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Automne 2005
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Anne
Cuneo / Les corbeaux sur nos plaines |
ISBN 2-88241-159-6
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Il y a quelques mois, le hasard
a voulu quun exemplaire des Corbeaux sur nos
plaines (copie violette, pâle et jaunie, dun
stencil à alcool) de la version originale, celle
quavaient lue Françoise dEaubonne
et Simone de Beauvoir, celle que je ne possédais
plus, refasse surface chez un de mes amis.
Jai dabord relu cette histoire presque oubliée
par simple curiosité. Enserrée dans une
gangue de considérations inutiles, elle était
là, prête à être dégagée
des scories qui létouffaient. Jai
décidé dessayer. Cette fois, aucune
hésitation: jai enlevé le prêchi-prêcha,
les répétitions, les italianismes, jai
ralenti un peu le rythme des dialogues, pour, comme
lavait suggéré Michel Dentan, obtenir
«un roman, avec ses lenteurs, son relief propre
»
Il ne fallait surtout toucher ni au déroulement
ni à laction. Il fallait simplement être
encore plus rigoureux dans langle choisi; cela
supprimait aussitôt «le poids de trop dévénements»
déploré par Michel Dentan. Cétait
peu de chose : quelques heures de travail ont suffi.
Jai appliqué de façon systématique
une des « lois » du Nouveau roman, quen
dautres termes les surréalistes ont également
exprimées: finis le regard omniscient de lécrivain
démiurge, lil qui voit dans la tête
de tous les personnages, laffabulation psychologisante.
Il faut un point de vue unique, celui du narrateur.
Je crois que cest le seul moyen datteindre
lauthenticité, même en adoptant la
forme romanesque plutôt que lautobiographie.
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La seule chose quil a fallu récrire, cétait
la fin, qui était confuse et maladroite. Cétait
un travail délicat, qui sest apparenté
à une restauration je tenais à respecter
lesprit de lintrigue originale.
Je ne voulais pas écrire un roman tel que je lécrirais
aujourdhui. Je tenais à me limiter au travail
quun lecteur de maison dédition aurait
pu faire ou maider à faire en 1965, sil
avait suffisamment cru aux possibilités de ce texte.
Je nai rien changé au nom des personnages
principaux. Je ne me souviens plus de comment je les
avais choisis, mais je tiens à dire que toute
coïncidence avec des personnes réelles ne
saurait être que fortuite.
Plusieurs choses mont frappée
pendant ce travail de «nettoyage» et de
remise en forme.
Il y a dabord le caractère encore très
répressif de la morale sexuelle, implicite mais
terriblement réel ; puis le pacifisme caractéristique
de laprès-guerre, rarement énoncé
en tant que tel, toujours présent, et dont le
corollaire était la volonté de se réconcilier
avec une Allemagne devenue démocratique. Et puis
on sent, dans ce récit entièrement écrit
avant Mai 68, la révolte qui se prépare
et qui allait, pour moi, exploser dans Gravé
au diamant, écrit, lui, juste avant Mai 68. On
ne veut plus être victime soumise. Les conventions
ne sont pas immuables. Lavortement est un pis-aller,
mais il est des circonstances où il lève
lhypothèque qui pourrait peser sur deux
vies. Les femmes travaillent, et le fait que dans ce
récit cela aille de soi est per se une revendication.
Il y a enfin le constat quil est impossible doublier
les plaies de lâme provoquées par
la violence des guerres; on peut sen accommoder,
on peut finir par les intégrer, mais les cicatrices
nen disparaissent jamais.
Les corbeaux sur nos plaines
a enfin trouvé un éditeur à qui
je lai soumis timidement, pour ainsi dire symboliquement:
jaurais compris quil ne le publie pas. Pour
moi, le simple fait davoir donné à
cette histoire la forme dont javais rêvé
sans être capable de la réaliser, cétait
comme si une affaire laissée en suspens aboutissait
enfin. Le sac de regrets et de frustrations que, comme
chacun de nous, je porte sur mon dos sen est trouvé
allégé.
