Léo Tuor
Présentation
- Bibliographie - Entretien
par Jean-Jacques Furer -
"Sur digl ir vida nuorsas" / De la garde
des moutons - Catscha sil capricorn en Cavrein
Présentation |
Leo Tuor ou la poésie
entre alpages et archives
Photo © Yvonne Böhler |
Leo Tuor est né en 1959 dans une famille modeste de Rabius, où il a passé son enfance avant de fréquenter lécole secondaire de Mustér.
Ces indications, pour succinctes quelles soient, suffisent déjà à un Romanche pour simaginer une part essentielle de la vie et de la formation de Leo Tuor. Il en tire en effet linformation primordiale que la famille, contrairement à tant dautres familles romanches, na pas émigré dans le reste de la Suisse. Il sait ensuite que Rabius, un village de paysans et dartisans du bois, est situé dans la vallée du Rhin antérieur, la Surselva, dont lidiome représente à lui seul la moitié de la langue romanche (qui se compose de cinq idiomes littéraires standardisés. |
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Et il précisera pour lui-même
que Rabius se trouve dans la partie supérieure de la
Surselva, appelée Cadi, cest-à-dire Maison-Dieu,
qui est à la fois un fief du catholicisme conservateur
et le grand bloc le plus solide de toute laire romanche.
Enfin, tout Romanche sait que lécole secondaire
de Mustér est tenue par le monastère bénédictin
du lieu (par contre, peu de Romanches accorderont une attention
particulière au fait pourtant lourd de conséquences
sociolinguistiques que le collège de Mustér
est un internat de langue allemande accueillant de nombreux
jeunes Alémaniques, et que le monastère lui-même
est essentiellement germanophone et joue de ce fait un rôle
sociolinguistique assez ambivalent dans une région
sinon très romanche).
Pour un Romanche, la principale question
qui reste à éclaircir est alors de savoir si
Leo Tuor sest plus ou moins coulé dans le moule
traditionnel de sa région, ou si au contraire il a
cherché à sen libérer avec plus
ou moins de violence.
Comme la plupart des Romanches catholiques
qui font des études supérieures, Leo Tuor a
étudié les lettres aux universités de
Fribourg et de Zurich, ainsi quà Berlin, terminant
avec un diplôme denseignant secondaire quil
na que peu utilisé. Pendant ses années
duniversité, Leo Tuor a par ailleurs été
responsable de la Talina, une petite revue estudiantine sursilvane
dont les notables régionaux se défiaient déjà
depuis longtemps, mais quils ont commencé à
prendre véritablement en horreur en raison du ton et
des libertés que le nouveau rédacteur se permettait
à leur égard.
Cet engagement donnerait naturellement
à penser que, entre continuité et remise en
question, Leo Tuor a choisi la seconde voie. Mais, fait apparemment
unique parmi les universitaires romanches, Leo Tuor, en même
temps quil acquérait une solide formation humaniste,
a commencé à travailler dans le domaine sans
doute le plus traditionnel qui soit, lagriculture, et
ce tout en bas de léchelle sociale de sa région,
comme berger sur lalpe. Dautres étudiants
romanches daujourdhui ont certes pu aider leur
père, ou plutôt un oncle ou grand-père
encore agriculteur. Certains ont même pu travailler
un ou deux étés comme bergers pour contribuer
à payer leurs études.
Mais la différence est que Leo
Tuor, aujourdhui encore, passe ses étés
sur la Greina, à garder avec ses deux chiens un petit
millier de moutons, ne redescendant à lautomne
quà demi et comme à regret dans la vallée,
puisquil vit dans un hameau isolé au-dessus de
son village natal.
Cest dailleurs cette expérience
de berger qui a donné naissance en 1988 à ce
qui est jusquà présent, il faut bien le
dire, la seule uvre littéraire dune certaine
ampleur que Leo Tuor ait écrite. Mais cette uvre
est sous bien des aspects la plus originale de la littérature
romanche et a suffi à le propulser parmi les auteurs
de premier rang, lui assurant du même coup une notoriété
et une considération croissantes au niveau national
grâce aux traductions allemande et française
qui en ont été faites. Dun autre côté,
Giacumbert Nau, cette uvre extrême daucuns
diraient rageusement outrancière et offensante pour
la société et la religion a valu à
son auteur des années dun ostracisme qui a eu
des conséquences professionnelles et donc matérielles
assez lourdes.
