Extrait de Demoiselle Ogata
Cette nuit je n'ai pas eu mal. Et je sais bien pourquoi.
Mercredi est le jour de Zora. De toutes celles qui s'occupent
de moi - par compassion, pour l'argent, par conviction religieuse
- Zora est ma préférée. Elle est ponctuelle.
Elle est gaie.
A l'institut, tout le monde se moque. les infirmière
anorexiques aux profils ornithologiques jouissent de souligner
ce qu'elles appellent sa laideur molle. Moi, je la trouve
jolie, boudinée dans ses habits branchés qui
ne lui vont pas du tout. Elle est forte, soit. Et alors !
Sa chair mate mène la vie dure à tout cet arsenal
de fibres synthétiques qui peine à contenir
sa superbe abondance. Ses bourrelets prometteurs menacent
à tout moment l'intégrité des pantalons
taille basse. Sur les cuisses solides, les lycras écartelés
gémissent : poulies, cordages, misaine et perroquet
livrés aux caprices d'un ouragan de chair. Ses hanches,
sa poitrine, ses bras potelés sont autant de bombes
très peu discrètement dissimulées sous
les chromos ésotériques qui ornent ses atours
moulants. Une fois retirée, sa panoplie doit tout juste
couvrir une pièce de dix centimes.
Thomas Bouvier, Demoiselle Ogata, Editions
Zoé, 2002
|