Par ailleurs, Les corbeaux sur nos plaines tombe
peut-être à point pour commémorer
à sa manière lArmistice dont cest
le soixantième anniversaire et la fin de la Deuxième
Guerre mondiale, le plus grand carnage du XXe siècle.
À sa modeste façon, il rappelle que, de
Verdun à Berlin, de lAlgérie au
Vietnam, de lex-Yougoslavie à lIrak,
ceux qui vivent les guerres nen sortent jamais
indemnes. Quels que soient leur nationalité,
leur situation, leur âge, quils appartiennent
au camp des vainqueurs ou à celui des vaincus,
ils en portent à jamais les stigmates.
Anne Cuneo
Née à Paris à
la veille de la Seconde Guerre mondiale, Anne
Cuneo passe son enfance en Italie du Nord.
Après la mort de son père en 1945, elle
passe plusieurs années dans divers internats
et orphelinats religieux en Italie dabord, puis
à Lausanne où elle doit sadapter
à la langue et à lenvironnement
nouveaux. Après cette difficile période,
elle passe une année en Angleterre, à
Plymouth et Londres, et découvre la culture anglo-saxonne.
Plus tard, elle puisera dans les souvenirs de ce moment
décisif de son adolescence pour un roman plein
dhumour et de fraîcheur, Station Victoria
(1989). De retour à Lausanne, elle est dabord
téléphoniste, puis étudie à
lUniversité de Lausanne (licence ès
lettres), apprend les métiers de la publicité,
enseigne la littérature, voyage à travers
lEurope.
Éclectique, Anne Cuneo partage son temps entre
la création dans presque tous les domaines de
la littérature et le journalisme. Son uvre
est animée par une participation spontanée
aux courants modernistes. Lillustration de ses
choix esthétiques apparaît dans Gravé
au diamant (1967), Passage des Panoramas (1978),
Hôtel Vénus (1984). Porte-parole
des laissés-pour-compte dans La Vermine,
elle introduit le monde des immigrés dans la
littérature romande avec les deux volumes de
son Portrait de lauteur en femme ordinaire
(1980/1982). Elle évoque le milieu des malades
dans Une cuillerée de bleu (1979) après
avoir survécu à un grave cancer. Essayiste,
elle dessine des portraits des milieux du spectacle
dont elle se sent proche: Le Piano du pauvre
(1975), La Machine Fantaisie (1976), Le Monde
des forains (1985), Benno Besson et Hamlet
(1987).
Elle participe à des expériences cinématographiques
et théâtrales. De lécriture,
elle passe à la mise en scène et à
la réalisation.
Aujourdhui, Anne Cuneo ne met plus sa vie en livres,
estimant quelle a raconté tout ce quelle
a vécu de différent. Cette voix plus profonde,
elle la prête à des personnages, qui sexpriment
toujours à la première personne, telles
les héroïnes de Station Victoria
(1989) et de Prague aux doigts de feu (1990),
ou le héros du Trajet dune rivière
(1993, Prix des Libraires 1995), Francis Tregian. Anne
Cuneo a publié en 1996 une suite indirecte au
Trajet dune rivière, Objets de splendeur,
où la figure attachante dun Shakespeare
amoureux nous réintroduit dans lunivers
du grand dramaturge.
En 1998, Anne Cuneo publie son premier roman dit «policier»
(mais quelle qualifie de «roman social»),
Âme de bronze suivi en 1999 par
Dor et doublis puis en 2000 par Le
Sourire de Lisa où lon retrouve
lenquêteuse Marie Machiavelli.
Anne Cuneo collabore au Téléjournal à
Genève et à Zurich, où elle demeure
conjointement aujourdhui. Ses ouvrages, constamment
réédités et traduits en allemand,
sont tous de grands succès de librairie en Suisse.
Anne Cuneo, Les corbeaux sur nos
plaines, Bernard Campiche, 2005, 200 pages
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Janine
Massard / Le jardin face à
la France
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ISBN 2-88241-157-X
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Le jardin face à la
France est une forme de récit autobiographique,
sans lêtre totalement.
Janine Massard nous fait sentir, avec force et émotion,
la vie quotidienne, durant la dernière guerre
mondiale, dune petite ville suisse tranquille,
Rolle. Et pourtant, la guerre est tout près,
de «lautre côté du lac».
