Actuellement sur le Cultur@ctif
Les invités du mois : Jean Richard (Editions d'en bas), Sabine Dörlemann (Dörlemann Verlag), Thomas Heilmann (Rotpunktverlag), Fabio Casagrande (Edizioni Casagrande) - Les Livres du mois : Fabiano Alborghetti : "Supernova" - Quentin Mouron : "Au point d'effusion des égouts" - Peter Stamm : "Au-delà du lac" - Mikhaïl Chichkine : "Deux heures moins dix" - Marius Daniel Popescu : "Les couleurs de l'hirondelle" - Arno Camenisch : "Ustrinkata" - Sylviane Dupuis : "Poème de la méthode" - Klaus Merz : "Die Lamellen stehen offen" - "In der Dunkelkammer" - Pietro Montorfani : "Di là non ancora" - Inédits : Elena Jurissevich : "Ce qui reste du ciel" - Erica Pedretti : "Plutôt bizarre"

 
retour page d'accueil

Michel Goeldlin
www.goeldlin-michel-yucki.com

Notice biographique - Bibliographie - Témoignages -
Extrait de : Coeur de neige
- Extrait de : Chemins d'écume - Article : "Promenade avec Einstein"

Autres pages sur l'auteur

Rubrique Bibliothèque
Coeur de neige

Rubrique Editeurs de Suisse
Coeur de neige, Editions de L'Aire


  Notice biographique

Michel Goeldlin

Michel Goeldlin naît le 3 août 1934 avec la double nationalité suisse et américaine. Il écrit en français et a créé dix romans et trois non-fiction à ce jour, totalisant 48 éditions, coéditions, adaptations et traductions en anglais, russe, allemand, italien, suédois et prochainement catalan. Il a aussi écrit pour sa femme Yucki, photographe, les textes d'un album et de 42 expositions individuelles présentées à Monaco, en France, au Canada, en Suisse et en Russie. Un essai a été publié au Canada sur son œuvre.

Michel Goeldlin est membre de:

  • Comité d'Honneur de l'Association pour le Rayonnement des Langues Européennes ARLE, Paris
  • Association des Ecrivains de Langue Française ADELF, Paris

Michel et Yucki Goeldlin sont Chevaliers de l'Ordre des Grimaldi et de l'Ordre des Arts et des Lettres.

pour communiquer avec l'auteur: goeldlin@libello.com

 

  Bibliographie

Les Sentiers obliques, roman, 1° éd Éditions Bertil Galland,Vevey, 1972
2° éd Éditions Bertil Galland Vevey, 1972
catalan : Edicions La Campana, Barcelone, à paraître
 
Le vent meurt à midi, roman, Éditions Bertil Galland, Vevey, 1976
allemand coédition:
Benziger, Cologne, 1977
ExLibris collection CH, CH Zurich, 1977
russe Éditions Kstatie, Moscou, 1977
collection l'Aire Bleue, Éd. de l'Aire, Vevey, 1998
 
Juliette Crucifiée roman, Éditions Bertil Galland, Vevey, 1977
théâtre radiophonique : diffusion RadioSuisse romande, Lausanne 1979
allemand : Rainer Wunderlich Verlag, Tubingue, 1981
Éditions de L'Aire, Vevey 1984
italien : SEI, Società Editrice Internazionale, Turin 1986
théâtre radiophonique : diffusion Radio-Canada : Montréal, 1986
coédition:
Éditions Boréal, Montréal, 1987
Éditions de L'Aire, Vevey, 1987
anglais : Ragweed Press Vevey, Charlottetown, 1987
France Loisirs, Paris, 2007
 
A L'Ouest du Lake Placid, roman, Éditions Bertil Galland, Vevey, 1979
Éditions de L'Aire, Vevey, 1987
 
Les Désemparés, roman, Éditions de L'Aire, Vevey, 1983
France Loisirs, Lausanne-Crissier, 1984
allemand : Schweizer Verlagshaus, Zuric, 1984
allemand : au catalogue du Club Neue Schweizer Bibliothek, Zurich, 1986
 

