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Dubravko Pušek

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Depuis septembre 2007, Le Courrier, Culturactif.ch et Viceversa Littérature publient en partenariat des textes inédits d'auteurs de Suisse. Ces textes paraissent un lundi sur deux, et sont disponibles soit sur nos pages, soit en dernière page du Courrier ou sur le site de ce quotidien: www.lecourrier.ch


  Dubravko Pušek

Dubravko PušekDubravko Pušek est né à Zagreb en 1956 et vit en Suisse italienne depuis quarante ans. Il est journaliste culturel à la Radio Suisse Italienne et traducteur du croate (notamment de Nicola Šop, Mirko Tomasovic, Daniel Dragojevic). Il a également fondé une maison d'édition consacrée à la poésie (I laghi di Plitvice) et anime la revue littéraire Viola .
Sa poésie est marquée par sa double appartenance culturelle et par les thèmes de la guerre et de la fraternité. L'ombre de Paul Celan et des grands maîtres du désespoir s'esquisse souvent derrière son écriture à l'allure pensive et aux multiples références, capable de s'ouvrir pourtant à la fulgurance du moment présent – notamment dans «Kruno dorme», suite consacrée à son fils, dans le recueil Effetto Raman , Prix Schiller.
PLI

 

  Anime, Erbe / Des Âmes, des herbes

Peu à peu, l'attente va s'emparer de ton corps, la perte habitera ton âme et tu n'auras plus besoin
de rien. Tu seras complètement étranger à ce monde, la lumière obscurcie esquissera ton ombre et, quand tu l'intégreras, un pétale de chélidoine frôlera ta main habituée aux choses mortelles.
Tu respireras et écouteras le dialogue des herbes qui pour toi, jusqu'à maintenant, ne disaient pas grand-chose.
Tu es ici, résigné enfin comme elles et enfin tel qu'elles.
Ton âme se fond dans leur âme, tes yeux regardent à travers leurs yeux. Leur creux seulement va saisir la montée du cri de ton ombre qui s'effiloche. 

Pian piano l'attesa s'impossesserà del tuo corpo, la perdita abiterà la tua anima e non avrai più bisogno
di niente. Sarai completamente estraneo da questo mondo, la luce oscurata accennerà la tua ombra e, quando ne farai parte, un petalo di chelidonia sfiorerà la tua mano assuefatta a eventi mortali.
Respirerai e ascolterai il dialogo delle erbe che per te, finora, hanno significato poco o niente.
Sei qui, finalmente rassegnato come loro e finalmente
loro. La tua anima si fonde con la loro anima, i tuoi occhi guardano attraverso i loro occhi. Solo la loro cavità
presagirà il lamento della tua ombra che si sfilaccia.

 

II

Quand tu reviendras des noirs terroirs des morts, tu te sentiras troublé par tant de vie. Ta première pensée sera : comment poursuivre, comment écouter le bruissement des herbes, sans savoir que la mort n'est qu'un leurre, l'éternel retour du silence ?
Qui te pousse ? Qui t'éblouit par tant de lumière ? Qui affirme que dans le futur il y aura quelque chose ?
L'homme revient sans jamais avoir fait un pas en avant. Son esprit seul se traîne toujours sans trouver de fin.

Quando tornerai dalle nere terre dei morti, ti ritroverai confuso da tanta vita. Il tuo primo pensiero sarà come proseguire e come ascoltare il brusìo delle erbe, senza sapere che la morte è solo un inganno, l'eterno ritorno al silenzio.
Chi ti trascina? Chi ti abbaglia di tanta luce? Chi sostiene che nel futuro ci sarà qualcosa?
L'uomo ritorna senza aver mai fatto un passo avanti. Solo lo spirito vaga ancora senza trovare la fine.

 

III 

L'inquiétude t'a gardé en éveil toute la nuit.
Ce rêve étrange de vipérine d'octobre et le souvenir si cru des herbes chargées de couleurs vindicatives…
Les marges de la vipérine se perdent dans le brouillard, leur ombre s'évapore. Tout se diapre de son jaune dans le silence paillé. Et tout se rétracte dans l'âme rompue au feu. 

L'inquietudine ti ha tenuto sveglio tutta la notte.
Quello strano sogno di aspraggine ottobrina e il ricordo virulento delle erbe cariche di colori vendicativi…
I margini dell'aspraggine si perdono nella nebbia, la loro ombra svanisce. Tutto si orna del suo giallo nel silenzio paglierino. E tutto si ritrae nell'anima assuefatta al fuoco.