Proche dun Henri Debluë (Et Saint-Gingolph
brûlait), Janine Massard dresse le portrait
dun grand-père hors du commun, qui ouvre
les yeux de sa petite fille sur les désastres
du monde, tout en laccueillant dans ce jardin
qui restera un souvenir merveilleux dans lesprit
de l'enfant.
Dans son roman, Janne Massard évoque aussi les
«oubliés» de la prospérité
suisse, ces travailleurs de la terre qui peinent à
sen sortir économiquement et sont prêts
à tous les sacrifices pour y parvenir.
Il ma fallu un temps
infini pour mettre des mots sur toutes ces choses, pressenties
ou ressenties. Elles sont revenues au moment où,
glissant sur lautre versant de ma vie, je me suis
retrouvée vivre dans une maison avec un jardin
face à la France.
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Une gargouille sest mise à glouglouter,
des gouttes ont jailli sur ma figure pour se transformer
en mots. Jai détourné mon oreille
de ce surgissement pour échapper au bouillonnement
bredouillant. Je me suis alors tournée vers la
terre et ce passé enfoui ma éclaté
à la figure, il est remonté du plus profond
de moi aussi, en images précises ou tremblées,
en même temps que je me remettais à gratter
cette terre, avec une sorte de furia, comme à
cette époque lointaine où je cherchais
en elle les antipodes
car cest en elle que
se sont fondus les morts, cest par elle que jentre
en contact avec eux et cest vers elle que je retournerai
un jour
Janine Massard
Originaire d'Yverdon-les-Bains
et de Lucens, Janine
Massard est née à Rolle. Elle commence
des études de lettres à Lausanne mais
les interrompt après trois semestres. Elle exerce
alors divers métiers avant de se vouer à
l'écriture.
Son uvre comporte un recueil de nouvelles, un
conte, une chronique, mais surtout des récits
et des romans, parfois à trame autobiographique
comme La petite monnaie des jours (1985), pour
lequel elle reçoit en 1986 le Prix Schiller.
Son essai Terre noire d'usine, qui reconstitue
la réalité quotidienne des paysans et
domestiques de campagne des régions industrielles
du Jura, connaît un grand retentissement.
Aux Éditions de l'Aire, elle publie Trois
mariages, analyse de l'institution du mariage à
travers les générations et les diverses
couches sociales qui lui vaut le Prix des Écrivains
vaudois. Ce qui reste de Katharina, également
publié aux Éditions de l'Aire, obtient
le Prix de la Bibliothèque pour Tous en 1998.
Elle reçoit le Prix Édouard-Rod (2002)
pour Comme si je n'avais pas traversé l'été,
son huitième livre.
Présidente de l'Association Films Plans-Fixes
depuis janvier 2003, Janine Massard vit actuellement
à Pully.
Janine Massard, Le Jardin face à
la France, Bernard Campiche, 2005, 240 pages
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Anne-Lou
Steininger / Les contes des
jours volés |
ISBN 2-88241-158-8
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Pourquoi nous racontons-nous
des histoires? Pour tromper la mort? Par peur
du noir? Ou parce que la réalité
ne suffit jamais à notre plaisir? Faire
diversion et se divertir: cest lenjeu
des Mille et Une Nuits que lon retrouve
dans ces récits. Peut-on les appeler fables
pour leur valeur dillustration ? Parler
de fantastique en ce qui les concerne? Oui, mais
dun fantastique de la perception
et dune illustration par labsurde.
Anne-Lou
Steininger est née en Valais et
vit actuellement à Genève. Elle
est lauteur de La maladie dêtre
mouche, Gallimard, 1996, qui a été
adapté et joué au théâtre.
En 1998, elle a reçu le prix de la Fondation
Édouard et Maurice Sandoz pour son recueil
de récits, Les contes des jours volés.
Elle est également lauteur du Destin
des viandes, qui a reçu en 2001 le
prix de la Société genevoise des
écrivains.
