académie
française ...
"cette Juliette crucifiée,
véritable gravure sur acier par l'écriture."
Armand Lanoux de l'Académie
Goncourt
"Goeldlin's writing is concise
and to the point"
Adam Bellows, New York Times
book review
"Le livre capte le goût
très spécial d'un monde révolu et d'un
monde nouveau".
Peter Straus, Radio Dialog
New York
"Le regard de l'écrivain
a su dépasser toutes les frontières du racisme
et de l'incompréhension. On parcourt ce livre comme
un rêve."
Natania Etienne, Moncton University
Canada
Titre: Un duo de rêve...
... "351 pages d'une belle écriture chaleureuse,
tendre et émouvante, richement illustrées. Yucki
et Michel, une complicité rare que l'on perçoit
au fil de la lecture..."
Frédéric Altman,
Nice Matin
"C'est bien l'écume
de la mer que l'on reçoit en plein visage, que vous
faites surgir dans ces belles pages et dans ces très
originales photographies."
Prof. M. Aubert, président
Université internationale de la Mer
"Son écriture est à
la jonction de ce symbolisme puissant que les meilleurs romanciers
européens ont su traduire dans leurs romans, et cette
volonté de prise sur le réel qui a toujours
fait la force des romans américains, de Dos Passos
ou Hemingway à Mario Puzo ou Mailer...
Ce romancier, comme tout grand romancier, est avant tout un
explorateur des êtres."
Prof. H-D. Paratte, Acadia
University Canada
dans la préface du "Michel Goeldlin" de Martine
Jacquot
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Extrait de : Coeur
de neige |
Coeur de Neige, extrait du premier chapitre
Territoires du Nord-Ouest, Canada,
19 heures.
Devant les yeux rougis de Pilipusee,
au-delà de la fatigue, les lettres et les graphiques
de couleur commençaient à se mêler sur
l'écran de lordinateur et dansaient en ondoyant.
Depuis deux semaines il travaillait quinze heures par jour
au texte le plus important quil aurait jamais à
concevoir, en réfléchissant à chaque
nuance, à la construction sans faille du raisonnement,
à linterprétation que lon pourrait
en donner. Et lorsquil sécroulait sur le
lit aux côtés de Zipporah, épuisé,
les idées qui tournoyaient dans sa tête envahissaient
encore son sommeil.
Le vendredi précédent,
Pilipusee avait envoyé par courrier électronique
les invitations à la conférence qui marquerait
un tournant historique pour les milliers d'âmes qui
peuplaient le Grand Nord canadien.
Il se leva, s'étira pour chasser
les courbatures et se dirigea vers la fenêtre.
Cette année, début septembre,
l'hiver s'annonçait déjà. Les glaces
qui recouvraient la mer jusqu'à l'horizon ne s'étaient
pas même entrouvertes durant les semaines tièdes,
autour des rivages de leur île aux confins de la banquise
permanente, sur le 75° parallèle Nord. Les phoques
étaient montés du sud à la poursuite
des bancs de morues, et les ours blancs avaient suivi leur
garde-manger à leur tour, guettant près des
petits trous de respiration ouverts par leurs futures proies
dans l'épaisse couche opaque sous laquelle la vie continuait.
La chasse et la pêche avaient
été maigres, mais une peau d'ours polaire mesurant
pas loin de quatre mètres de la tête à
la queue pendait à un cordeau devant la maison. Un
des trois ours annuels alloués aux deux-cent-six Inuit
de Tuklavik.
On mangerait de la viande, cette année
encore. Avec la bénédiction des fonctionnaires.
La fondation d'un pays représentait
une tâche presque surhumaine, la plus exaltante qui
fût, et Pilipusee en serait le fer de lance pour le
compte du conseil des anciens, que son père et d'autres
sages avaient fondé afin de dialoguer avec le gouvernement
fédéral. Les Inuit connaîtraient un pouvoir
nouveau et géreraient leur destinée. Pour le
jeune Inuit, obtenir l'autonomie de son territoire équivaudrait
à fonder un pays neuf, à vivre sur une autre
planète.
Pilipusee rédigeait les discours,
le projet de statuts et le catalogue des revendications avec
toute la rigueur dont il était capable. Il pesait chaque
mot, étreint par une angoisse permanente devant sa
responsabilité. Il se concentrait sur son travail qui
serait rendu public dans deux semaines par son père,
Aklaksak, et qui ferait sur le monde tout entier, ou du moins
sur le Canada, l'effet du plus puissant des blizzards.
