Personnages : |
La Reine
Le Nain |
LA REINE
Pour Diana et ses semblables.
Elle est sans âge. Confite
en éternité. Et elle se maquille en fonction
de cette absence d'âge: un masque. Ses vêtements
ont eux aussi la patine sans âge, comme le décor.
A côté d'elle, une bouteille d'alcool et un verre.
De temps en temps, elle boit.
Reine: Ce n'était
pas là, le commencement. Je le leur ai dit mille fois:
le commencement n'était pas dans cet instant où
la polnme a trébuché d'entre mes dents et je
me suis réveillée, comme ils prétendent,
pour tomber sous le charme d'un prince amoureux de mon cataclysme.
Ou est-ce cacophonie? Catatonie... Catalepsie? - Enfin: amoureux
de mon cercueil, il faut bien dire, parce que
tout n'a jamais été qu'une question de verre,
opaque ou transparent, et j'ai été la plus belle
du pays pour un miroir sans tain.
Et les miroirs sont des gouffres. (Elle se
farde, se verse un verre)
Les miroirs sont des gouffres. On ne leur donnera jamais assez
de fards et de spectacles. Tout à coup, ils vous coupent
en deux, et là, le regard est atroce.
Le regard? Qu'est-ce que je dis? Cent mille regards. Des millions
de regards. A l'affût de la moindre erreur, et même
quand il n'y a pas d'erreur, ils en inventent, cette ombre
sur l'aile du nez: est-ce que c'est un bouton? Cette étincelle
dans l'oeil: est-ce qu'elle n'a pas pleuré?
(Elle se farde, concentrée)
Ils inventent.
Ils boivent avec votre bouche, ils touchent avec votre main.
Ils croient souffrir parce que le Prince regarde ailleurs
et que vous repoussez le gâteau des cérémonies.
Sur leur balance, c'est vous qui maigrissez, qui grossissez.
Ils hurlent à votre place quand vous avez vos parturitions.
"Parturitions"? Je sors ça d'où? C'est
pas mal. Parturitions. "Le Prince vous prie de le rejoindre
à la salle à manger, Altesse." - "Je
ne peux pas, j'ai mes parturitions."
Il faut que je note ça.
(Elle tire le cordon de la sonnette. Arrive le Nain)
Reine: Ah! toujours toi! J'aurais dû te tordre
le cou comme aux autres.
Nain: Tu ne peux pas. Je suis toute ta mémoire.
Reine: Une mémoire potagère, oui. Qu'est-ce
que vous m'avez appris d'autre que faire le ménage?
Nain: Ça aurait pu t'être utile.
Reine: Où ça?
Nain: Si tu te promenais parfois dans ton royaume,
tu saurais qu'il y a des quartiers de bordure, là,
qui sont plutôt crads.
Reine: Crads?
Nain: Tristes.
Reine: Comme ici, donc. Il n'y a pas besoin de savoir
faire la cuisine pour ça.- Et qui est-ce que j'aurais
épousé?
Nain: Tu te regarderais dans le miroir avec la même
amertume, mais avec un peu moins d'éternité.
Reine: L'éternité elle-même finit
par prendre la poussière. On devrait le leur dire:
ce n'est que l'ennui du ressassement. Et moi, je n'ai rien
à me mettre sous la dent - même pas un commencement.
Et encore moins l'événement. Ça glisse
dans la mémoire comme un serpent lacté. - Va
chercher ce qu'il faut. Je veux dicter.
(Le Nain ressort, revient avec du papier.)
Reine: Relis-moi ce que nous avons déjà
écrit.
Nain: La même chose en plusieurs versions "Ce
n'était pas cela le commencement, le commencement n'était
pas dans la pomme qui trébuche quand je me suis réveillée
pour un prince amoureux de mon cercueil. Je dormais..."
Reine: Stop! (amère) C'était bien
avant, le commencement.
Nain: Dans tes coquetteries, c'est ça?
Reine: Oh non! Avec vous, je vivais dans des miniatures,
et j'avais juste envie de grandir .
Nain: Tu rêvais.
Reine: Vous me l'aviez interdit, voilà pourquoi.
- Est-ce que c'était seulement du rêve? - Ce
n'étaient pas des coquetteries, mais je-ne-sais quel
fluide inguinal qui montait à la tête. Pourquoi
est-ce que mon père ne m'a pas protégée?