Anne-Lou Steininger, Les contes
des jours volés, Bernard Campiche, 2005,
200 pages
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Sylviane
Chatelain / Une main
sur votre épaule |
ISBN
2-88241-161-8
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Variations
sur quelques thèmes, l'art,
la solitude, la mort, les textes qui
composent ce livre ont tous pour cadre
le même lieu, la même
maison. Les personnages de l'un se
croisent dans un autre. Chacun contient
en germe le suivant.
Ni recueil de nouvelles ni roman,
ou alors lacunaire, puzzle à
assembler de différentes manières,
les pièces manquantes offertes
à l'imagination du lecteur,
à son bon plaisir.
Sylviane
Chatelain est née à
Saint-Imier en 1950. Elle est mère
de quatre enfants. Son premier roman,
La Part d'ombre (1988), s'est
vu décerner le Prix Hermann-Ganz
1989 de la Société suisse
des écrivains et le Prix 1989
de la Commission de littérature
française du Canton de Berne
(traduit en allemand (1991): Schattenteil).
Son deuxième recueil de nouvelles,
De l'autre côté
(1990), a obtenu le Prix Schiller
1991. Un deuxième roman, Le
Manuscrit (1993; traduit en allemand:
Das Manuskript, 1998), a été
salué par la Critique. Son
recueil de nouvelles, LÉtrangère
et son dernier roman, Le Livre
dAimée (Prix Bibliothèque
Pour Tous 2003 et Prix 2004 de la
Commission de littérature française
du canton de Berne, décerné
également pour lensemble
de luvre), ont encore
élargi son audience.
Sylviane Chatelain,
Une main sur votre épaule,
Bernard Campiche Editeur, 2005, 200
pages
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Corinne
Desarzens / Poisson-Tambour |
ISBN
2-88241-162-6
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On ne connaît
pas ses proches. Rien de nos plus proches.
Je ne sais rien de mon frère.
Pas même sil préférait
le vert au bleu, ni ce quil mettait
dans son café. Ni le diamètre
de sa calvitie. Jaurais dû
monter sur une chaise, pour le savoir,
ou passer derrière lui, les rares
moments où il acceptait de sasseoir.
Il était grand, beau, brusque,
le poil acajou, de cette nuance que
nimporte quelle femme voudrait
avoir aujourdhui. Je ne lai
jamais touché. Parler vaut moins
que toucher. Nous navons jamais
parlé damour non plus.
Je ne sais pas combien de billets il
devait poser sur la table, ou serrer
dans un élastique, pour être
aimé. Je ne le connais pas. Il
pousse les jours dans sa vie inconnue,
quelque part où ils dégringolent,
comme les cartes postales qui glissaient
derrière le banc, par la fente
entre le mur et le bois, ne se retrouvaient
jamais. Et pourtant, dans cette vie
inconnue, il y a quelque chose que je
ne connais que trop bien.
La cabane de pêche sent le métal
froid, le bois mouillé, le sang
et le vieux papier. Sur le répondeur
passe encore la voix de mon frère.
Son prénom na pas quitté
lannuaire. Il fait cru. Le sol
a été lavé à
grande eau. Au-dessus de la balance
pend un calendrier de papier recyclé,
vieux et neuf à la fois. Un calendrier
moche, sans fantaisie. Une typographie
de plaque dimmatriculation. Plusieurs
lundis de suite, un crayon a tracé
les lettres AA. En bas, il y a un post-it
collé dessus, avec deux numéros
de téléphone, le premier
encore au crayon, suivi de quatre chiffres,
un code bancaire peut-être ou
un numéro incomplet, lautre
au stylo. |
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La balance penche un peu,
équilibrée dun côté
par une carte postale pliée en quatre.
Sous la table seffondre une pile de journaux,
contre une boîte de carton gris-vert. Je
me demande à quoi correspond ce AA. Dagenda,
non, il nen a jamais eu.
Tu ne connais pas ta mère? mavait
récemment demandé mon père
dun ton acide. Tu prétends que
Mais non. Elle non plus.
À part quelle dit oui et non à
la fois, toujours. Voilà ma seule certitude.
