ISBN 2-88182-463-3
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Une femme est tombée
sous le charme d'une île qui, longtemps,
lui prodigue ses dons simples. Promenades par
les sentiers solitaires, musique d'une autre langue,
la mer, les bateaux. Un jour, dans un café
du port, la visiteuse rencontre le Capitaine Rouge.
C'est un homme de sac et de corde, mais sa voix
et sa prestance ravissent l'étrangère.
S'ensuivent les péripéties
coutumières des amants - promesses, mensonges,
chassés-croisés mélodramatiques,
bagarres contre les moulins à vent. A l'école
du Capitaine Rouge, ce maître de l'envers
des choses, la narratrice perd quelques illusions.
Ce qui sauve la passion
humaine, c'est sans doute la mémoire. Demeurent
à la fin les objets, témoins humbles
et fidèles. Demeurent les lieux, parfaits,
d'une aventure triviale - une maison et un jardin
dans le pays gris et, là-bas, l'île
aux sortilèges, plus vraie maintenant qu'elle
a des ombres.
Catherine Safonoff, Au nord
du Capitaine, Editions Zoé, 2002.
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Extrait
"Un jour j'achetai des iris et
des soucis et je ramenai ce bouquet dans la chambre, croyant
à la bonté des fleurs. Je les mis dans un bocal
ayant contenu des cornichons. Sur la table de formica, le
bouquet ressemblait à un volatile englué dans
la marée noire. Les tiges puaient déjà.
Je jetai les fleurs par la fenêtre.
Je repense au mot prison, seulement
au mot. Quand le Capitaine Rouge m'appela, ce matin de juillet
dans l'île, il prononça ce mot à peine
je m'étais assis auprès de lui. Mon coeur battait
fort. J'avais obéi à l'appel de mon nom comme
un chien qu'on siffle. En une seconde ma vie venait de changer
de mains, je ne m'appartenais plus. J'entendis bien le mot
prison, je compris bien que le Capitaine Rouge ne l'utilisait
pas au figuré. Mais il avait ce matin-là l'air
si heureux et il y avait si longtemps qu'on ne m'avait appelée
ainsi, si irrésistiblement, que le mot prison prononcé
à côté de mon nom le fit rayonner comme
si je m'appelais liberté."
Extrait de: Au nord du Capitaine, Editions
Zoé, 2002
Notice biographique
Catherine Safonoff est née en
1939 à Genève où elle vit aujourd'hui.
A collaboré occasionnellement au Journal de Genève
et à la Radio suisse romande pour des critiques littéraires,
a aussi écrit des scénarios pour la télévision
ainsi que des adaptations de romans pour le cinéma
(Polenta de Jean-Marc Lovay pour Maya Simon) et pour le théâtre
(Le Malheur indifférent de Peter Handke).
Au nord du
Capitaine est son cinquième roman.
Catherine Safonoff / Postface du
MiniZoé : La Part du fleuve
Catherine Safonoff est née en
1939 à Genève. Elle y vit, elle y travaille,
elle y a élevé ses enfants. A pied ou à
vélo, elle a quadrillé la géographie
inépuisable de cette ville qui habite chacun de ses
quatre romans, de même que les nouvelles inédites
de ce recueil. De cet auteur réservé on ne sait
pas grand-chose - que ses livres. Il y a d'ailleurs entre
romans et nouvelles des correspondances, des coïncidences,
un dialogue. Peut-être, sûrement en est-il ainsi
de sa vie et de son oeuvre.
Je vois "La Part du fleuve"
comme la face ombreuse du Pont aux Heures, publié à
la fin de 1996; la romancière a-t-elle ressenti la
nécessité de rétablir cette vérité,
que l'eau, le courant, ne sont pas que des éléments
quasi féeriques d'un conte mais aussi le lieu ultime
qui hante et appelle ceux qui ont l'âme noyée
? Ni l'amour, ni la mélodie d'une voix ne parviendront
à sauver le locataire taciturne de la narratrice de
cette première nouvelle.
Car il y a chez les personnages de
Catherine Safonoff une lente impuissance à mener à
bien une vie. Et l'écriture que pratiquent si souvent
ceux qu'elle met en scène ne leur est pas d'un grand
secours, soit que les phrases tracées ne parviennent
pas à ceux à qui elles sont destinées,
soit que la mort survienne comme une délivrance, une
issue possible à cette activité peut-être
trop solitaire.
