L'invité du mois
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Gabriel Mützenberg
répond à Flurin M. Spescha - Poèmes
Lettres rhéto-romanes
d'aujourd'hui |
Ce qu'on appelle communément
le romanche, avec quelque 60'000 locuteurs dans toute la Suisse,
comprend en réalité cinq langues écrites
d'importance inégale ayant chacune sa littérature
:
- le vallader de Basse-Engadine
- le puter de Haute-Engadine
- le surmérien du centre des
Grisons
- le sutselvien du Rhin postérieur,
presque en voie d'extinction
- et le surselvien du Rhin antérieur,
le groupe le plus nombreux
Géographie linguistique
L'aire de langue romanche
1. Sursilvan
2. Sutsilvan
3. Surmiran
4. Putèr
5. Vallader
carte tirée de "Rhéto-romanche
- Facts&Figures"
Lia Rumantscha
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Les Romanches, déjà très
minoritaires, le sont d'autant plus qu'ils se trouvent divisés
en plusieurs idiomes. On a cherché, au siècle
dernier déjà, à remédier à
cette situation. Sans succès. En 1982, toutefois, le
travail du linguiste zurichois Heinrich Schmid a abouti à
la création du "rumantsch
grischun", médiation réussie entre
le vallader, le surmérien et le surselvien. Conçu
comme langue administrative, on l'a surpris très vite
dans la bouche des politiciens et sous la plume des écrivains.
Aujourd'hui, même si une vive opposition subsiste ici
et là, il fait peu à peu son chemin, fermement
soutenu par la Lia Rumantscha, fédération des
sociétés rhéto-romanes. Et il a ses entrées
à la Quotidiana, le quotidien romanche inauguré
en 1998, au même titre que les autres idiomes.
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Scuntrada |
DES
RENCONTRES du peuple romanche dans son ensemble, depuis
1985, date du bimillénaire de la conquête de
la Rhétie par les Romains, ont lieu tous les trois
ans dans l'une des régions rhéto-romanes du
canton. Celle de l'an 2000 se tiendra en août en Haute
Engadine, à Zuoz, à Samedan, à Puntraschigna,
à Schlarigna. Cette manifestation d'une semaine joue
un rôle de rassemblement très important sur les
plans culturel et littéraire. Les écrivains
sont là avec leurs lecteurs, les animateurs régionaux
de la Lia Rumantscha. Les chansonniers, les maîtres
d'école, les amis de l'extérieur, tout un public
avide d'expositions, d'excursions dans les environs, de conférences,
de séminaires, d'entretiens, de cours de langue, d'exercices
de chant, de rencontres... La région en en sort vivifiée.
LES
JOURNÉES LITTÉRAIRES DE DOMAT, organisées
chaque année par la Société des écrivains,
exercent également leur influence dynamisante: concours,
lectures, prix y attirent les intéressés et
leurs amis, les abonnés de "Litteratura",
le monde de la culture et des médias.
LES
AUTEURS ROMANCHES ont donc pignon sur rue. Leur situation
de minorité ne leur offre, il est vrai, qu'un potentiel
de lecteurs restreint. Mais sa fidélité, à
beaucoup d'égards, fait plus que compenser ce petit
nombre. Il n'est pas rare qu'un poète tire un recueil
à 1000 exemplaires et, le prix en étant rendu
modique par le jeu des subventions, qu'il les vende. Y parvient-on
facilement en Suisse romande? Jadis, la jeunesse des villages
colportait de maison en maison les publications des écrivains
locaux. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. D'autres méthodes
de distribution, efficaces elles aussi, ont pris la relève.
Un nombre important de Romanches se rend compte que le maintien
d'une littérature originale vivace constitue pour leur
langue la sauvegarde la plus sûre. Les auteurs jouissent
d'une certaine aura. Les lectures qu'on organise pour eux
sont (relativement) bien fréquentées. Le peuple,
peu ou prou, y reconnaît sa voix.
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Poésie |
1. Voie (voix) féminine
Selinà
Chönz est morte cet hiver (1910-2000). Son nom,
dans la bonne compagnie de son illustrateur, le Surselvien
Alois Carigiet, est mondialement connu.