 

IV

Depuis longtemps tu restes déconcerté devant la multitude des herbes : une feuille strictement ovale, chaque capitule à l'extrémité de la tige, des fleurs lancéolées et hermaphrodites, cinq pétales réunis dans une langue jaune, rousse sur la tranche extérieure.
Tout sera réordonné à partir du vert. Un vert étincelant qui se jettera dans leur cour, la sève devenue rapide. Nous ne l'avons jamais compris. Mais on ne peut rien comprendre tant que le dernier soupir ne s'est pas étendu sur tout et que la marge ne s'est montrée. Nous sommes mortels, promis à notre silence, à la parole usée qui se cache partout. Et pourtant libres de dériver dans le vert, de nous approcher de l'image réalisable…

Da tempo sei confuso davanti alla moltitudine di erbe: una foglia strettamente ovale, singoli capolini all'estremità dello stelo, fiori lingulati ed ermafroditi, cinque petali riuniti in una lingua gialla, rossiccia sul lato esterno.
Tutto sarà riordinato dal verde. Un verde sfavillante che precipiterà nel loro cuore, la linfa resa rapida. Non l'abbiamo mai capito. Ma non si può capire niente, finché il sospiro mortale si stende su tutto e finché il margine non s'è ancora svelato. Siamo mortali, promessi al nostro silenzio, alla parola consunta che si cela ovunque. Eppure liberi di svariare nel verde, di avvicinarci all'immagine realizzabile… 

 

V

Des ailes et encore des ailes, et des pétales, pousseront sur ton cśur qui sombre dans les profondeurs de la terre, démesurée jusqu'à la limite de ton sang ébloui. Dans le silence, tu pressentiras leur ombre, leurs traces puissantes dans la poussière, le mouvement du corps calmé dans l'eau inquiète.
Les sentiers te conduiront dans de vertes plaines où un ruisseau coule de ses eaux claires, dans les potagers à l'humus retourné et dans cette candeur qui transfigure, totalement évanoui dans l'ombre.

Ali e ali, e petali, cresceranno sul tuo cuore che precipita nelle profondità della terra, sconfinata fino all'estremità del tuo sangue abbagliato. Nel silenzio presagirai la loro ombra, le loro orme possenti nella polvere, il movimento del corpo quietato nell'acqua inquieta.
I sentieri ti condurranno nelle verdi distese dove scorre nitido un ruscello, negli orti con il terriccio smosso e in questo candore trasfigurante sfuggito totalmente nell'ombra.

 

VI

Venimeuse la terre vocifère entre tes doigts : tu auras le destin des racines, la course souterraine depuis la naissance jusqu'à l'annonce de la nuit.
Tu es trop inquiet, et déjà te gagne la résine qui suture les plaies ouvertes depuis le temps.
Mais tout équilibre est infertile, le pollen mort crée l'effroi, la flamme éteinte crache le silence. La nuit détale et la cécité affiche sa couleur.

Velenosa strepe la terra tra le tue dita: ti toccherà il destino delle radici, la corsa sotterranea dalla nascita fino all'annuncio della notte.
Sei troppo inquieto e già ti raggiunge la resina rimarginando ferite da tempo aperte.
Ma ogni equilibrio è infruttuoso, il polline morto crea raccapriccio, la fiamma spenta espelle il silenzio. La notte accorre e la cecità mostra il suo colore.

 

LUNARIA
LUNAIRE

I

Ces pierres sont ailleurs, ailleurs les froncements, les lieux où nous étions profondément proches de nous-mêmes et, en même temps, loin du monde. De même pour le bleu qui paisiblement se chrysalidait, jadis faisant corps avec le gris.
Maintenant nous sommes des voyageurs téméraires, mais toujours le brouillard nous cloue au sol. Personne pour pressentir le creux que nous portons. Seule la poussière sait notre appel à l'étendue de la mer et de la nuit infinie, dans laquelle nous demeurons abusifs et pour qui seulement nous sommes désir et compassion.
Ailleurs, les horizons où nous avions l'habitude du regard et des tressaillements, dont ne restent que quelques pétales. Mais eux aussi sont devenus pierre.