À quinze ans, je retenais mon souffle près
de la haie du jardin, sentant la présence,
derrière, dune inconnue absorbée
par larrosage dune salade, par une
ficelle dans ses mains, par une pensée,
une inconnue qui est ma mère, hésitant
à manifester ma propre présence,
inutile, savourant la délicatesse de ce
moment bizarre, en faisant attention à
ne pas respirer trop fort, de peur que même
fermer les yeux fasse du bruit, quelle sursaute
en poussant un petit cri.
Je navais pas envie détaler
les définitions de connaître. Il
y en a tellement. Lenvie douvrir une
porte. Et puis une porte derrière une autre
porte. Se taire dans le noir. Côtoyer en
détaillant les défauts, et continuer
à aimer quand même. Vivre toute une
vie en partageant le même toit mais pas
forcément le lit, comme des étudiants.
Tutoyer, alors que recule, encore, encore, cette
troisième personne : lui, Frédéric.
Sa vie inconnue. Les questions quil ne mavait
pas posées. Ce que jaurais aimé
lui raconter, avec des interruptions, juste pour
me rendre compte sil était captivé
ou non. Ferré, dirait le pêcheur.
Mais cela aurait été impossible,
de toute façon, depuis plusieurs années.
Nous ne parlions plus. Avoir de ses nouvelles
revenait à laisser la personne qui en donnerait
tracer un geste dans lair, une courbe, un
zigzag, un baromètre de santé. Calme,
statu quo, avis de tempête, violence. Un
bulletin de météo marine, plein
dabréviations, aride, sans rien des
hésitations du capitaine dedans.
Troublant, aussi, de se sentir inconnu à
soi-même en réalisant quil
est à jamais impossible de se voir savancer
dans une allée, ou séloigner,
à jamais impossible de se voir soi-même,
de dos. Seuls les jumeaux identiques le peuvent.
Frédéric était un jumeau
identique.
Dans chaque vie grandit un sentiment dinsuffisance,
sétalent les restes dune stupeur
dorigine. De la peine? Non. Le souvenir
diffus, plutôt, mais persistant de quelque
chose quon est passé à côté
sans voir, de quelque chose de négligé,
doublié, de presque perdu. Et lémerveillement
de ce qui continue à le faire bouger, quand
on reste éveillé dans le noir, sur
le dos, à sinterroger. Les yeux ouverts
dans le noir, parfaitement bien et parfaitement
désolés, maintenant que les mots
senfoncent doucement dans le silence. Un
silence deau et de nuit, les mots comme
des pièces de monnaie tombant en spirale,
très lentement, dans une fontaine porte-bonheur.
Le corps de mon frère a éclaté.
Je redoute le moment où les hommes en uniformes
mettront la carte postale dans une pochette en
plastique scellé, avec un numéro
et la fiche didentité électronique
de mon frère. Un il sur le AA pour
le mémoriser, jemporte le post-it,
la boîte de carton qui fait seffondrer
encore plus les journaux, et je soulève
la balance pour retirer la carte postale. Une
carte postale que je lui ai adressée moi-même,
il y a bien vingt ans. Un pont sur la Seine et
deux danseurs. Une carte que je reconnais mais
nai pas envie de regarder. Pas maintenant.
Rassembler les morceaux est la moindre des choses
que je puisse faire.
Corinne Desarzens
Née à Sète
de parents suisses, Corinne
Desarzens, licenciée en russe, est
journaliste par passion: elle collabore à
la Tribune de Genève et au Journal de Genève.
Outre le journalisme, elle partage son temps entre
les voyages, la peinture et l'écriture.
Elle est l'auteur de trois romans, Il faut
se méfier les paysages, Bleu diamant et
Aubeterre, d'un essai, Deux doigts de
prunelle dans un verre à bourbon, de
deux recueils de récits, Carnet madécasse
et Pain trouvé.
Elle reçoit le Prix Schiller 1990, le Prix
Jubilé 1991, le Prix Rambert en 2001 pour
son roman Bleu diamant paru en 1998 et
le Prix Bibliothèque pour tous 1995.
Corinne Desarzens vit à Nyon où
elle travaille à ses prochains livres et
ses futures expositions. En 2003 a paru aux Editions
du Laquet Sirènes d'Engadine.