Hein? Où était-il, quand Celle-là
mangeait mon coeur pour être la plus belle? - Je ne
dis pas que c'était un viol, mais c'était un
viol. Double. Ni père ni mère - et ce petit
corps qui saignait au milieu des arbres, qui saignait dans
une maison de poupées avec des êtres qui avaient
mal grandi, et qui n'avaient pas, eux, de fluide inguinal.
Pas le moindre petit filet de fluide inguinal.
Nain: Inguinal? Où est-ce que c'est placé,
ça?
Reine: Chez vous autres, je ne sais pas.
Nain: Dans "vous autres", tu inclus le Roi?
Reine: Le Roi?
Nain: Ton Prince.
(Elle réfléchit)
Reine: J'inclus. - Il m'a susurrée comme une
crème à la banane, toute une nuit. Susurré
des mots d'amour, Ma pure ma vierge mon adorée. Il
était à genoux quelque part, mais pas où
j'aurais aimé. Je lui disais: Viens! Il disait: Où?
Tu ris, mais tu ne sais pas non plus. Interdit ou non, c'est
vous qui êtes catatonisés dans le rêve,
les histoires de bébés qui naissent par la tête
grâce à la baguette magique du Saint-Esprit.
(Un temps)
- Où est-il?
Nain: Qui? Le Roi? A la chasse, bien sûr. "Un
bon roi doit être à la chasse", dit-il.
Et il s'en va.
Reine: Ha! Je sais, moi, ce qu'il fait avec ses chasseresses:
il les méprise après, c'est
toute la différence. - Mais va: tu ne sais même
pas de quoi je parle. "Après, après"
: après quoi, hein?
Nain: (mortifié) A mon âge, on
ne peut pas tout savoir.
Reine: Ton âge? Mathusalem était plus
jeune que toi. Mais tu t'es disprotégé sauvagement
contre les excroissances, et les autres aussi. Le Prince aussi.
Nain: (cherche dans le dictionnaire tandis qu'elle
continue à parler. Elle boit, continue.)
Reine: Des sabotés de sept lieues, vous étiez,
mais toujours à sens unique. Elle est belle, votre
descendance !
Nain: (cherchant toujours) Elle est dans tous
les jardins, actuellement, notre descendance. - "Excroissance",
j'ai trouvé: "boursouflure sur les végétaux".
Reine: Les végétaux? Tu es sûr?
Ce n'est pas ce dont je me souviens. Tu triches, non? Et "boursouflure",
c'est quoi, exactement?
Nain: (cherche) : "bourse... boursou, boursouflure:
Enflure, emphase"
Reine: Ah, les mots! C'est magnifique. Il n'y a qu'à
prendre, décidément! - Peut-être que tu
t'es sauvagement déboursouflé dans les emphases?
Nain: Tu veux que je cherche?
Reine: Non. - J'aime autant
que ça reste flou. - Vas-y, je dicte. - "Ils boivent
à votre bouche, ils touchent -
Nain: Attends. Tu vas trop vite.
Reine: Note dans ton sabir, tu transcriras ensuite.
Nain: Ce n'est pas du sabir, c'est de la sténographie.
Reine: ... Ils touchent avec votre manl. Ils croient
souffrir parce que le Prince se détourne, et pour finir,
la pomme qui trébuche aura été le seul
événement de votre vie."
Nain: (tirant la langue) ... le seul événement
de votre vie ...
Reine: Croit-on. (Un temps, puis, brusquement)
Il n'y a pas eu de partition. De parturition. - Qu'est-ce
que ça veut dire, d'ailleurs?
Nain: (reprend le dictionnaire avec un soupir)
Partition, je sais. On était sept, et, dans les Montagnes,
on avait chacun son étage. Avec des ressemblances,
bien sûr. Les strates ondulaient, et c'étaient
parfois les mêmes à l'étage au-dessus
ou au-dessous. On divisait, et on chantait en même temps.
- "Parti, partu -" Tu as de la chance d'avoir un
nain qui sache lire. "Parturition: accouchement naturel.
Double barre: Mise bas, en parlant des animaux."
Reine: C'est donc ça! Il me semblait bien que
ça me rappelait quelque chose. - Où sont-ils?
Nain: Tes enfants? Il y a longtemps qu'ils habitent
dans leurs propres histoires. La petite dort toujours.
Reine: (rêveusement) Ils ont trébuché
hors de moi comme la pomme. Mais ce n'étaient même
pas des événements. Ils ont déboulé
dans cette éternité en porte-à- faux,
rien que parce qu'ils étaient programmés dans
l'ex- laquelle? L'excrétion ou l'excroissance? De toute
façon: de pures images. Symboliques, si tu vois ce
que je veux dire.
