ISBN 2-88182-426-9
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Robert Walser, promeneur
solitaire, écrivain en marge dans la retraite
de ses mansardes : telle est l'image que nous
renvoie une légende littéraire opiniâtre.
C'est un autre aspect de
Walser, encore mal connu, que ce livre veut mettre
en évidence à travers l'ensemble
de l'oeuvre, y compris les "microgrammes"
récemment décryptés : un
Walser qui réagit en sismographe aux secousses
et aux frémissements de son temps, en hume
l'air, en partage les engouements et les angoisses,
en ausculte le langage, pour tout de suite reprendre
ses distances et transformer les impulsions reçues
en énergie cinétique pour sa plume
dansante.
C'est d'abord Cendrillon,
figure marginale mais centrale à l'époque,
qui conduit le bal. Puis le mouvement dansant
entraîne le lecteur à travers une
maladie du temps, la "nervosité",
rabote au passage le massif alpin et les mythes
qui l'exaltent, gambade autour des monuments de
Nietzsche et de Kleist.
Partout Walser tend l'oreille
à son temps, sans jamais s'en faire l'écho.
Sa souveraineté littéraire et ludique
prend ses aises dans le "feuilleton",
ce genre marginal relégué en "bas
de page", méprisé de la "grande
littérature" mais très prisé
des lecteurs. Il peut s'y jouer des contraintes,
comme le danseur s'y joue de la pesanteur. Il
peut s'y égarer dans des discours labyrinthiques
qui le rapprochent de Kafka ou de Benjamin, y
exécuter, en dansant avec les mots, des
enchaînements hardis et inattendus.
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Toujours en mouvement, Walser a échappé
à son époque ; toujours en mouvement, il séduit
la nôtre : ce danseur ne vous lâche jamais, car
jamais on n'arrive à le saisir.
Peter Utz,
spécialiste de l'oeuvre de Robert Walser, a travaillé
plus de dix ans à l'écriture du livre ci-joint
- qui a été publié en allemand à
l'automne 1998. Il habite Lausanne où il est professeur
d'allemand à la Faculté des Lettres.
Peter Utz, Rober Walser : danser dans
les marges, Editions Zoé, 2001.
traduit de l'allemand par Colette Kowalski
576 pages, 19 illustrations noir/blanc, format 14 X 21 cm,
Fr. 38.-
Extrait de l'Introduction : Robert
Walser : danser dans les marges
Sous le regard de Robert Walser le
marginal commence à danser. Dans un texte de feuilleton
qui paraît en août 1926 dans la "Prager Presse"
sous le titre Belgische Kunstausstellung (Exposition de l'art
belge), une Pietà de Roger van der Weyden attire son
attention. Le critique d'art du "Bund" de Berne
qui rend compte de la même exposition voit dans le tableau,
comme on peut s'y attendre, l'attitude compatissante des personnages
penchés sur le corps brisé du Christ. Walser,
lui, ignore ce qui se passe au centre et dirige son regard
vers l'extrême bord du tableau où un petit arbre
sans feuilles se détache sur l'horizon - c'est la seule
chose dont il fait part à son lecteur pragois :
"Dans une Pietà j'ai été
frappé par un petit arbre déchiqueté,
dépouillé, sont les branches dansent figées
comme sous l'effet d'un charme, sont immobiles et, chose étrange,
paraissent en même temps très mouvementées."
(GW VIII, 266)
Dans la description de Walser le petit
arbre devient une figure emblématique. Mais elle ne
se rapporte pas au Christ mort, véritable sujet du
tableau, dont, selon l'iconographie chrétienne, même
l'arbre sans feuilles porterait le deuil. Dans la transposition
de Walser le petit arbre se lit plutôt comme l'emblème
de sa propre écriture. Car seuls son regard et son
langage ont le pouvoir de rompre le charme qui, dans le tableau,
paralyse le mouvement, eux seuls sont capables de découvrir
la danse des branches apparemment immobiles. Ainsi ôte-t-il
au paysage peint sa rigidité cadavérique. par
le langage il le rend à la vie - miraculeuse résurrection
aux confins de la mort, opérée par la littérature,
qui n'annonce que secrètement la résurrection
du Christ. Une phrase détachée, aussi isolée
que le petit arbre, est ainsi capable de révéler
l'animation cachée et la vitalité de tout le
tableau ; en même temps que le regard, la phrase transforme
l'image sur laquelle celui-ci se pose.
Walser se détourne de la douleur
exposée au centre : son regard s'attache au petit arbre
au bord du tableau qui a l'audace de dépasser la ligne
nettement tracée de l'horizon et de danser dans l'ouvert.
A cet égard aussi la phrase qui passe facilement inaperçue
dans le long article sur l'Exposition de l'art belge devient
une figure où se reflète la propre écriture
de Walser : comme l'arbre elle se situe au bord des champs
où se jouent les grandes actions spectaculaires. Mais
à cette place elle trouve la liberté de mouvement
qui lui permet de sauter par-dessus ces bords et de dépasser
les limites qui lui sont fixées. Parce qu'elle se sait
au bord, elle peut se risquer dans l'ouvert, dans le mouvement
: ce n'est qu'au marginal, à l'habitué des franges,
que la danse est permise.
Extrait de l' Introduction:
Peter Utz, Rober Walser : Danser dans les marges
traduit de l'allemand par Colette Kowalski
576 pages, 19 illustrations noir/blanc, format 14 X 21 cm,
Fr. 38.-
Robert Walser : Un Extrait
"Ceux qui dansent ne sont-ils
pas heureux, et ne cherche-t-on rien d'autre dans le bonheur
qu'une simplification, sans bien sûr se l'avouer jamais,
parce que les vanités n'aiment pas admettre quelque
chose qui n'est peut-être pas exceptionnellement intelligent.
Peut-être une danse délivre-t-elle d'une foule
de chose intelligentes. Moi, l'intellectualiste, ne suis-je
pas très bien placé pour le savoir ?
Si j'ai bien dormi et m'éveille
le matin, l'artiste s'éveille en moi, celui qui croit
au hasard, l'ami du rythme, et le pauvre homme timide se cache
devant lui, qui, doué pour la danse, est à soi-même
père et mère, frère, ami et amie, qui
commande aux membres et à l'esprit et se sait assez
riche pour ne traiter ses congénères qu'en personnages
dans des jeux qu'il crée à son gré."
Robert Walser
Page créée le 22.09.01
Dernière mise à jour le 20.06.02
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