La seconde nouvelle, "Femme à
l'oiseau", est l'histoire d'une quête : "Dès
le moment où elle avait compris qu'il n'y aurait plus
personne dans sa vie, elle s'était mise à chercher
une maison." Mais l'auteur conjugue le verbe chercher
au mode intransitif, l'essentiel étant que la narratrice
nous soit montrée en état de recherche, continuelle,
et continuellement aussi en état d'empêchement.
Et nul ne s'étonnera que cette femme passe très
près de la maison de ses rêves - et ne lève
pas les yeux sur elle.
On le voit, les héroïnes
de cet écrivain si discret ne sont pas des battantes
ni des extraverties. Elles sont de celles qui hésitent
et se trompent, qui marchent et trébuchent ; elles
sont de celles qui demandent à un oiseau mort de leur
réchauffer les mains. Il semblerait qu'exiger plus
de la vie soit aux yeux de ces femmes un peu indécent.
Mais souhaiter plus, cela elles le peuvent et ne s'en privent
pas.
Je repense alors aux innombrables lettres
qui composent Comme avant Galilée (1993) : lettres
rédigées, adressées (aux connus et aux
inconnus, aux objets qui demeurent et aux heures qui passent),
destinées mais jamais envoyées. Lettres qui
engloutissent dans le tourbillon de leurs errances la seule
qui entre toutes devait être écrite mais ne le
sera point, ces quelques mots qu'il aurait fallu dire au père
avant que la mort n'advienne.
La dernière nouvelle propose
elle aussi une sorte de contrepoint très sombre à
ce qui fut, dans d'autres écrits, anecdotique et souvent
chaleureux : le bruit de la vie des autres. Les mots et les
douleurs de la solitude apparaissent rarement sous la plume
de Catherine Safonoff et cependant ils occupent les textes
de façon lancinante et dramatique car le silence vient
de ceux qu'on aime, ou qu'on a aimés, et seuls se manifestent
ceux qui nous indiffèrent.
Ainsi l'intolérable intrusion
relatée dans "17, impasse Vige" : l'isolement
d'une femme y est rendu plus flagrant encore par son attention
constante à ceux pour qui elle n'est rien : ses voisins
d'immeuble. Porosité des vieux appartements où
l'on partage les repas, les ablutions et la télévision
de ceux d'en dessus et de ceux d'à côté.
Maria Krave note les sentiments que lui inspire cette éprouvante
invasion de tous les instants ; est-ce cela qui a précipité
sa mort, ou bien cette découverte tragique : ce qui
était si intolérable à ses oreilles n'était
que la manifestation de la fin d'un amour, bruits de pas qui
cherchent et qui attendent, vacarme que font des bras qui
se referment sur le vide.
L'impasse qui donne son titre à
la nouvelle rejoint ici l'empêchement que j'évoquais
plus haut : cette impossibilité somme toute peu raisonnable,
mais si compréhensible, si humaine, parfois, d'aller
de l'avant.
Nul ne s'étonnera dès
lors que les lieux de Catherine Safonoff soient ceux de l'incertitude
et du provisoire : lieux de passage, d'attente; des rues,
des cafés, des buffets de gare. Il y a les endroits
que l'on quitte - dans La Part D'Esmé (1977), la jeune
femme laisse derrière elle une maison, et l'homme et
les enfants qui y vivent; il y a surtout ceux où l'on
revient panser ses plaies par les modestes gestes d'un quotidien
dérisoire et essentiel, ainsi la chambre où
la narratrice de Retour, retour (1984) tentera d'exorciser
un départ avorté. Il y a enfin le lieu rêvé,
cette île, là-bas, où la vie un jour paraissait
simple.
Et l'amour ? L'amour est un météore
dans le ciel des femmes; des hommes, jeunes, le traversent
et s'en vont. Ceux qui restent le font pour de mauvaises raisons
et cela n'est source d'aucun bonheur.
La voix de Catherine Safonoff, si elle
est souvent grave, sait aussi se faire malicieuse et légère.
Son regard est celui de l'enfant que nulle hiérarchie
apprise n'a encore détourné des très
petites et des très grandes choses de ce monde. Et
son écriture, la musique qu'elle imprime aux mots et
aux phrases, est certainement unique en ce pays.
Postface du MiniZoé : La
Part du fleuve
Sylvie Neeman Romascano
Page créée le 22.09.01
Dernière mise à jour le 21.08.02
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