Les Moissons du désert, roman, frontispice de Hans Erni, Éditions de L'Aire, Vevey, 1984
Alban Éditions, Versailles, 2004
suédois : Elisabeth Grate Bokförlag, Stockholm, 2007
Textes pour:
Sahara, exposition de Yucki Goeldlin, Espace Voyageurs du Monde, Nice 2005
Expositions de Yucki Goeldlin avec textes:
Espace Voyageurs du Monde, Nice 2005
Musée de la Méditerranée, Stockholm, 2007

 
Textes pour:
60 Photographies romanesques de Yucki Goeldlin album, Éditions de l'Aire, préface de Bertil Galland, Vevey, 1985
expositions:
Musée suisse de l'Appareil Photographique, Vevey, 1985
Centre culturel suisse, Paris, 1986
Université Mac Gill, Montréal, 1986
Galerie George, Charlottetown Nouvelle Ecosse, 1986
Université Ste-Anne, 1995
 
L'espace d'un homme, essai autobiographique, Éditions Zoé, Genève, 1989
France-Loisirs, Lausanne-Crissier, 1989
 
La Planète des victimes, reportage de guerre - 280 pages et 48 photos hors texte de Yucki Goeldlin
coédition:
Éditions du Griot, Paris, 1990
Éditions de l'Aire, Vevey, 1990
France Loisirs, Paris, 1991
Prix Alpes-Jura de l'Association des Ecrivains de Langue Francaise
 
Expositions de Yucki Goeldlin avec textes:
Vernissage exposition et livre La Vieille Grille, Paris, 1990
Villa Lamartine, sous le patronage de SAS le Prince Albert de Monaco, Monaco
Musée suisse de l'Appareil photographique, Vevey, 1991
Bibliothèque d'Etat de Littérature étrangère, Moscou, 1991
Bibliothèque centrale, Saint-Pétersbourg, 1991
Siège de l'UNESCO, Paris, 1992
Lire en Fête, Roquebrune Cap Martin, 2007
Mois de la Femme, Nice 2008
 
Textes pour:
A la Rencontre des Inuits de Yucki Goeldlin
exposition:
Musée océanographique, Monaco, 1993
 
Textes pour:
Mondes extrêmes de Yucki Goeldlin
expositions:
Salon du Livre d'Edmundston, Canada, 1996
Salon du Livre de Gaspésie, Canada, 1997
Siège de France Loisirs, Paris, 1997
La Citadelle, Villefranche/Mer, 1999
Musée de la Préhistoire, Menton, 2004
 
Panne de Cerveau, roman, Éditions de l'Aire, Vevey, 1996
Alban Éditions, Versailles 2004
Éditions Kstaty, Moscou, 2006
 

Coédition
Péril au Nunavut, roman, Editions Libre Expression, Montréal, 1999
Suisse : "Coeur de Neige", Éditions de l'Aire, Vevey, 1999
"Coeurs de Neige", Éditions du Rocher, Monaco et Paris 2008
Snowheart, Kanzaman Madrid, en adaptation long-métrage

 
Chemins d'écume, livre de bord, Indo Éditions, Paris, 2001
Coédition suisse :
L’Aire, Vevey, 2001
Allemand, National Geographic Adventure Press, Goldmann Verlag, Munich, 2003
 
Textes pour :
Chemins d'écume, expos de Yucki Goeldlin
Musée Océanographique sous le haut patronage de SAS le Prince Albert de Monaco
Institut Océanographique, Paris, 2002
Hôtel de Ville, Vevey, 2002
dans le cadre du Festival international de l'Image
Ambassade de France à Monaco, 2008
 