Trois albums
pour enfants, d'une poésie exquise, "Uorsin",
petit garçon en quête d'une grosse sonnaille
pour la Chalandamarz, "Flurina", sa sur, au
cur des Alpes avec le grand oiseau, l'été,
"La naivera", la grande neige, avec ses joies et
ses dangers, écrits en puter, mais traduits, l'un ou
l'autre, en 11 langues, ont communiqué à des
milliers de lecteurs leur inimitable fraîcheur. Epouse
de l'architecte J.U. Könz, restaurateur exemplaire de
Guarda, elle a publié, image des saisons de l'âme,
quatre recueils de nouvelles.
Une enfance heureuse et multilingue, à Samedan - elle
parlait les quatre langues nationales à cinq ans -
avait bien préparé son écriture légère
pleine de finesse.
Engadinoise aussi, mais de Ramosch,
en Basse-Engadine, Luisa Famos
n'a laissé que deux recueils, "Mumaints"
et "Inscunters", le second posthume; ils ont été
traduits, en allemand, puis, par nos soins, en français:
"Poesias", L'Age d'Homme (Poche suisse), Lausanne,
1999. Frappée à mort par le cancer, en 1974,
elle vit par ce qu'elle communique de sa sensibilité
et de sa foi, à sa manière, à nulle autre
pareille, directement, d'être à être, d'une
voix d'éternité.
"Nous
l'appelons la Luisa Famos. Comme en allemand on parle de la
Droste ou de la Lasker-Schüler, de la Bachmann. Une certaine
proximité avec l'oeuvre et la personne induit cela,
l'admiration pour les deux le justifie. Il ne s'agit pas ici
d'une familiarité déplacée mais d'un
aveu face à une oeuvre unique.".
Iso Camartin,
Feuxcroisés numéro1 -1999.
Luisa Famos,
Poesias, Poche Suisse, LAge dHomme, 1999.Poésies,
traduction de Gabriel Mützenberg. Poesias/Gedichte, Arche,
Zürich, 1995
Poésie féminine encore,
et même féministe, celle de Tina
Nolfi, de Lavin, en Basse-Engadine, dont les thèmes
oscillent entre la révolte, la désillusion,
le narcissisme. Quant à la forme, elle se meut dans
une simplicité qui confine parfois à la banalité,
ou verse alors dans l'hermétisme. Titre (une commande
de Pro Helvetia): "Sfessas albas" (Fissures de l'aube),
1983. L'aube débouchera-t-elle sur le jour ? Mystère.
La voix de Ruth
Poulda, née à Tarasp en 1948 (cf. Ecriture
No 43, 1994), rencontre souvent nos rêves. Ainsi "Davant
il spejel" (Devant le miroir) (brochure
de Litteratura 1998):
Je me suis, regardée en
face:
Le temps m'a souri.
Je marche pieds nus
dans ma forêt enchantée,
mais avant de rentrer
je dissimule mes songes,
sous la mousse brunissante.
2. Trois
"grands"
Andri
Peer (1921-1985), esprit européen adonné
à tous genres, mais poète avant tout, fut sa
vie durant l'ambassadeur incomparable de la langue et de la
culture rhéto-romanes. Né à Sent, instituteur,
puis professeur au lycée de Winterthur, il abandonne
peu à peu les formes traditionnelles de la poésie,
suivant sur ce point l'exemple lumineux du poète de
Sent si pleinement conscient de sa mission. Peider Lansel,
pour ouvrir à sa riche sensibilité, recueil
après recueil, des voies nouvelles. Les couleurs, ces
"ballerines du soleil", s'en donnent à cur
joie dans ses textes. Le chant, en lui, triomphe. Même
quand il traduit du français par exemple. Ou quand
il est traduit:
Je vous aime hommes dont le cur
éclate de joie
cheveux ébouriffés au vent
avec vos cicatrices et vos blessures jamais guéries
la tristesse dans les yeux
la fatigue de longues chevauchées
a travers les sables rouges
de l'espérance.
Cf. Ecriture
N° 48, 1996, et "Office des morts", par Maurice
Chappaz, traduction d'Andri Peer, liminaire de Gabriel Mützenberg,
Ed.Samizdat, Genève, 1996.