Pilipusee entendait déjà
la voix cassée, un peu voilée du vieux chef,
prononcer doucement les mots qui se formaient maintenant sur
son écran:
"En conclusion, Messieurs les
représentants des autorités et de la presse,
je vous prie de prendre date pour les négociations
qui déboucheront, je veux le croire, sur le droit pour
mon peuple à disposer de lui-même. Nous désirons
l'autonomie pour notre territoire. Je demande au gouvernement
fédéral du Canada de présenter nos légitimes
revendications aux députés. Ce pays est une
démocratie, qu'il le prouve."
Et le ton modéré amplifierait
le contenu des paroles mieux que s'il tempêtait.
Le chef Aklaksak, auquel il succéderait
peut-être un jour, le sage qui avait été
chaman avant que les rites ne s'estompent, et les autres anciens
du conseil comptaient sur Pilipusee. Le peuple entier comptait
sur lui en silence. Rien n'avait encore transpiré,
en dehors, du projet qui changerait la vie des Inuit de la
région. On appelait "en dehors" tout ce qui
n'était pas le Grand Nord, le reste du monde.
Du jeune homme dépendait la
couleur que prendrait l'avenir. A moins que Pilipusee n'échoue
comme avait échoué son grand-père, autrefois,
et ne parte alors comme lui tout droit sur la mer de glace,
s'éloigne, rapetisse jusqu'à ne devenir qu'un
point à l'horizon et disparaisse dans l'infini, à
la rencontre de son éternité. C'est ainsi que
son aïeul avait voulu se purifier de la défaite,
se racheter à ses propres yeux et devant les esprits
des ancêtres.
Pilipusee songeait souvent à
son grand-père, mort d'avoir voulu la liberté
pour son peuple, si proche de lui par le
cur et par la pensée, et qu'il avait tant aimé
dans son enfance. Il se refusait à envisager l'échec
de cette nouvelle démarche. Tout cela prendrait du
temps, mais la réussite serait au rendez-vous. Son
fils Simeanee et le nouvel enfant que portait Zipporah seraient
peut-être les seuls à voir se concrétiser
la naissance de leur pays.
***
Salvador, Amérique Centrale,
14 heures.
Le plus difficile pour moi sera de
quitter le périmètre contrôlé par
l'armée, se dit Kevin Smith.
L'avant-veille encore, à Washington,
un spécialiste le chapitrait sur la délicate
action qu'il aurait à mener à bien. Mais Kevin
se sentait calme. L'habitude de frôler le danger. Dès
le début de son engagement, il s'était inventé
une devise: "Jusqu'au bout de mon devoir, sans états
d'âme".
De Foster Dulles, l'aéroport
de la capitale américaine, il prit un vol pour Montréal,
d'où il embarqua le jour même pour le Salvador
sans passer à la maison: Clarissa le croyait en tournée
d'inspection dans la province de la Saskatchewan.
Pendant qu'il attendait sa correspondance,
Kevin déchira le talon du billet précédent
et prépara le nouveau. Personne ne devait savoir quel
était le véritable point de départ de
son itinéraire.
A son arrivée en Amérique
Centrale, après les escales de Miami et de Belize,
un policier au regard aigu compara la photo du passeport canadien
et le visage de l'homme, puis consulta une liste affichée
sur le côté de son cagibi. Une liste noire sans
doute.
Il examina aussi le titre de transport
émis à Montréal, son lieu d'embarquement.
Affaires ou tourisme, monsieur Smith?
Affaires. Je suis consultant auprès de l'estancia
Chavez, votre principal producteur de café à
Santa Ana.
Profession, phyto-biologiste? s'étonna l'agent.
Je n'en ai jamais entendu parler.
Sa couverture pour cette mission particulière.
Il ne pouvait se prétendre spécialiste en sécurité
bancaire pour se rendre dans une plantation, et s'amusait
d'avoir à changer de métier supposé au
gré des situations.
Je suis expert en plantes, si vous voulez. Nous étudions
de nouveaux croisements de caféiers pour améliorer
leur productivité et la lutte intégrée
contre les parasites.
Est-ce votre première visite chez nous?
Oui.
Bienvenue au Salvador, Monsieur Smith, dit le policier
en apposant un timbre humide. N'oubliez pas dobtenir
auprès de la Garde Nationale votre laissez-passer avant
de quitter la capitale, sinon vous ne pourrez pas aller jusqu'à
Santa Ana.