Sculpteur de Nuages, Editions Carnot, Paris, 2002
Prix littéraire européen 2003
 
Voyageur du crépuscule, Alban Éditions, Versailles 2004
 
La Vie entre plume et déclic, exposition rétrospective, photographies de Yucki Goeldlin, textes de Michel Goeldlin sous le haut patronage de l'Ambassadeur de Suisse en France Son Excellence M. François Nordmann, Centre International d'Art Contemporain CIAC, Château de Carros 2005
Médiathèque André-Verdet, Ville de Carros, 2005
Médiathèque de Valdeblore (Alpes Maritimes), 2005
Monographie, 110 photos couleurs et noir-blanc, Éditions de l'Ormaie, Vence, 2005
 
Textes pour:
Siberiana, expo de Yucki Goeldlin, Médiathèque, Vence, 2008
 
Ouvrages de référence
Michel Goeldlin, Espaces du réel, cheminements de la création par Martine Jacquot, préface du prof. H-D. Paratte, Université d'Acadie, Éd du Grand-Pré, 215 p. 40 illustr. Canada 1995
in "Multicultural Writers since 1945" par Alba Amoia et Bettina L. Knapp, éd. Greenwood Press, Ct, USA, 2004

 

  Témoignages


L'auteur témoigne avec sobriété des réalités de cet univers de vies brisées que d'incessants conflits viennent grossir à l'infini.
Le Monde, Paris

Ses romans... s'inspirent de l'actualité et de faits divers
Dictionnaire des Littératures, Larousse

"...un livre de bord exceptionnel, d'une écriture sans fioritures, une émotion et sincérité rares... Il mérite amplement le Grand Prix du rêve et de l'évasion."
Frédéric Altman, Monaco Madame

"...on croise une galaxie d'auteurs qui pourraient être eux-mêmes des personnages de roman. Comme Gwench'lan Le Scouëzec, grand druide de Bretagne. Ou Michel et Yucki Goeldlin, auteurs de Chemins d'Ecume, récit écrit et photographique d'un tour du monde de quatre mois sur un cargo."
Boris Thiolay, Journal du Dimanche

"Encore plus que "l'exotisme", c'est votre regard à tous deux sur tous ces êtres humains qui m'a ému. Lucidité, fraternité, humilité et sens de l'osmose... Les valeurs motrices d'un écrivain et d'une photographe..."
Didier van Cauwelaert, Prix Goncourt

"La plume de Michel Goeldlin défend la dignité de l'homme et la dignité des mots d'un écrivain."
Nikita Razgovorov, Inostraiana Literatura Moscou

"Sobre, poignant, plein de compassion".
Jurg Altwegg, Frankfurter Allgemeine Francfort

"Votre livre m'a pris et ému, par la gravité de son thème assurément, mais aussi par la simplicité du ton et de la langue, de même que par sa construction dans la diversité et l'accord des mouvements."
Marcel Arland de l'Académie française ...

"cette Juliette crucifiée, véritable gravure sur acier par l'écriture."
Armand Lanoux de l'Académie Goncourt

"Goeldlin's writing is concise and to the point"
Adam Bellows, New York Times book review

"Le livre capte le goût très spécial d'un monde révolu et d'un monde nouveau".
Peter Straus, Radio Dialog New York

"Le regard de l'écrivain a su dépasser toutes les frontières du racisme et de l'incompréhension. On parcourt ce livre comme un rêve."
Natania Etienne, Moncton University Canada

Titre: Un duo de rêve...
... "351 pages d'une belle écriture chaleureuse, tendre et émouvante, richement illustrées. Yucki et Michel, une complicité rare que l'on perçoit au fil de la lecture..."
Frédéric Altman, Nice Matin

"C'est bien l'écume de la mer que l'on reçoit en plein visage, que vous faites surgir dans ces belles pages et dans ces très originales photographies."
Prof. M. Aubert, président
Université internationale de la Mer

"Son écriture est à la jonction de ce symbolisme puissant que les meilleurs romanciers européens ont su traduire dans leurs romans, et cette volonté de prise sur le réel qui a toujours fait la force des romans américains, de Dos Passos ou Hemingway à Mario Puzo ou Mailer...
Ce romancier, comme tout grand romancier, est avant tout un explorateur des êtres."
Prof. H-D. Paratte, Acadia University Canada
dans la préface du "Michel Goeldlin" de Martine Jacquot

 

  Extrait de : Coeur de neige

Coeur de Neige, extrait du premier chapitre

Territoires du Nord-Ouest, Canada, 19 heures.