Hendri
Spescha, de Trun (Surselva, 1928-1982), mort d'une
crise cardiaque dans le train alors qu'il rentrait de Zurich
à Coire, est loin d'être oublié. Dix ans
secrétaire de la Lia Rumantscha, puis rédacteur
la TV romanche, il a été ce qu'il voulait être,
un "poète, en marche". Sa méditation
intérieure, il la traduisait, de loin en loin, avare
de ses mots, mais chacun d'un grand poids, avec une économie
de moyens exceptionnelle. Ainsi, dans "Père",
tiré de son recueil "Sendas"(Chemins)
Hier tu étais mon père
et tu me conduisais
sur de verts pâturages
Nous voici aujourd'hui deux frères
et notre beau jardin
est mort
(trad. Flurin M. Spescha)
Son engagement en vue d'une société
meilleure savait toutefois se manifester dans la presse, par
le discours, voire, comme lors de l'Exposition nationale de
1964, par une pièce de théâtre. On le
constate dans les deux volumes qui, depuis sa mort, ont rassemblé
ses textes avec la collaboration de son successeur à
la Lia Rumantscha Iso Camartin:
Hendri Spescha, "Il giavin dalla
siringia" (L'attrait du lilas), Terra Grischuna Buchverlag,
Coire, 1984,
Hendri Spescha, "Uss" (Maintenant), éd. edescha,
Zurich et Coire, 1998. Cf. Repères No 11, 1985.
De Flond, petite commune. appartenant
à la minorité protestante de la Surselva, au-dessus
de Glion, Flurin Darms devient
pasteur à Puntraschigna, à Trin, à Domat
et collabore à la version cuménique de
la Bible en surselvien. Vingt ans, il est rédacteur
de l'almanach "Per mintga gi" (Pour chaque jour)
édité par la Renania, et c'est cette même
société culturelle qui publie, en 1985 et 1986,
ses uvres complètes en trois volumes.
Poète, il l'est profondément,
jusque dans ses nouvelles, telle cette fameuse "Rencontre
avec le cerf" parue dans mon Anthologie rhéto-romane.
On y découvre, en pleine nature, dans une atmosphère
envoûtante de mystère, un monde étrange
de sortilèges, de symboles, de légendes, de
jeux, de peurs, l'aventure bouleversante et merveilleuse d'un
garçon de la montagne en pleine adolescence. Et on
retrouve ces impressions dans les poésies, chez ces
"affourageurs des hauteurs" que Flurin Darms évoque
avec, tant de sympathie:
"affourageur,
ta lampe,
ta lampe dans l'obscurité crépusculaire de
notre monde,
de loin je la salue,
et elle me salue,
salut d'homme à homme,
salut et consolation, de paix,
dans la nuit qui monte en se glissant du fond du val,
monte du fond du val
et nous investit tous."
Et il termine sa méditation,
ayant comparé cette humble clarté aux lumières
ivres de la ville, par cette exhortation:
ta lampe,...
quand tu la nettoies,
ne l'éteins pas tout à fait.
Cf. Ecriture
No 41, 1993, et "Littérature rhéto-romane"
revue Europe, Paris, mai 1995."
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Contestataires, écologistes |
Le romanche va-t-il mourir ? J'ai titré
plus d'un article par cette formule. La menace a existé.
Elle existe encore. Une minorité aussi faible, dans
le remue ménage actuel des populations, reste en danger.
Même si l'on fait davantage pour elle qu'on ne le fit
dans, le passé, tant sur le plan des lois - le romanche,
au fédéral, est semi-officiel désormais
- que sur celui des subventions ou du personnel spécialisé.
Les mentalités évoluent. Dans un sens positif.
Mais les faits sont coriaces. Ils ne se laissent pas faire.
La vigilance est de rigueur. Les écrivains en sont
conscients.
Le sont-ils suffisamment ? Il faut
regretter, à cet égard, la disparition, voici
quelques années, après vingt ans d'existence,
du très piquant "Chardun",
sorte de "Canard enchaîné" romanche
dû à l'initiative, en Engadine, du peintre et
écrivain Jacques Guidon, caricaturiste de talent, et
d'une équipe de poètes particulièrement
motivée pour la défense de sa vallée
et de sa langue.