Kevin s'appelait Smith depuis si longtemps
qu'il avait presque oublié son véritable nom.
Même Clarissa croyait vraiment
s'appeler Smith, depuis leur mariage, voici vingt ans, et
les enfants se plaignaient d'un nom aussi banal. "N'aurions-nous
pas pu nous appeler O'Shennessy ou Zbrizgniev? Mais Smith,
comme tout le monde..."
Pour une mission ordinaire dans un
pays dont le gouvernement comptait tant d'amis à Washington,
en particulier du côté des militaires du Pentagone
et des agents de Langley, siège de la CIA, Kevin le
Canadien n'aurait pas eu besoin d'une couverture.
Celle-ci ne tiendrait de toutes façons
pas auprès des guérilleros s'il se faisait piéger,
au contraire. Comme âme damnée d'un des quatorze
propriétaires de grands domaines agricoles qui se partageaient
le plus clair des terres fertiles, les rebelles lui feraient
son affaire.
Kevin héla un taxi devant laérogare,
située non loin des plages du Pacifique. Malgré
la chaleur et lhumidité, il transpirait peu.
Aux yeux des diplomates en poste à
San Salvador et des rares touristes qui s'aventuraient de
nouveau dans le pays, l'image offerte était celle d'une
Amérique latine de carte postale: accueil souriant,
autoroute bien entretenue serpentant entre des collines douces,
palmiers, hibiscus et champs de cannes à sucre.
Une échoppe ouverte à
tous vents où grignoter des galettes de maïs en
sirotant une bière, à l'ombre d'une tonnelle.
Une paysanne et deux ou trois enfants en bas âge offrant
aux passants des pastèques et des noix de coco posées
à même le bord de la chaussée, et que
l'on ouvrirait d'un adroit coup de machette pour consommation
immédiate.
La traversée des faubourgs un
peu crasseux et la plongée dans la ville immense et
animée.
San Salvador s'étalait, toute
blanche sur la pente, dominée par un cirque de volcans
érodés dont quelques-uns fumaient encore, recouverts
d'une jungle où seuls les guérilleros du FMLN,
le Farabundo Marti de Liberacion Nacional, parvenaient à
circuler sans se perdre.
Leur fief inexpugnable. La guerre civile
couvait encore sous les cendres et draînait comme autrefois
tous les hommes valides dans un camp ou dans l'autre, par
la force s'il le fallait.
Indigène ou étranger,
journaliste surtout, nul ne pouvait quitter le triangle délimité
par trois pôles, la ville, l'aéroport et les
superbes plages bordant le Pacifique. D'infranchissables barrages
militaires cernaient toute la zone et refoulaient sans ménagements
ceux qui s'y aventuraient sans un sésame signé
par le chef de l'état-major général en
personne. Le ravitaillement de la capitale en produits alimentaires
en souffrait, mais pour la garde nationale, tous les paysans,
hors du triangle "sûr", étaient plus
ou moins partisans des "terroristes".
Kevin donna au chauffeur de taxi l'adresse
de son contact où il se rendit directement, et attendit
de se retrouver seul pour sonner. Ses instructions étaient
de ne rencontrer personne d'autre que Chavez, et surtout de
ne pas s'approcher des ambassades, ni celle des États-Unis,
ni celle du Canada, même si sa vie en dépendait...
Une mission en sous-marin. Personne
sauf la "taupe" locale ne devait être informé.
Et surtout pas les attachés militaires ni les agents
des Services nord-américains en poste dans le pays.
Si les Salvadoriens soupçonnaient leur implication
dans l'action de Kevin, les gringos officiels n'auraient pas
à mentir. Ils ne pourraient pas être gênés
par les questions, puisqu'ils ne connaîtraient pas les
réponses. Ils ne pourraient pas non plus rendre compte
chez eux aux Affaires Étrangères ni au Département
de Justice de laction décidée en secret
par les plus hauts échelons de la CIA et du Pentagone,
ainsi que par le conseiller à la Sécurité
de la Maison Blanche. Ce dernier évitait d'informer
le président Kenneth Walker afin de ne pas le compromettre.
Un interphone était encastré dans un des piliers
du portail à deux battants, surmonté par une
discrète caméra de surveillance. Kevin s'annonça.
Un homme maigre et taciturne vint immédiatement lui
ouvrir et l'introduisit auprès du maître de maison.