Devant les yeux rougis de Pilipusee, au-delà de la fatigue, les lettres et les graphiques de couleur commençaient à se mêler sur l'écran de l’ordinateur et dansaient en ondoyant. Depuis deux semaines il travaillait quinze heures par jour au texte le plus important qu’il aurait jamais à concevoir, en réfléchissant à chaque nuance, à la construction sans faille du raisonnement, à l’interprétation que l’on pourrait en donner. Et lorsqu’il s’écroulait sur le lit aux côtés de Zipporah, épuisé, les idées qui tournoyaient dans sa tête envahissaient encore son sommeil.

Le vendredi précédent, Pilipusee avait envoyé par courrier électronique les invitations à la conférence qui marquerait un tournant historique pour les milliers d'âmes qui peuplaient le Grand Nord canadien.

Il se leva, s'étira pour chasser les courbatures et se dirigea vers la fenêtre.

Cette année, début septembre, l'hiver s'annonçait déjà. Les glaces qui recouvraient la mer jusqu'à l'horizon ne s'étaient pas même entrouvertes durant les semaines tièdes, autour des rivages de leur île aux confins de la banquise permanente, sur le 75° parallèle Nord. Les phoques étaient montés du sud à la poursuite des bancs de morues, et les ours blancs avaient suivi leur garde-manger à leur tour, guettant près des petits trous de respiration ouverts par leurs futures proies dans l'épaisse couche opaque sous laquelle la vie continuait.

La chasse et la pêche avaient été maigres, mais une peau d'ours polaire mesurant pas loin de quatre mètres de la tête à la queue pendait à un cordeau devant la maison. Un des trois ours annuels alloués aux deux-cent-six Inuit de Tuklavik.

On mangerait de la viande, cette année encore. Avec la bénédiction des fonctionnaires.

La fondation d'un pays représentait une tâche presque surhumaine, la plus exaltante qui fût, et Pilipusee en serait le fer de lance pour le compte du conseil des anciens, que son père et d'autres sages avaient fondé afin de dialoguer avec le gouvernement fédéral. Les Inuit connaîtraient un pouvoir nouveau et géreraient leur destinée. Pour le jeune Inuit, obtenir l'autonomie de son territoire équivaudrait à fonder un pays neuf, à vivre sur une autre planète.

Pilipusee rédigeait les discours, le projet de statuts et le catalogue des revendications avec toute la rigueur dont il était capable. Il pesait chaque mot, étreint par une angoisse permanente devant sa responsabilité. Il se concentrait sur son travail qui serait rendu public dans deux semaines par son père, Aklaksak, et qui ferait sur le monde tout entier, ou du moins sur le Canada, l'effet du plus puissant des blizzards.

Pilipusee entendait déjà la voix cassée, un peu voilée du vieux chef, prononcer doucement les mots qui se formaient maintenant sur son écran:

"En conclusion, Messieurs les représentants des autorités et de la presse, je vous prie de prendre date pour les négociations qui déboucheront, je veux le croire, sur le droit pour mon peuple à disposer de lui-même. Nous désirons l'autonomie pour notre territoire. Je demande au gouvernement fédéral du Canada de présenter nos légitimes revendications aux députés. Ce pays est une démocratie, qu'il le prouve."

Et le ton modéré amplifierait le contenu des paroles mieux que s'il tempêtait.

Le chef Aklaksak, auquel il succéderait peut-être un jour, le sage qui avait été chaman avant que les rites ne s'estompent, et les autres anciens du conseil comptaient sur Pilipusee. Le peuple entier comptait sur lui en silence. Rien n'avait encore transpiré, en dehors, du projet qui changerait la vie des Inuit de la région. On appelait "en dehors" tout ce qui n'était pas le Grand Nord, le reste du monde.