Corinne Desarzens, Poisson-Tambour,
Bernard Campiche Editeur, 250 pages
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Yves
Rosset / Les Oasis
de transit |
ISBN
2-88241-163-4
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Les Oasis
de Transit est un projet littéraire
d«écritures en
voyage», en oscillation constante
entre le journal de voyage intime
et une forme exacerbée de reportage
littéraire. Sy donneront
à lire autant un récit
désirant traduire la nature
poétique de la magie du voyage,
quun essai réflexif sur
les conditions de celui-ci à
laube du XXIe siècle.
Se voulant écho incessant
dune expérience éperdue
décritures en chemins,
les Oasis de Transit devront, par
leur rythme et leur genèse,
rester ouvertes à ce qui les
pénétrera et sy
infiltrera, au fil du temps et de
la géographie parcourue
Les Oasis de Transit seront à
réaliser en trois étapes
de travail, auxquelles correspondront
trois formats décriture
Des carnets tenus tout au long
de lannée de la bourse
et qui constitueront le manuscrit
original remis à la FEMS
Des lettres électroniques adressées
à un interlocuteur fictif et
envoyées au fil des diverses
étapes parcourues. Conçues
comme un work in progress, ces lettres
alimenteront une chronique à
créer sur le site Internet
de la FEMS Un récit
final intitulé «Oasis
de Transit» et destiné
à une publication rassemblant
un montage du matériel décriture
retravaillé. Un avant-propos
y décrira la nature du projet
ainsi que le cadre de sa réalisation.
Les trois derniers mois de la bourse
seront consacrés à sa
rédaction. Pour réaliser
les «Oasis de Transit»,
je veux effectuer trois genres de
voyages: Des voyages de proximité,
relativement courts, autour de Berlin
où je séjourne depuis
douze ans: Pologne, Tatras, Mer Baltique.
Des voyages plus longs où
minvitent lamitié.
: Israël, Etats-Unis, Italie.
Des voyages durant les vacances
scolaires faisant sens pour ma famille
et pour moi: Japon, Suisse, Paris,
Turquie.
Yves
Rosset, pour le Jury du Prix FEMS
2003
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Né en 1965 à
Lausanne 1989. Licence en psychologie à
lUniversité de Genève
1990. Déménagement à Berlin
où il travaille comme cuisinier
1991. Mariage avec Käthe Elke Kruse. Naissance
de Edda Luisa 1991-1992, Travaille aux
archives du quotidien «Die Tageszeitung»
1993-1995. Travaille comme homme au foyer
et barman 1995. Naissance de Klara Odette
1996. Début détudes
en littérature comparée à
la Freie Universität de Berlin 1999.
Organisation de concerts au Club «Maria
am Ostbanhof» avec Käthe Kruse, Mutter
et Mini Metal (Zurich), en collaboration avec
Pro Helvetia 1999. Bourse Erasmus et séjour
à Paris. Conférence dans le cadre
du séminaire dHélène
Cixous à lUniversité de Paris
VIII sur une nouvelle dIngeborg Bachmann.
Lecture au Centre Culturel Suisse à Paris,
invité par Laurent Goei, Premiers travaux
de traduction pour des galeries et pour un éditeur
de films 2000. Stage de deux mois au sein
de la rédaction «culture» du
quotidien «Die Tageszeitung». Depuis,
collaboration régulière sous forme
darticles sur lart contemporain, la
photographie et la musique électronique
2001. Prix Georges-Nicole. Publication
du livre «Aires de repos sur lautoroute
de linformation» chez Bernard Campiche
Editeur. Magister Artium en littérature
comparée. Travail de mémoire consacré
au thème de la guerre dans «A la
Recherche du temps perdu» de Marcel Proust.
Participation à lémission
«Jeunes auteurs francophones de Suisse Romande»
sur France-Culture Depuis août 2001,
travaille comme écrivain, traducteur, journaliste,
barman et réceptionniste Prix Fems
2002 (CHF 100000.-), à lorigine
du projet «Les Oasis de transit».
Yves Rosset, Les Oasis de
transit, Bernard Campiche Editeur, 2005, 530 pages
Page créée
le 04.10.05
Dernière mise à jour le 04.10.05
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