Il ne faudrait cependant pas, arrivé
à ce point, simaginer que Leo Tuor soit un simple
poète révolté doublé dun
adepte du retour à la nature, occupé à
réapprendre les gestes idéalisés du berger
de montagne. Depuis dix ans, il travaille avec lessayiste
Iso Camartin à une uvre scientifique de grande
envergure, la réédition commentée des
uvres de Giacun Hasper Muoth, le grand poète
classique de la Surselva. Il sagit là dun
véritable travail de bénédictin, effectué
avec les moyens informatiques les plus modernes, mais qui
a dû commencer par une fouille en règle tant
des archives cantonales que des greniers familiaux pour retrouver
les originaux de textes que les éditeurs successifs
se sont souvent permis d"améliorer"
jusquà les rendre presque méconnaissables.
Le travail sest ensuite poursuivi par une étude
approfondie, entre autres, de la société sursilvane
et grisonne et de ses conditions de vie il y a un siècle,
afin de présenter luvre et lauteur
dans son contexte. Aujourdhui, cinq des six volumes
prévus sont publiés.
Leo Tuor apparaît ainsi comme
une personnalité riche et attachante (pour bien des
gens), mais extrêmement complexe et déroutante.
Lentretien qui suit devrait présenter un peu
mieux cette personnalité romanche, tout en sachant
quon pourrait fort bien consacrer tout un volume à
en présenter les multiples facettes.
Jean-Jacques Furer
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Bibliographie |
Flurs (da)
piertg, Litteratura 3.1 (1980), pp. 87-94. |
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Sisifem,
Ischi semestril 66 (1981), p. 17 et suiv. |
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La scienzia
gaglia, Talina 147 (1984), p. 18 et suiv. I Talina
148 (1984), p. 32 et suiv. |
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Neu nauschaspért,
Litteratura 9 (1986), pp. 185-189. |
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Giacumbert
Nau, Coire (Octopus) 1988; 2e éd. 1989; trad.
all. Coire (Octopus) 1994;
Traduction française : par Nicolas Quint, Lausanne (LAge dHomme)
1997.
Traduction italienne : trad. di Riccarda Caflisch e Francesco Maiello, Casagrande, 2006 |
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Cadruvi passa
giud tribuna in pamflet , Talina 166/167 (1988),
pp. 8-11. |
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Il cabinet
dils scribents, Ischi 74 (1989), pp. 7-9. |
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ein Thal-Geländ
so eines rauchen wilden kalten Luftes ist, gleichwohl
an schönen weidreichen Alpen, Bergen, Wiesen und
Güttern lieblich und lustig anzusehen
ina reportascha, Litteratura 19 (1996), pp. 442-452. |
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La Svizra da
ferias, La Quotidiana 11.12.1998, p. 9; trad. all.
dans: Heimat verkaufen, Weltwoche ABC, Zurich 1998. |
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Sur digl ir
vida nuorsas, inédit en romanche, trad. all.
dans: Handbuch Alp, Coire (Octopus) 1998, pp. 92-100. |
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Onna Maria
Tumera ni ils antenats, Casa editura Octopus, 2002
Traduction allemande : Onna Maria Tumera,
oder, die Vorfahren, aus dem Rätoroman. von Peter
Egloff, Limmat-Verlag, 2004 |
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Settembrini : veta e meinis, Lia rumantscha, 2006 |
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Surselva : straglischs = Surselva : Streiflichter, transl. tudestg: Christina Kurth ; maletg: Lucia Degonda, OSL, Ovra svizra da lectura per la giuventetgna, 2007 |
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Il cavegl grisch : 19 impuls screts ensemen pil Radio romontsch, OSL Ovra svizra da lectura per la giuventetgna, 2008 |
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Catscha sil capricorn en Cavrein, Chasa Editura Rumantscha, 2010 |
Avec Iso Camartin
Giacun Hasper
Muoth - Ediziun da Breil, 5 volumes parus (Octopus,
Coire) depuis 1994. |
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Entretien par Jean-Jacques
Furer |
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"Sur
digl ir vida nuorsas" / De la garde des moutons |
"Sur digl
ir vida nuorsas" / De la garde des moutons
Sur digl ir vida nuorsas est un texte
encore inédit, qui a toutes les apparences dun
petit manuel à lusage de laspirant berger,
et il pourrait effectivement lêtre sil existait
un public pour un tel opuscule. Comme ce nest évidemment
pas le cas, le texte est à considérer comme
un petit joyau littéraire dun genre particulier
comme laffectionne Leo Tuor.