Du jeune homme dépendait la couleur que prendrait l'avenir. A moins que Pilipusee n'échoue comme avait échoué son grand-père, autrefois, et ne parte alors comme lui tout droit sur la mer de glace, s'éloigne, rapetisse jusqu'à ne devenir qu'un point à l'horizon et disparaisse dans l'infini, à la rencontre de son éternité. C'est ainsi que son aïeul avait voulu se purifier de la défaite, se racheter à ses propres yeux et devant les esprits des ancêtres.

Pilipusee songeait souvent à son grand-père, mort d'avoir voulu la liberté pour son peuple, si proche de lui par le
cœur et par la pensée, et qu'il avait tant aimé dans son enfance. Il se refusait à envisager l'échec de cette nouvelle démarche. Tout cela prendrait du temps, mais la réussite serait au rendez-vous. Son fils Simeanee et le nouvel enfant que portait Zipporah seraient peut-être les seuls à voir se concrétiser la naissance de leur pays.

***

Salvador, Amérique Centrale, 14 heures.

Le plus difficile pour moi sera de quitter le périmètre contrôlé par l'armée, se dit Kevin Smith.

L'avant-veille encore, à Washington, un spécialiste le chapitrait sur la délicate action qu'il aurait à mener à bien. Mais Kevin se sentait calme. L'habitude de frôler le danger. Dès le début de son engagement, il s'était inventé une devise: "Jusqu'au bout de mon devoir, sans états d'âme".

De Foster Dulles, l'aéroport de la capitale américaine, il prit un vol pour Montréal, d'où il embarqua le jour même pour le Salvador sans passer à la maison: Clarissa le croyait en tournée d'inspection dans la province de la Saskatchewan.

Pendant qu'il attendait sa correspondance, Kevin déchira le talon du billet précédent et prépara le nouveau. Personne ne devait savoir quel était le véritable point de départ de son itinéraire.

A son arrivée en Amérique Centrale, après les escales de Miami et de Belize, un policier au regard aigu compara la photo du passeport canadien et le visage de l'homme, puis consulta une liste affichée sur le côté de son cagibi. Une liste noire sans doute.

Il examina aussi le titre de transport émis à Montréal, son lieu d'embarquement.
— Affaires ou tourisme, monsieur Smith?
— Affaires. Je suis consultant auprès de l'estancia Chavez, votre principal producteur de café à Santa Ana.
— Profession, phyto-biologiste? s'étonna l'agent. Je n'en ai jamais entendu parler.

Sa couverture pour cette mission particulière. Il ne pouvait se prétendre spécialiste en sécurité bancaire pour se rendre dans une plantation, et s'amusait d'avoir à changer de métier supposé au gré des situations.
— Je suis expert en plantes, si vous voulez. Nous étudions de nouveaux croisements de caféiers pour améliorer leur productivité et la lutte intégrée contre les parasites.
— Est-ce votre première visite chez nous?
— Oui.
— Bienvenue au Salvador, Monsieur Smith, dit le policier en apposant un timbre humide. N'oubliez pas d’obtenir auprès de la Garde Nationale votre laissez-passer avant de quitter la capitale, sinon vous ne pourrez pas aller jusqu'à Santa Ana.

Kevin s'appelait Smith depuis si longtemps qu'il avait presque oublié son véritable nom.

Même Clarissa croyait vraiment s'appeler Smith, depuis leur mariage, voici vingt ans, et les enfants se plaignaient d'un nom aussi banal. "N'aurions-nous pas pu nous appeler O'Shennessy ou Zbrizgniev? Mais Smith, comme tout le monde..."

Pour une mission ordinaire dans un pays dont le gouvernement comptait tant d'amis à Washington, en particulier du côté des militaires du Pentagone et des agents de Langley, siège de la CIA, Kevin le Canadien n'aurait pas eu besoin d'une couverture.