On l'attendait.
Michel Goeldlin, Coeur de neige, Editions
de l'Aire, 1999.
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Extrait
de : Chemins d'écume |
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Une page de Chemins d'écume
Durant quatre mois, Yucki
et Michel Goeldlin ont fait le tour du monde à
bord dun cargo : Europe, canal de Panama,
quatorze escales dans le Pacifique Sud et retour
par lOcéan Indien, la Mer Rouge et
le Canal de Suez. Vie quotidienne des marins,
utilité du navire pour des îles de
rêve mais coupées du monde, ouragans,
mers à pirates
170 photographies
en noir/blanc et en couleurs illustrent ce
livre de bord .
Pendant ce temps notre
cargo a basculé de douze degrés
sur bâbord et passe entre les atolls qui
se dessinent, bas sur l'horizon. Palmiers, fleurs
luxuriantes, sable immaculé, bleu outre-mer,
la forme classique du rêve se rapproche
à grands tours d'hélice.
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Voici que passe Toau, à
quatre nautiques sur tribord, un îlot couvert de cocotiers
qui culmine à dix ou quinze mètres peut-être,
serti sur l'ouest, comme une bague de beauté, par une
barrière de corail qui arrache à chaque vague
embruns et jets d'écume. Enlacée par l'écrin
de récifs, une promesse de calme et de douceur: j'entrevois
la surface étincelante d'un lagon turquoise.
Et c'est là peut-être
que les huîtres aux lèvres noires, enragées
des mois durant par un grain de nacre, salivent jusqu'à
ce que mort s'en suive et livrent les perles les plus rares
qui puissent parer la Femme.
Premières visions d'îles
exotiques, cartes postales dont nous verrons encore de lointaines
surs jumelles...
Les ombres vont s'épaissir.
Annonçant une nuit claire, coucher de soleil somptueux,
avec rayon vert couleur de vu, couleur de bonheur, couleur
de flammes léchant un infini manteau d'or. Les ombres
tombent si vite sous les tropiques... déjà apparaît
la première étoile sur fond d'un dégradé
de rouge, indigo, marine, roi, nuit.
Vénus bien sûr, qui brille
sans un clignotement, puis une myriade d'astres grossis par
l'air limpide qu'aucune lumière terrestre, aucune fumée
ne viennent voiler.
Jamais encore n'avais-je contemplé
une voûte aussi parfaite, proche à toucher. La
voie lactée, belle à pleurer, belle à
rêver, ce profil de galaxie où la lunette permet
de deviner un nombre d'astres que personne, jamais, ne pourra
compter.
Nébuleuses invisibles, mondes
lointains, tempêtes et convulsions d'étoiles
qui se meurent, d'autres qui naissent, quasars, géantes
blanches, naines rouges, trous noirs trop denses pour que
la moindre lueur parvienne à s'en échapper,
tous ces mondes peut-être morts au moment où
les milliers de siècles-lumière convoient leur
reflet jusqu'à nous. Je mesure mon ignorance des choses
de l'astronomie, je n'ai aucun don pour le calcul qui permet
de savoir qu'une planète existe là où
l'il ne perçoit rien que le néant. Il
faudra que j'apprenne la géographie du ciel. Il faudra
qu'un jour j'acquière un télescope et sache
sur quoi je le braque.
Dans cette hémisphère
australe d'où a disparu la Grande Ourse, voici la Croix
du Sud, cette constellation si chère à Saint-Exupéry
et peut-être connue du Petit Prince lui-même.
Je découvre une lueur particulière,
comme une pleine lune cachée par un voile de brume,
et que le capitaine, féru d'astronomie, surnomme la
"Boule de Neige". Sphère étrange aux
contours imprécis, unique dans cet espace qui jamais
ne m'a autant fasciné que ce soir, que je me prends
à aimer mais qu'il me reste à connaître,
un amas simplement formé par mille étoiles lointaines
mais qui a dû faire naître de belles légendes
oubliées...
* * *
Dimanche 6 septembre.
La nuit passée, sur le cinquième
pont arrière, dans une brise douce, je ne pouvais cesser
de contempler le panorama jusqu'à ce que les gros rouleaux
de nuages cachent la lune pleine. J'oubliais le son grave
des moteurs devenu si familier, mon oreille ne captait plus
que la déchirure soyeuse des flots et le silence de
l'heure sereine.