(Rêvant) Comment tu as dit, pour les animaux?
Nain: De quoi?
Reine: Parturition?
Nain: Mise bas.
Reine: Mise bas. Je mets bas, tu mets bas, il met bas.
(Rit) Oui: il a bel et bien mis bas. Sans même s'en
rendre compte.
Nain: De quoi parle ma Reine?
Reine: (dignement sévère) De l'avant
et de l'après. Avant, je prétends
que c'est le Prince qui a mis bas. Très bas, même.
J'ai dû m'en occuper sérieusement. Après,
j'ai accouché. A chacun son enflure. (Un temps)
J'ai espéré qu'un jour, avec ça, (elle
lève son verre) je passerais de l'autre côté
de leurs yeux. Ni "mon adorée ma vierge",
ni le symbole éternel, mais la petite,
avec papa-maman comme tant d'autres, et quelqu'un te caresse
le front quand tu es triste, et quelqu'un te pose un baiser
dans ton lit, et même la porte fermée les rideaux
tirés, tu sens que quelqu'un veille, que quelqu'un
pense: "rna petite fille que j'aime". Et le matin,
tu te réveilles, et dans la première lumière,
il y a un visage qui est là pour toi, rien que pour
toi, le seul miroir au monde qui puisse te consoler d'être.
(Sanglot. Elle jette son verre.) Rien.
Va-t-en! Fiche-moi le camp! Qu'est-ce que vous avez fait d'autre,
vous sept, que me garder dans la solitude sans sel ni sucre,
alors que tout croissait en moi, une anarchie croissante de
solitude, de seins et de saignements? Qu'est-ce que vous avez
fait, si ce n'est m'enfermer, un cercueil après l'autre,
ce n'est pas une petite fille, c'est un chiffre, un visage,
La beauté. - Une. - Rien
qu'une. - Qu'est-ce que vous croyiez faire en
m'obligeant à nettoyer vos chiennes écuelles
et vos noctitions pollurnes?
(Crie)
Ce n'est pas là que j'étais, moi.
(S'effondre.)
Nain: C'était écrit comme ça.
Qu'est-ce qu'on pouvait faire?
Reine: Va-t-en, va-t-en, va-t-en.
(Le
Nain ramasse ses dictionnaires et ses papiers, et fait semblant
de sortir, mais il revient sur la pointe des pieds, se cache.)
(Après
un temps assez long, la Reine se redresse un peu, marmonne
comme en transe:)
Reine: Le commencement. Le commencement. - Je vais
encore retourner voir dans ce cul-de-sac?
Nanographe! Je sais que tu es là. Lis-moi le commencement,
puisque tu es là.
(Le Nain se montre)
Nain: Tu vas encore tomber, ma Reine.
Reine: Je vais tomber, je sais. La tête la première
à travers la spirale des siècles, les yeux fermés.
Tu as raison. Je connais le chemin même sans toi. Mais
donne-moi la branche sèche pour accrocher la chute.
(Le Nain prend le livre des contes et l'ouvre.)
Nain: Il était une fois une Reine qui désirait
de tout coeur avoir un enfant. Un jour d'hiver, alors qu'elle
était en train de broder, assise à une fenêtre
dont le cadre était d'ébène, elle se
piqua le doigt, et trois gouttes de sang tombèrent
dans la neige. "Ah, dit-elle, si j'avais une enfant blanche
comme la neige, rouge comme le sang et noire comme l'ébène!
"
Un an plus tard, elle donna le jour à une petite fille
dont le teint était blanc comme la neige, les lèvres
rouges comme le sang et la chevelure noire comme l'ébène.
C'est pourquoi on l'appela Blanche-Neige. Mais la Reine mourut
en mettant l'enfant au monde, et le Roi prit une autre femme.
(Un temps)
Reine: Rapporte-moi mon verre.
(Le Nain le lui rapporte; elle se verse à boire,
boit.)
Reine: (comme si elle récitait) Rien
d'autre que des cercueils. Derrière sept portes, un
enfant pleure, le Roi demande de quel sexe est l'enfant, on
lui dit C'est une fille, il dit Laissez. Il caresse sa barbe
noire, elle est comme des poils de pubis. Veuve. Il met un
doigt dans sa bouche. Il porte sa propre solitude, et il trouve
qu'elle est hyperboréale. Au lieu d'une pleureuse enchiffonnée,
ce qu'il veut, c'est une autre barbe où planter son
doigt. - Ecris ça!