Armon
Planta (1917-1986), de Sent, ce haut lieu de la culture
rhéto-romane, fut sans doute le plus tenace. Deux passions
l'habitaient: l'exploration, sur le terrain, en autodidacte
éclairé, des voies romaines; le combat, par
l'écrit, la poésie politique, écologique,
pour la sauvegarde de la nature et de la culture. Homme de
cur, lyrique aussi, comme l'avait été,
avant lui, Artur Caflisch(1893-1971), le poète satirique
de Zuoz, architecte à ses heures, dramaturge aussi...
"suis-je plus près/ de
la croix/, écrivait Planta, quand je l'adore/ l'implore)/
et prie/ plein de piété/ ou quand j'essaie/
chaque jour/ de faire la volonté/ de celui qui est
mort/ là-haut ?"
Un autre collaborateur du "Chardun",
où il publiait "Il diari"( Le journal) dans
chaque numéro, chaque mois, Clo
Duri Bezzola (né en 1945). Trente-huit de ces
textes forment un recueil, "A l'ur dal di"(A l'orée
du jour) où il parle de lui avec une franchise, un
sans-gêne qui surprennent, mais aussi gagnent l'adhésion.
Sa poésie est, politique elle aussi, critique, d'un
lyrisme singulier, original. Il a été rédacteur
de "Litteratura" et président de la Société
des écrivains romanches.
"Je saisis aux cheveux le temps,
écrivait-il,
comme un haillon qu'il faut laver ".
Il y a aussi, dans la Surselva, des
poètes contestataires. Theo
Candinas, écrivain complet, le seul Romanche
qui ait eu l'honneur, de 1976 à 1978, de présider
la Société suisse des écrivains, en est
un exemple éloquent.
"Viens ô toi esprit, s'exclame-t-il
dans un de ses premiers poèmes,
hors de cette bande
déchaînée
"
On croit, en commençant, entonner
un cantique. Mais de quel esprit s'agit-il ? Et cette bande,
qu'est-elle au juste ? Le paradoxe chante.Une autre pièce
évoque le suicide: "Prends la corde et hâte-toi
dans la neige et la grêle sans manteau ni chapeau..."
A vingt ans, dans la revue des étudiants
romanches "Talina", il publie ses premiers textes
et, bientôt rédacteur, critique l'Eglise et l'armée
et subit semonces et sanctions...Ses "Historias da Gion
Barlac", qui prennent la forme du conte, ou du poème
en prose, présentent un personnage imaginaire, tout
de fantaisie, de drôlerie de merveilleux, de non-conformisme,
sans souci des tabous, voire de quelque scandale, de ton sûr
et léger, qui s'impose, séduit. L'ouvrage a
du succès. Le talent de l'auteur est évident.
Mais il a ses idées. Le "rumantsch grischun"
ne lui plaît pas. Il tire à boulets rouges sur
ses promoteurs.
Flurin
Spescha, fils d'Hendri, né en 1958, écrivain
et traducteur à Zurich, très engagé dans
la Société des écrivains, à Litteratura,
aux Journées littéraires de Domat, où
il a grandi, écrit invariablement en surselvien, avec
une virtuosité sans fausses notes, ou en allemand.
Il dénonce sans ménagements l'establishment
de la Surselva, qu'il désigne encore de catholique
conservateur, ancien nom du parti démocrate chrétien.
Par rapport aux hiérarchies, qu'elles soient économiques
ou religieuses, mondiales ou locales, il prend nettement ses
distances. S'il ne va plus à l'église, c'est
que la caste sacerdotale lui cache la face du Fils de Dieu.
D'où vient cette attitude ? Ce petit poème intitulé
"maman" l'explique-t-il ? Peut-être.