"L'astre de nos nuits" était
largement cerclé d'un immense anneau circulaire, un
halo de brume que bordaient des strato-cumulus aux formes
se mouvant avec lenteur. Leur épaisseur marquée
par les nuances allant du gris foncé à un blanc
laiteux, passant par toutes les nuances, fer, souris marquant
leur volume, rappelait les nuages dessinés devant lesquels
passait la caravelle du Capitaine Crochet... Les flots mouvants
reflétaient un ciel clair, le regard s'adaptait à
la pénombre et s'aiguisait, jusqu'à l'horizon
le sillage de notre galion moderne jalonnait le chemin parcouru
inlassablement.
Toute cette glorieuse matinée,
sous un ciel radieux, des peuples entiers de poissons volants
s'écartaient par grappes de notre route rectiligne.
Vue de sous la surface des flots, la coque de l'Arunbank devait
les terroriser, de la taille d'une baleine mécanique,
d'un monstre dont le rugissement et les vibrations sont propagés
par l'eau, navigant au-dessus d'eux sans dévier de
sa route, aveugle, menaçant, invincible, prêt
à les dévorer. A moins que leur instinct ne
les mettent simplement en garde contre l'approche d'énormes
hélices prêtes à les laminer.
Ils trouent la surface comme des missiles
d'un ou deux pieds de long et déploient leurs nageoires
hypertrophiées comme de véritables ailes transparentes,
irisées. En frôlant la crête des vagues,
ils parviennent à ricocher, à planer en s'éloignant
de cent, voire deux-cents mètres du danger avant de
regagner leur élément naturel.
Parfois brumeux, nuages bas rejoignant
par endroits la mer où tombent les averses locales,
l'horizon se révèle aujourd'hui d'une netteté
chirurgicale, dessinant la rotondité terrestre.
Et dans le soleil couchant, le spectacle
renouvelé des cheveux d'ange orangés, des pompons
gris parsemant le ciel turquoise, puis l'obscurité
qui tombe plus vite que sous d'autres latitudes, le réveil
des constellations, des planètes et de l'heure sereine
où nous progressons sur une vague marine qui scintille
sous la lune, traçant un sillage luminescent.
A une imperceptible nuance dans la
couleur de l'océan, à la douceur de l'air, à
la sensualité de la houle, plus modeste et dansante,
à notre sillage d'écume et de bulles plus opalin,
je sens que nous approchons d'un des paradis terrestres tel
que l'ont découvert les anciens navigateurs de l'inconnu.
Mais peut-être cette impression n'est que dans ma tête:
grâce à la technique, je sais que nous approchons;
j'ai lu les cartes, j'ai fait le point, en ce moment, à
neuf heures du matin, longitude 10°07' et 128°38 de
latitude, il nous reste à peine quatre jours de course
jusqu'à notre première escale exotique. Sur
les caravelles et les galions, on cinglait en aveugle vers
la gloire ou la mort.
Au moment où notre vitesse décroît
de sept nuds par l'arrêt d'un moteur, notre cap
s'infléchit de vingt degrés sous l'effet de
la force d'inertie, avant d'être rétabli sur
son aire. La faible houle nous vient directement par bâbord
de l'Antarctique sans aucun obstacle intermédiaire
pour la freiner, des vaguelettes glaciales frissonnent par
le travers.
Chaque vendredi après dîner,
lorsque nous ne sommes pas à quai, les passagers invitent
les officiers à un apéritif. Il y a eu de joyeuses
réunions au salon, réception de bienvenue offerte
par le capitaine, franchissement du canal qu'enjambe l'autoroute
des Amériques reliant Anchorage à Ushuaïa,
puis notre entrée dans l'océan Pacifique, l'Équateur,
le diplôme en vieil anglais décerné par
Neptune.
Souvent, échange de bons procédés,
dérivatif à l'ennui, un des officiers invite
quelque voyageur ou un collègue à un coup de
l'étrier dans sa cabine. Et le marin d'ordinaire laconique,
réservé, ouvre un peu son cur. Une photo
circule, qui montre la famille de l'un, la femme et la fille
de l'autre, un paysage des environs de Vladivostok un jour
de chasse à l'ours, une modeste maison de Newcastle...
Nostalgie, solitude... Comme le moine dans sa cellule de prière,
ici l'être est seul, entouré de solitaires...
Michel Goeldlin, Chemins d'écume,
livre de bord, Indo Editions, 2001.
Page créée le 01.11.97
Dernière mise à jour le 27.01.12
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