Nain: Tu déformes, ma Reine.
Reine: Je re-forme, enfin! Le Roi, celui-là,
et tous les autres, ils n'ont que le doigt. L'avoir et le
doigt. Tu dois, je te possède. Ils branlent avec un
doigt les pleureuses enchiffonnées, peu importe l'âge
et l'aberration. Ils n'ont que ça, le doigt à
planter, et planter bas, malgré toute douleur de femme
enchiffonnée, et, dès lors, c'est pour elle
la course au miroir , l'autre cercueil.
Moi, j'étais noyée. Celle-là
faisait gicler toute beauté d'artifice dans tous les
miroirs. Elle remontait ses seins avec des arbalètes;
elle gonflait ses lèvres à coup d'orties. Folle
de peur que le Roi découvre l'enchiffonnée,
la jeune, l'intacte et n'y mette le doigt, "Ma vierge,
mon adorée".
Nain: Là, tu dérapes!
Reine: C'était pire encore, Naninfantile! Le
viol. Je te l'ai dit. Celle-là mangeait
mon coeur pour rester la plus belle, et mon père attendait
dans ses brocarts, il attendait que Celle-là
vienne: belle. Alors qu'il avait tout volé
depuis longtemps. ( Un temp.) Belle. (Crie)
Pourquoi belle? Tu peux me le dire?
Il n'était même pas beau.
Je le voyais parfois tout seul sur son trône, quand
je guignais par le trou de serrure. Il jouait avec son goupillon.
Et il fallait de bons yeux pour repérer ça dans
toute cette graisse. Brocarts écartés dépenaillés,
je peux te dire. -Non: pas beau.
Et ma mère? Ma mère, tu vois bien: qu'est-ce
qu'elle est arrivée à désirer pour moi
sinon ça? Ni l'entendement ni la parole. Ni, surtout,
la tendresse. Elle s'est shootée elle-même hors
du parvis, dans sa robe bleue et blanche, aimée d'un
doigt parce qu'elle était belle et tais-toi. Elle m'a
parturisée, puis bonjour l'héritage: ton père
n'existe pas. Il existera peut-être quand tu auras quinze
ans, par chasseur interposé, après quoi, tu
n'auras plus de coeur. Désaccordée. Mais belle
et tais-toi, le teint de neige et le reste que tu connais,
et mes doigts à moi, je ne les inventais pas sur vos
salopettes, je les abîmais sur des planchers. Tu te
rends compte? Sur des planchers. Des petits cercueils de petite
maison. D'accord: au moins, ce n'étaient pas des miroirs.
Et d'accord: vous n'avez jamais dit - dit -
que j'étais belle.
Mais alors quoi?
(Elle marche, boit; résume dans l'implacable logique
de l'ivresse)
Je résume: ma mère: viol. Mon père: viol.
Vous sept: viol par omission. Cercueil numéro un: je
crie derrière sept portes parce que je suis une fille.
Cercueil numéro deux: votre boîte à jouets.
Cercueil numéro trois: la pomme avant le trébuchage.
Cercueil numéro quatre: un palais de Roi. Cercueil
numéro cinq: les miroirs - ou quel numéro ont-ils,
ceux-là? Peu importe. - Et maintenant, ce verre qui
n'est même pas en cristal, il se serait cassé
tout à l'heure, et ce que j'ai bu depuis ce matin ne
suffit même pas à faire un vrai cercueil.
(Elle trébuche, tombe à genoux)
Tu as écrit tout ça? Tu l'as écrit?
Nain: Tu veux que je l'écrive encore une fois?
Reine: Tu ne l'as jamais écrit, Nanomenteur!
Tout ce que tu as écrit, c'est le masque, la faisanderie
populaire. (Un temps)
Voilà. Je suis cassée. Tu sais ce que ça
me rappelle? (Elle fait le geste de récurer à
genoux)
Et tu sais à quoi je pense parfois? Si j'avais su,
alors, que j'étais la plus belle. Je me serais remise
debout sans coeur ni lieu, une seule beauté de glace,
aimez-moi, ne touchez pas. Et ils auraient léché.
Je peux te le dire. Même vous sept auriez léché.
Moi, debout, imperdable impavide, à rire à l'intérieur
qu'enfin c'était moi, votre désir. Moi.
Dans le cercueil que j'aurais choisi.