Celle-ci ne tiendrait de toutes façons pas auprès des guérilleros s'il se faisait piéger, au contraire. Comme âme damnée d'un des quatorze propriétaires de grands domaines agricoles qui se partageaient le plus clair des terres fertiles, les rebelles lui feraient son affaire.

Kevin héla un taxi devant l’aérogare, située non loin des plages du Pacifique. Malgré la chaleur et l’humidité, il transpirait peu.

Aux yeux des diplomates en poste à San Salvador et des rares touristes qui s'aventuraient de nouveau dans le pays, l'image offerte était celle d'une Amérique latine de carte postale: accueil souriant, autoroute bien entretenue serpentant entre des collines douces, palmiers, hibiscus et champs de cannes à sucre.

Une échoppe ouverte à tous vents où grignoter des galettes de maïs en sirotant une bière, à l'ombre d'une tonnelle. Une paysanne et deux ou trois enfants en bas âge offrant aux passants des pastèques et des noix de coco posées à même le bord de la chaussée, et que l'on ouvrirait d'un adroit coup de machette pour consommation immédiate.

La traversée des faubourgs un peu crasseux et la plongée dans la ville immense et animée.

San Salvador s'étalait, toute blanche sur la pente, dominée par un cirque de volcans érodés dont quelques-uns fumaient encore, recouverts d'une jungle où seuls les guérilleros du FMLN, le Farabundo Marti de Liberacion Nacional, parvenaient à circuler sans se perdre.

Leur fief inexpugnable. La guerre civile couvait encore sous les cendres et draînait comme autrefois tous les hommes valides dans un camp ou dans l'autre, par la force s'il le fallait.

Indigène ou étranger, journaliste surtout, nul ne pouvait quitter le triangle délimité par trois pôles, la ville, l'aéroport et les superbes plages bordant le Pacifique. D'infranchissables barrages militaires cernaient toute la zone et refoulaient sans ménagements ceux qui s'y aventuraient sans un sésame signé par le chef de l'état-major général en personne. Le ravitaillement de la capitale en produits alimentaires en souffrait, mais pour la garde nationale, tous les paysans, hors du triangle "sûr", étaient plus ou moins partisans des "terroristes".

Kevin donna au chauffeur de taxi l'adresse de son contact où il se rendit directement, et attendit de se retrouver seul pour sonner. Ses instructions étaient de ne rencontrer personne d'autre que Chavez, et surtout de ne pas s'approcher des ambassades, ni celle des États-Unis, ni celle du Canada, même si sa vie en dépendait...

Une mission en sous-marin. Personne sauf la "taupe" locale ne devait être informé. Et surtout pas les attachés militaires ni les agents des Services nord-américains en poste dans le pays. Si les Salvadoriens soupçonnaient leur implication dans l'action de Kevin, les gringos officiels n'auraient pas à mentir. Ils ne pourraient pas être gênés par les questions, puisqu'ils ne connaîtraient pas les réponses. Ils ne pourraient pas non plus rendre compte chez eux aux Affaires Étrangères ni au Département de Justice de l’action décidée en secret par les plus hauts échelons de la CIA et du Pentagone, ainsi que par le conseiller à la Sécurité de la Maison Blanche. Ce dernier évitait d'informer le président Kenneth Walker afin de ne pas le compromettre. Un interphone était encastré dans un des piliers du portail à deux battants, surmonté par une discrète caméra de surveillance. Kevin s'annonça. Un homme maigre et taciturne vint immédiatement lui ouvrir et l'introduisit auprès du maître de maison.

On l'attendait.

Michel Goeldlin, Coeur de neige, Editions de l'Aire, 1999.

 

  Extrait de : Chemins d'écume

Une page de Chemins d'écume

Durant quatre mois, Yucki et Michel Goeldlin ont fait le tour du monde à bord d’un cargo : Europe, canal de Panama, quatorze escales dans le Pacifique Sud et retour par l’Océan Indien, la Mer Rouge et le Canal de Suez. Vie quotidienne des marins, utilité du navire pour des îles de rêve mais coupées du monde, ouragans, mers à pirates… 170 photographies en noir/blanc et en couleurs illustrent ce “ livre de bord ”.