Tu dis que mes vêtements, ont
des trous
que mes souliers sont déchirés
qu'en somme je ne suis pas très diplomate
mais tu ne vois pas que mon cur
a des trous et que c'est moi
le déchiré
"
Un déchiré lui aussi,
le berger des moutons de la Greina, Leo
Tuor, né à Rabius, sur le Rhin antérieur,
en 1959! Il a en effet quelques affinités avec Flurin
Spescha: comme lui, un jeune loup de la littérature
rhéto-romane d'aujourd'hui. Et ses études aux
universités de Zurich et de Fribourg ne l'ont pas empêché
de monter avec ses bêtes au-dessus de la limite des
arbres. Il le dit lui-même dans un exposé de
1998: "De la garde des moutons, pour l'instruction de
la bleusaille": "Quand
j'en ai eu assez de faire de la lèche aux paysans pour
un salaire de misère et peu de reconnaissance, j'ai
décidé d'arrêter avec les vaches et de
passer aux moutons. Au moins, la paye est à peu près
acceptable. La reconnaissance, elle, n'augmente pas. Les bergers
sont tout en bas de l'échelle sociale, ils l'ont toujours
été. Plus bas, il n'y a que la canaille, les
vauriens, les jean-foutre. Et le dernier dans l'échelle
sociale des bergers, c'est celui des moutons..."
Ce début nous introduit dans
l'atmosphère générale de l'oeuvre de
Tuor. La traduction en est due à Jean-Jacques Furer,
linguiste polyvalent penché depuis des années,
déjà sur le romanche - il va publier le premier
dictionnaire surselvien-français - longtemps collaborateur,
dans la Lumnezia, du père Flurin Maissen, écologiste
et initiateur de la Fundaziun Placi a Spescha pour la protection
de la nature et la promotion de la culture.
Les quelques lignes de cette citation
trahissent la position radicale de leur auteur. Il l'exprime
avec toute la violence de sa révolte dans son uvre
majeure, Giacumbert Nau (1988,
trad.all. 1994, fr. 1998 - Poche suisse). Il y apostrophe
les promoteurs d'usines hydro-électriques qui veulent
noyer son alpe.
Ce contestataire de la société
de consommation et de profit est aussi un fin lettré
qui vient de mettre un terme à la publication des uvres
complètes, annotées et commentées par
ses soins, du grand poète de Breil Giacun Hasper Muoth
(1844-1906).
Giacumbert Nau (1988, trad.all. 1994,
fr. 1998 - Poche suisse).
Il a collaboré dans ce travail
avec Iso Camartin, ancien
professeur de romanche à l'Ecole polytechnique fédérale
et à l'Université de Zurich, maître à
penser des milieux littéraires rhéto-romans
par ses cours, ses conférences, ses essais dont le
principal, "Nichts als Worte",
1985, existe aussi en français: Rien
que des mots, 1989 (Prix Veillon). Le point de vue
qu'il y défend mérite d'être entendu.
L'avenir du romanche a ses yeux réside dans la rencontre
de l'autre, du différent, donc dans le multilinguisme,
et dans une bonne information. Il s'y emploie, non sans succès,
et écrit en allemand pour être lu du grand public.
Ils descendent/Der Nachkomme, Ex-libris,
Zürich, 1982.
Die Bibliothek von Pila, Suhrkamp, Frankffurt a.m., 1995.
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Conteurs et Romanciers |
Cla Biert
fut un de ces Engadinois, comme Men Rauch, qui s'en
allait, la guitare sous le bras, planter dans les coeurs,
avec ses vieilles chansons, l'amour de la terre natale. Il
chantait, il racontait, il jouait, et il se mit à écrire,
à se raconter lui-même, et la vie, telle qu'elle
était vécue, en Engadine dans la première
moitié du XXe siècle. On y découvre le
paysan de la montagne, ses travaux, le village - quelle merveille,
dans "La Müdada" (La Mutation), que la description
de l'épicerie et de tout ce qui s'y passe - les rapports
entre les gens. Et puis, dans "Une jeunesse en Engadine",
l'enfance de l'écrivain, face à cette figure
imposante de père. Tout vit, sous la plume de Cla Biert,
avec une intensité, une vérité surprenantes.
Cla Biert ne cherche pas, en écrivant,
à défendre le romanche. Il le fait on pourrait
presque dire sans le vouloir, par son talent. Reto Caratsch(1901-1978),
journaliste à la Neue Zürcher Zeitung, le fait
consciemment, de sa prose adroite, élégante,
dans deux uvres satiriques republiées en 1984
par le "Chardun".