J'ai toujours rêvé d'avoir le droit d'être
passive. D'être debout, ou couchée, poupée
passive, personne ne sait où elle est derrière
son teint de neige, elle est peut-être neige en effet,
et vous tous, vous voulez mon coeur à tour de lèche,
comme si j'étais la mère et son petit. La mère
morte à ressusciter. Et moi, riant à l'intérieur,
vous tous ma jouissance.
(Le Nain est plutôt embarrassé, là.
La Reine se couche sur le dos)
Reine: On dirait que je rattrape le temps. Si je tire
encore un peu sur les plumages? Passive, oui, c'est un bon
chemin pour chuter par les siècles.
La Reine-Mère, tu disais? M'ont-ils jamais appelée
"maman", mes bouts de pomme héréditaires?
Qu'est-ce que j'ai fait? Nanotruc: qu'est-ce que j'ai fait?
Je tombe en pourriture, et je n'ai pas eu le temps d'être
jeune. D'être une enfant. D'être une mère.
Je n'ai eu que l'image, jamais que cela.
(Se redresse) Est-ce que ma mère avait un corps?
Nano, Nano: Lis encore. Lis le commencement. Juste la première
phrase.
Nain: (cherche
le texte, lit) Il était une fois une Reine qui
désirait de tout coeur avoir un enfant.
Reine: Et moi, je les aurais eus dedans, ces bouts
de pomme? (Désespérée) Ils n'étaient
que poison, Nano. Poison de la même jaquetterie que
de Celle-là qui me serrait les seins
pour que je disparaisse. Le Prince, et Celle-là,
et le Roi, et tous les violeurs dans la même jaquette,
tu ne peux pas savoir , et moi-même, je ne savais pas.
D'être la plus belle, il faut mourir, ou bien placardée
dans l'éternité, miroirs compris. Même
le Roi quand il baisait: genoux serrés pour ne pas
gicler ma virginité. Ce qu'il appelait ma virginité.
Un comble!
Nain: Elle t'avait désirée. De tout coeur.
Et maintenant, tu t'égares.
Reine: Je ne les ai pas désirés, moi,
mes enfants, si c'est ce que tu veux savoir. Où aurais-je
appris le désir? Où, hein?
Nain: Je ne sais pas, ma Reine. Je ne sais pas. Ce
jour du commencement, et avant le commencement, je n'étais
pas là.
Reine: Avant le commencement? Avant? Dis-le encore,
Nano. Dis-le.
Nain: Je ne sais plus comment dire. "Elle désirait
de tout coeur."
Reine: Elle désirait. Elle désirait.
Elle désirait. - Si je suce le verbe assez longtemps,
tu crois que je comprendrai? Non: c'est lui qui devrait m'avaler.
Il faut qu'il ouvre son sésame, elle désirait,
elle. J'étais dedans. Disons que j'étais dedans.
Tu vois? (Silence)
Elle désirait. Oui. Je me souviens. Elle désirait.
- Maintenant, je me souviens. Elle avait son coeur, qui battait
dedans, je me souviens, et elle désirait, sa main sur
son désir. son ventre où j'étais, et
moi, je grandissais le long de ses doigts, tout doucement,
je poussais un bras, une main, mes doigts l'un après
l'autre, je me frottais contre elle, doucement. Et parfois
même, je frappais. Alors elle résonnait longuement.
Elle résonnait comme - comme désir, tu as raison.
Désir. Et elle résonnait comme rire. Elle riait.
Moi, rebelle, je me souviens. Belle, je ne savais pas. Juste
rebelle. Je ne voulais pas. Je ne voulais pas.
Qu'est-ce que c'est que je ne voulais pas? Ça résiste,
Nano. Du bout du nez, je frotte la main, je vois, translucide,
et elle dit Silence et tais-toi. Elle dit cela.
Est-ce que je savais que mon couloir de vie serait son couloir
de mort?
Je le savais.
Je savais sa beauté sa mort. Je savais ma beauté
ma mort. On était mêmes. Héréditaires.
Le viol. Le viol. Le viol.
(Se redresse)
Oui.
Mais, oui: le désir, là. Le désir là.
C'est là qu'il était.
Je peux dormir, maintenant? Je peux dormir contre la main
ce miroir seul, tellement seul qui fait silence et tais-toi
je t'aime, si je me souviens bien. Je peux dormir, Nano. Et
me réveiller encore une fois, dernier cercueil, et
cette fois, j'aurais un corps?
Ferme le livre. Ce n'est plus besoin. Je suis rendue, tu vois.
Retournée là. Et je prends. Je prends. Désir
.
Noir
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Page créée le 26.11.04
Dernière mise à jour le 02.12.04
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