Pendant ce temps notre cargo a basculé de douze degrés sur bâbord et passe entre les atolls qui se dessinent, bas sur l'horizon. Palmiers, fleurs luxuriantes, sable immaculé, bleu outre-mer, la forme classique du rêve se rapproche à grands tours d'hélice.

Voici que passe Toau, à quatre nautiques sur tribord, un îlot couvert de cocotiers qui culmine à dix ou quinze mètres peut-être, serti sur l'ouest, comme une bague de beauté, par une barrière de corail qui arrache à chaque vague embruns et jets d'écume. Enlacée par l'écrin de récifs, une promesse de calme et de douceur: j'entrevois la surface étincelante d'un lagon turquoise.

Et c'est là peut-être que les huîtres aux lèvres noires, enragées des mois durant par un grain de nacre, salivent jusqu'à ce que mort s'en suive et livrent les perles les plus rares qui puissent parer la Femme.

Premières visions d'îles exotiques, cartes postales dont nous verrons encore de lointaines sœurs jumelles...

Les ombres vont s'épaissir. Annonçant une nuit claire, coucher de soleil somptueux, avec rayon vert couleur de vœu, couleur de bonheur, couleur de flammes léchant un infini manteau d'or. Les ombres tombent si vite sous les tropiques... déjà apparaît la première étoile sur fond d'un dégradé de rouge, indigo, marine, roi, nuit.

Vénus bien sûr, qui brille sans un clignotement, puis une myriade d'astres grossis par l'air limpide qu'aucune lumière terrestre, aucune fumée ne viennent voiler.

Jamais encore n'avais-je contemplé une voûte aussi parfaite, proche à toucher. La voie lactée, belle à pleurer, belle à rêver, ce profil de galaxie où la lunette permet de deviner un nombre d'astres que personne, jamais, ne pourra compter.

Nébuleuses invisibles, mondes lointains, tempêtes et convulsions d'étoiles qui se meurent, d'autres qui naissent, quasars, géantes blanches, naines rouges, trous noirs trop denses pour que la moindre lueur parvienne à s'en échapper, tous ces mondes peut-être morts au moment où les milliers de siècles-lumière convoient leur reflet jusqu'à nous. Je mesure mon ignorance des choses de l'astronomie, je n'ai aucun don pour le calcul qui permet de savoir qu'une planète existe là où l'œil ne perçoit rien que le néant. Il faudra que j'apprenne la géographie du ciel. Il faudra qu'un jour j'acquière un télescope et sache sur quoi je le braque.

Dans cette hémisphère australe d'où a disparu la Grande Ourse, voici la Croix du Sud, cette constellation si chère à Saint-Exupéry et peut-être connue du Petit Prince lui-même.

Je découvre une lueur particulière, comme une pleine lune cachée par un voile de brume, et que le capitaine, féru d'astronomie, surnomme la "Boule de Neige". Sphère étrange aux contours imprécis, unique dans cet espace qui jamais ne m'a autant fasciné que ce soir, que je me prends à aimer mais qu'il me reste à connaître, un amas simplement formé par mille étoiles lointaines mais qui a dû faire naître de belles légendes oubliées...

* * *

Dimanche 6 septembre.

La nuit passée, sur le cinquième pont arrière, dans une brise douce, je ne pouvais cesser de contempler le panorama jusqu'à ce que les gros rouleaux de nuages cachent la lune pleine. J'oubliais le son grave des moteurs devenu si familier, mon oreille ne captait plus que la déchirure soyeuse des flots et le silence de l'heure sereine.

"L'astre de nos nuits" était largement cerclé d'un immense anneau circulaire, un halo de brume que bordaient des strato-cumulus aux formes se mouvant avec lenteur. Leur épaisseur marquée par les nuances allant du gris foncé à un blanc laiteux, passant par toutes les nuances, fer, souris marquant leur volume, rappelait les nuages dessinés devant lesquels passait la caravelle du Capitaine Crochet... Les flots mouvants reflétaient un ciel clair, le regard s'adaptait à la pénombre et s'aiguisait, jusqu'à l'horizon le sillage de notre galion moderne jalonnait le chemin parcouru inlassablement.