Lintroduction au texte contient
un bref exposé des motifs qui ont poussé lauteur
à devenir berger après avoir été
gardien de vaches, ainsi quune description de Carpet
la Greina, lalpe dont lauteur est berger et qui
peut accueillir entre 900 et 1200 moutons. Le texte lui-même
comprend des recommandations ou avertissements pratiques concernant
le matériel, lengagement ou les relations avec
les paysans propriétaires des moutons, présente
le pour et le contre de tel ou tel choix (par exemple de celui
du chien) et, bien sûr, décrit et commente les
habitudes, réactions et besoins des moutons suivant
quils sont isolés ou à lintérieur
du troupeau. Les passages ci-dessous sont tirés de
la partie centrale du texte.
Limage courante de la brebis
nous vient de la Bible. Le mythe de lanimal fragile,
charmant, animal des plaines, animal des sacrifices, animal
stupide. Les gens qui nont jamais rien eu à faire
avec les moutons prétendent que, si un des moutons
du troupeau saute dans le vide, tous les autres le suivent.
Cest pour les êtres humains que cest vrai.
On prétend aussi que, lorsquil neige, les moutons
montent sur les hauteurs. Cest les touristes qui le
font. Aucun animal nest stupide. Le mouton est un animal
résistant, stoïque, bon grimpeur, qui a besoin
de peu deau. Un animal idéal pour les pentes
raides et pauvres. Comme berger, regarde au moins parfois
avec les yeux dune vieille brebis, essaie, pour la comprendre,
de regarder les choses de son point de vue.
[...]
... Mais avec les moutons, tu ne peux
ni faire lappel, ni compter. Tu dois commencer à
te fier à ton sentiment et à ton instinct, et
cest ici que commence ce qui rend le travail du berger
si fascinant.
Le phénomène de la masse
est ce qui doit toccuper si tu veux être berger.
La masse ne peut être dénombrée. Lêtre
humain formé à toujours tout compter fait faillite.
La masse est omniprésente pour toi: la masse des moutons,
la masse des sommets, la masse des rochers, la masse des touristes.
Et les jours de mauvais temps, la masse des eaux, la masse
de la neige, la masse de la pluie, la masse des ruisseaux
qui narrêtent pas de gonfler, la masse du brouillard,
la masse de lavalanche. Ten sortiras-tu avec la
masse, avec ce qui est imprévisible et que tu ne peux
dénombrer ?
Comment la masse agit-elle? La masse
développe une dynamique incroyable. Quand ils sont
ensemble, les moutons avancent rapidement, ils vont et vont
sans sarrêter. Tu peux les faire changer de direction
de loin par un sifflement. Comme masse, les moutons réagissent
au sifflement, surtout le matin et le soir. Un sifflement,
et tout le troupeau change de direction. Il faut lavoir
vu! Les bêtes sont en train de paître très
loin de toi; tout à coup, elles forment de multiples
_les indiennes, se mettent en mouvement, avancent, et tout
aussi soudainement obliquent sur un simple sifflement émis
à grande distance. Il faut aussi avoir vu comme, sur
un sifflement, elles dévalent une pente pour rejoindre
un replat où elles se reposeront: le troupeau sécoule
comme le sable par le goulot du sablier, saccumule en
bas en une masse compacte, le déplacement sachève,
et toute la masse simmobilise complètement.
Textes traduits du surselvan par Jean-Jacques
Furer
© FEUXCROISÉS
Revue du Service de Presse Suisse
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Catscha sil capricorn en Cavrein |
Tegn mei en buna memoria e pren
mes meinis buca per la sontga scartira.
Scriva si empau da quei che nus vein
trafficau, ed empau metta vitier.
Leo Tuor chatscha il capricorn. E prenda il lectur en Cavrein. Là sa confruntan fom da chatscha e blaisas spundivas a vestas sempiternas tar veta e mort.
Tuor entretscha ponderaziuns filosoficas, pensiers quotidians e percepziuns da chatscha a moda captivanta e plain umor fin.
Page créée
le 01.08.98
Dernière mise à jour le 27.01.11
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