Stanno altrove quelle pietre, altrove le increspature, i luoghi nei quali eravamo profondamente vicini a noi stessi e, nel contempo, lontani dal mondo. Anche l'indisturbato incrisalidarsi del blu, un tempo tutt'uno col grigio.
Ora siamo viaggiatori temerari, ma la nebbia ancora ci costringe al suolo. Nessuno che possa presagire le infossature che rechiamo in noi. Solo il pulviscolo conosce il nostro anelito all'ampiezza del mare e della notte infinita, nella quale restiamo abusivi: solo per essa siamo desiderio e compatimento.
Altrove gli orizzonti dove eravamo propensi allo sguardo e al trasalimento. Di questi sono rimasti solo alcuni petali, ma anch'essi si sono fatti pietra.

 

II

De la vie d'une lunaire on ne sait que peu. Rapidement, elle vit et meurt. En ce temps se frange le pourpre, la blancheur menée par la cloison de la silique. En même temps, nous pensons que les choses sont désormais agencées de manière à ce que nous puissions en saisir leur complétude et leur force.
Bizarres et incompréhensibles: elles demeurent ainsi, percevant l'ombre des lèvres qui approchent avec le jour lointain.
Inconnaissables comme tout, du reste. 

Della vita di una lunaria si sa poco. Rapidamente nasce e muore. In quel tempo smargina il porpora, il chiarore portato dal setto delle silique. Nello stesso istante pensiamo che le cose siano finalmente messe in modo da poter capire la loro compiutezza e la loro forza.
Strane e incomprensibili: stanno così e sentono l'ombra delle labbra che giungono con il giorno remoto.
Inconoscibili come tutto, del resto.

 

III

L'univers inhabitable, désert effiloché comme la musique d'un courant d'air par une fissure.
Les espaces derrière la fausse extrémité des mains. Décors où la tourbe.
Jamais vu une lumière si frêle si immobile, et un corps si résigné à la quiétude. Un horizon dans lequel des pierres de lune pressent le silence.
Elles inquiètent par leur air endormi.

L'inabitabilità dell'universo, deserto sfilacciato come la musica dello spiffero da una crepa.
Gli spazi dietro la falsa estremità delle mani. Fondali dove torba.
Mai visto una così tenue e immobile luce e un corpo così rassegnato alla quiete. Un orizzonte nel quale pietre di luna comprimono il silenzio.
Inquietano con la loro aria addormentata.

 

IV

Il n'y a pas de paradis; c'est l'âge de l'inquiétude. La différence est dans le piétinement de la perdrix, la migration des étoiles, l'aggravation de la poussière.
À partir d'eux, la fluctuation du sang, parfois une houle plus bruyante.
La densification de l'absurde, route maîtresse vers le centre de la terre.

Non c'è paradiso; è l'età dell'ansia. La differenza è nello zampettare della starna, nella trasmigrazione delle stelle, nell'addensarsi del pulviscolo.
Da ognuno il fluttuare del sangue, talvolta un più rumoroso ondeggiare.
L'addensarsi dell'insensato, la via maestra verso il centro della terra.

 

V

La nostalgie qui se lève de ces corps. Par murailles elle encercle les espaces vidés. Bat sur la poitrine. C'est un mutisme concassé qui revient en nous, à force, comme une écharde.

La nostalgia che si leva da questi corpi. Con mura circonda gli spazi svuotati. Batte sul petto. E' un tacere frantumato che ritorna in noi, forzatamente, come scheggia.

 

VI

Ainsi un nouveau temps nous enveloppe. Hors de nous, des arbres dépouillés se meurent. Nous traversons le silence entre les eaux. Leur gargouillis est ici un bruit d'avant la mort, le vol et la chute sont également utiles. Créés pour une double expérience.
Les mains caressent la chair et les cheveux. La bêche dépareille la terre; c'est elle qui l'attire impérieusement.

Così ci avvolge un tempo nuovo. Fuori da noi muoiono spogli gli alberi. Attraversiamo il silenzio fra le acque. Il gorgoglio è qui come prima della morte, il volo e la caduta sono ugualmente utili. Creati per una doppia esperienza.
Le mani carezzano la carne e i capelli. La vanga scompiglia la terra; essa la attira irresistibilmente.

Dubravko Pušek
Traduit de l'italien par Pierre Lepori

 

Retrouvez une note biographique et les publications de Dubravko Pušek sur nos pages consacrées aux auteurs de Suisse.

 

Page créée le 03.05.11
Dernière mise à jour le 03.05.11

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