Toute cette glorieuse matinée, sous un ciel radieux, des peuples entiers de poissons volants s'écartaient par grappes de notre route rectiligne. Vue de sous la surface des flots, la coque de l'Arunbank devait les terroriser, de la taille d'une baleine mécanique, d'un monstre dont le rugissement et les vibrations sont propagés par l'eau, navigant au-dessus d'eux sans dévier de sa route, aveugle, menaçant, invincible, prêt à les dévorer. A moins que leur instinct ne les mettent simplement en garde contre l'approche d'énormes hélices prêtes à les laminer.

Ils trouent la surface comme des missiles d'un ou deux pieds de long et déploient leurs nageoires hypertrophiées comme de véritables ailes transparentes, irisées. En frôlant la crête des vagues, ils parviennent à ricocher, à planer en s'éloignant de cent, voire deux-cents mètres du danger avant de regagner leur élément naturel.

Parfois brumeux, nuages bas rejoignant par endroits la mer où tombent les averses locales, l'horizon se révèle aujourd'hui d'une netteté chirurgicale, dessinant la rotondité terrestre.

Et dans le soleil couchant, le spectacle renouvelé des cheveux d'ange orangés, des pompons gris parsemant le ciel turquoise, puis l'obscurité qui tombe plus vite que sous d'autres latitudes, le réveil des constellations, des planètes et de l'heure sereine où nous progressons sur une vague marine qui scintille sous la lune, traçant un sillage luminescent.

A une imperceptible nuance dans la couleur de l'océan, à la douceur de l'air, à la sensualité de la houle, plus modeste et dansante, à notre sillage d'écume et de bulles plus opalin, je sens que nous approchons d'un des paradis terrestres tel que l'ont découvert les anciens navigateurs de l'inconnu. Mais peut-être cette impression n'est que dans ma tête: grâce à la technique, je sais que nous approchons; j'ai lu les cartes, j'ai fait le point, en ce moment, à neuf heures du matin, longitude 10°07' et 128°38 de latitude, il nous reste à peine quatre jours de course jusqu'à notre première escale exotique. Sur les caravelles et les galions, on cinglait en aveugle vers la gloire ou la mort.

Au moment où notre vitesse décroît de sept nœuds par l'arrêt d'un moteur, notre cap s'infléchit de vingt degrés sous l'effet de la force d'inertie, avant d'être rétabli sur son aire. La faible houle nous vient directement par bâbord de l'Antarctique sans aucun obstacle intermédiaire pour la freiner, des vaguelettes glaciales frissonnent par le travers.

Chaque vendredi après dîner, lorsque nous ne sommes pas à quai, les passagers invitent les officiers à un apéritif. Il y a eu de joyeuses réunions au salon, réception de bienvenue offerte par le capitaine, franchissement du canal qu'enjambe l'autoroute des Amériques reliant Anchorage à Ushuaïa, puis notre entrée dans l'océan Pacifique, l'Équateur, le diplôme en vieil anglais décerné par Neptune.

Souvent, échange de bons procédés, dérivatif à l'ennui, un des officiers invite quelque voyageur ou un collègue à un coup de l'étrier dans sa cabine. Et le marin d'ordinaire laconique, réservé, ouvre un peu son cœur. Une photo circule, qui montre la famille de l'un, la femme et la fille de l'autre, un paysage des environs de Vladivostok un jour de chasse à l'ours, une modeste maison de Newcastle... Nostalgie, solitude... Comme le moine dans sa cellule de prière, ici l'être est seul, entouré de solitaires...

Michel Goeldlin, Chemins d'écume, livre de bord, Indo Editions, 2001.

 

Page créée le 01.11.97
Dernière mise à jour le 27.01.12

© "Le Culturactif Suisse" - "Le Service de Presse Suisse"