La Müdada traduit en allemand
en 1984 et en français, aux Editions de l'Aire.
Une Jeunesse en Engadine, LAire / Ex Libris, Lausanne,
collection ch, 1981-traduction de Gabriel Mutzenberg- (réédité
en Poche Suisse, 1990).
Ursicin
G.G. Derungs, né à Vella en 1935, dans
la Lumnezia, élève de l'instituteur du lieu
Toni Halter(1914-1986), romancier de grand talent qui exerce
sur lui une influence certaine, rejoint, dans ses textes en
prose, souvent poétiques, de qualité exceptionnelle,
la contestation fondamentale, par rapport à l'institution
ecclésiastique de la Surselva, d'un Flurin Spescha.
Ses charges, dans "Il saltar dils morts"(La danse
des morts), contre le couvent de Disentis, en 1982, firent
scandale.
Oscar
Peer, frère d'Andri, que je nomme le romancier
de l'inexorable dans mon interview de "Feuxcroisés"
2000, s'entend comme nul autre, sobrement mais puissamment,
l'environnement, sous sa plume, s'associant étroitement
au drame, à vous camper un personnage. On n'oublie
pas les protagonistes d'uvres telles que "Nozzas
d'inviern" (Noces hivernales), récit publié
en allemand d'abord - Peer maîtrise un bilinguisme littéraire
parfait - "Eva", cette extraordinaire sommelière
dont la seule présence (diabolique ?) bouleverse tout
un village, "Accord" (Coupe sombre) dont la traduction
française (1999) vaut à son auteur et à
sa traductrice Mme Gateau-Brachard, le Prix Lipp (remis à
Zurich le 04.04.2000).
Coupe sombre, traduit du romanche
par Marie-Christine Gateau-Brachard. Zoé, Carouge 1999,
104 pages.
Gion
Deplazes
D'autres romanciers, dans la Surselva, héritiers du
grand Gian Fontana (1897-1935), ont contribué à
maintenir vivace, dans l'esprit du peuple romanche, la conscience
de son identité. Gion Deplazes, né à
Surrein en 1918, y contribue par une uvre profondément
intégrée dans le terroir du Rhin antérieur
et très riche d'expression verbale. Son évocation,
par exemple, dans "Passiun" de la vieille "Passion
de Sumvitg", monument combien précieux du théâtre
populaire d'autrefois, plonge son lecteur dans un drame local
qui le saisit tout entier et l'élève à
l'universel. L'auteur, qui fut co-directeur du lycée
cantonal, et qui a remarquablement décrit l'histoire
de la littérature rhéto-romane "Die Rätoromanen.
Ihre Identität in der Literatur", Desertina, Disentis,
1991 - a exercé par ses livres, et par son enseignement,
une influence profonde sur ce dernier demi-siècle.
Vic
Hendry
On peut en dire autant de Vic Hendry, né en 1920, dixième
enfant d'un paysan de Cavosgia, hameau solitaire sur la rive
droite du Rhin antérieur, tout entouré de sapins
noirs. Sa passion de la communication fait de lui l'écrivain
romanche le plus abondant, sans que cette prolixité
nuise à la qualité d'une production qui cherche
ses thèmes aussi bien dans l'histoire de la vallée
que dans l'actualité. N'est-il pas allé jusqu'à
partager la vie des détenus pour écrire "Discuors
cugl assassin"?
Donat
Cadruvi (1923-1998), qui fut conseiller d'Etat démocrate
chrétien, s'est particulièrement distingué
dans le roman social.
Quant à Silvio
Camenisch, né à Rueun en 1953, il dépeint
sans prétention, dans une langue simple et directe,
naturelle, parlée, celle d'aujourd'hui, la vie de la
jeunesse de son village: "Miez miur e miez utschi"
( Mi souris et mi-oiseau = chauve-souris, 1982). Il vise la
jeune génération. Comme l'a fait, mais dans
le monde ladin, Anna Pitschna
Grob-Ganzoni, née en 1922 à Schlarigna,
qui écrivit ses contes, d'abord, simplement pour divertir
ses cinq enfants.
Men Rauch
J'ai cité Men Rauch (1888-1958), auteur du festival,
à Scuol, qui me fit découvrir le romanche. Il
fut l'animateur, avec Cla Biert, et Jon Semadeni, d'un cabaret
romanche qui porta dans villes et villages, avec une fantaisie
d'un goût très sûr, les remous de l'actualité
politique ou de la vie quotidienne (cf. photocopie). Parmi
eux, Jon Semadeni (1910-1981)
fut le dramaturge inspiré en même temps que l'auteur
(cf. photocopie). Le théâtre, depuis le XVIe
siècle, a sa bonne place dans les vallées rhétiques.
En Engadine, Men Gaudenz
(1899-1982), et plus encore Gian
Belsch, de son vrai nom
Albert Wihler, curé schwytzois débarqué
à Zuoz, ont excellé dans des pièces inspirées
de la Bible. Et celles du prêtre catholique étaient
jouées par la jeunesse protestante Jacques
Guidon par des thèmes
plus historiques, a aujourd'hui pris la relève. Avec
Jon Nuotclà.
Dans la Surselva, bien des auteurs
mentionnés ont écrit pour la scène: Toni
Halter, Theo Candinas, Hendri Spescha, Flurin Spescha, Gion
Deplazes, Tista Murk, ladin du val Müstair implanté
à Trun et passionné de théâtre.
Linard
Bardill
Quant à Linard Bardill , né à Coire en
1956, des études de théologie l'ont conduit
à la chanson et à l'écriture. Il a mis
en musique des poèmes de divers auteurs romanches,
ainsi que ses propres textes, et a commencé sa carrière
de chansonnier en s'en allant avec un âne de village
en village. Aujourd'hui, ce sont les médias, radio,
TV, CD, qui diffusent ce qui aurait dû être, dans
son orientation première, sa "prédication".
Le message est tonique. Je l'avais entendu pour la première
fois à l'orée de la forêt légendaire
de Tamangur ( célébrée, quand elle était
en voie de disparition, par le poète Peider Lansel
en tant que symbole de la mort du romanche) à quelque
2000 mètres d'altitude, lors de la "scuntrada",
à Scuol, de 1988. Chacun, pour
assurer l'avenir, y avait planté son arole.
Gabriel Mützenberg
Les informations envoyées
par Monsieur Mützenberg étant particulièrement
riches et intéressantes, nous avons opté pour
vous présenter une sélection de sa présentation
de la littérature rhéto-romane - qu'un dossier
plus complet viendra étayer ultérieurement.
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Gabriel Mützenberg
/ Bibliographie |
Traductions du romanche
- Arthur Caflish, Le Professeur Antoine
Velleman, La Sirène, Genève, 1964.
- Elisa Perini, Otto Barblan, La Baconnière,
1976.
- Cla Biert, Une Jeunesse en Engadine,
LAire / Ex Libris, Lausanne, collection ch, 1981 (réédité
en Poche Suisse, 1990).
- Luisa Famos, Poesias, Poche Suisse,
LAge dHomme, 1999.
Sur la littérature rhéto-romane
- Destin de la langue et de la littérature
rhéto-romanes, LAge dHomme, 1974 (épuisé).
Réédition fortement augmentée en Poche
suisse, 1991.
- Anthologie rhéto-romane (poésie
et prose), LAge dHomme, 1992.
- Gabriel Mützenberg a tenu, en
1984 et 1985, une chronique "Lettres romanches"
dans la revue Repères; puis, à partir de 1986
"Lettres rhéto-romanes", dans la revue
Ecriture.
Principales contributions
- "Littérature de Suisse
rhéto-romane" in Littératures de Suisse
romande, par Mousse Boulanger et Henri Corbat, Saved S.A.,
Bordas Suisse, 1988, pp. 263-268.
- "Littérature rhéto-romane",
in revue Europe, Paris, mai 1995, pp. 137-155.
- "Littérature rhéto-romane",
supplément du Passe-Muraille N° 19-20, Lausanne,
juillet 1995, 16 pages.
informations bibliographiques aimablement
fournies
par la Revue du Service de Pressse Suisse
Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01
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