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Fabio Pusterla

  Fabio Pusterla
 

Fabio Pusterla est une des voix les plus remarquables et remarquées de la poésie suisse contemporaine. quelques semaines avant la parution de son prochain recueil, annoncé pour le printemps 2004, nous sommes heureux de vous proposer trois poèmes qui y figureront, dans l'original italien et dans la traduction de Mathilde Vischer. Retrouvez également
Fabio Pusterla sur nos pages "Auteurs".

 

  Inédit
 

Trois poèmes inédits

Le prime fragole

Strisci nell'erba bianca di margherite.
Sei vestito di rosso, hai una cuffia rossa in testa,
e nella mano destra un pelacarote che infilzi
nel terreno ancora molle di marzo, sempre avanzando
lentamente nel folto del prato. Sdraiato
sull'erba, con le margherite negli occhi. Sto scalando
l'Everest, mi dici. E anche le guance sono rosse di gioia.

Strisciavi ieri nel tuo Everest di margherite
e io ti guardo oggi nel ricordo e intanto ascolto la radio
in attesa di notizie terribili, e tu continui a strisciare felice
e la radio dice della bambina schiacciata da un panzer a Gaza
tu prepari una pozione con piume d'uccello per imparare a volare
io ti preparo le prime fragole rosse dell'anno e mi chiedo se gli occhi
dell'uomo che guidava il panzer avranno capito.

***

 

Les premières fraises

Tu rampes dans l'herbe blanche de marguerites.
Tu es vêtu de rouge, tu portes un bonnet rouge,
et de la main droite tu plantes un pèle-légumes
dans la terre de mars encore meuble.
Étendu sur l'herbe, des marguerites dans les yeux. J'escalade
l'Everest, me dis-tu. Et même tes joues sont rouges de joie.

Hier tu rampais dans ton Everest de marguerites
je te vois aujourd'hui dans un souvenir et j'écoute la radio
dans l'attente de nouvelles terribles, tu continues à ramper heureux
et la radio parle d'une enfant écrasée par un tank à Gaza
tu prépares une potion avec des plumes d'oiseau pour apprendre à voler
moi je te prépare les premières fraises rouges de l'année et je me demande si les yeux
de l'homme qui conduisait le tank ont compris.

***

 

Sera dei morti a Tübingen

Su ponti, attraversando
acque lentissime, anse
nell'incendio d'ottobre. Un salice
s'incurva, e questo senso
di vastità e d'angustia, un desiderio
fluviale, Lombardia o Svevia, la pianura
che chiama e annichilisce, travolta. Scorre al mare
distante ogni cosa, all'orizzonte
di nuvole veloci e trasmutanti. Ma sui ponti:
come pensare ai carri neri, al vortice
che li percorse sconcio? Eppure passarono di lì,
diretti a Judengasse. Nella torre
Scardanelli digrigna i denti, suona il piano, balbetta.

Lunghe automobili sfilano silenziose nel paesaggio,
l'ubriaco si stappa una birretta.

La dolcezza di un fiume come questo,
e il mistero dei platani; ma altrove
si squassa la terra, un paese
piange bambini morti. Che Begeisterung,
poeta, che superni? Come acqua
von Klippe zur Klippe geworfen: come acqua
che cade.

Poi esplode il palloncino.
Verde, portava scritto: Hölderlin. Non sale
lieve a nessuna stella in nessun cielo. Scoppia in basso,
rimane fra di noi, come una smorfia
di Halloween.

***

 

Soir des morts à Tübingen

Sur les ponts, traversant
des eaux infiniment lentes, méandres
dans l'incendie d'octobre. Un saule
se courbe, et de même ce sens
de vastitude et d'étroitesse, un désir
fluvial, la Lombardie et la Souabe, la plaine
qui appelle et pétrifie, emportée. Toutes choses
s'écoulent vers la mer lointaine, à l'horizon
des nuages rapides et changeants. Mais sur les ponts :
comment penser aux chars noirs, à l'infâme tourbillon
qui les a parcourus ? Pourtant ils passèrent là,
en route vers la Judengasse. Dans la tour
Scardanelli grince des dents, joue du piano, bégaie.

De longues voitures défilent silencieusement dans le paysage,
l'ivrogne ouvre une canette.

La douceur d'un fleuve comme celui-là,
et le mystère des platanes ; ailleurs pourtant
la terre s'ébranle avec violence, un pays
pleure des enfants morts. Quelle Begeisterung
espérer, poète, quels êtres célestes ? Comme de l'eau
von Klippe zur Klippe geworfen : comme de l'eau
qui tombe.

Et le ballon explose.
Vert, et l'inscription : Hölderlin. Léger, il ne monte
vers aucune étoile dans aucun ciel. En bas il éclate,
reste parmi nous, comme une grimace
d'Halloween.

***

 

Dopo Trent'anni

Ti seguo da trent'anni mentre vaghi cercando
non sai nemmeno cosa. Sono la luce
di un'esplosione lontana, il tuo sole di ghiaccio,
due occhi spalancati sulla magrezza di un male
che apriva certe porte, o prospettive di fuga.
Diversamente: era questo l'indizio,
la rifrazione del mio raggio sulla superficie del mondo.
Voleva dire distruggere,
frugare tra gli scarti. Spossessarsi.
Voleva dire camminare con gli occhi bendati.

Ti seguo da trent'anni alta come un rapace
con il mio becco duro di nibbio, la mia vista
che sa distinguere un topolino fra le rocce
o la tua traccia barcollante sui sentieri.
Ero nei sogni che non potevi ricordare.
Ero un grido prima dell'alba, una porta chiusa,
uno zigomo che affiora sulla pelle. Il volto folle di un uomo
impiastricciato di sugo, pulsante. Ero il bagliore
di una vallata percorsa da un fiume, luccicante di fuochi.
Ero un tumore e una stella.

E non potevi guardarmi: accecavo.
Adesso, guarda. Guarda il tronco
contorto di questi ulivi che si annodano
al terreno sassoso. Guarda il mare e la costa
incisa, e il vento scuotere
ogni ramo. È la mia ala,
non medica, ti porta, ti sostiene.
Fa quasi giorno, e un'ombra, la tua ombra
striscia tra i rampicanti e le prime formiche. Solo un'ombra,
il poco che ti resta. La tua luce a rovescio.

Sono qui, per un istante posata: a rincuorarti
e a toglierti ogni speranza. Non c'è pace
nel corso delle cose e dei corpi, ma una pace
diversa brilla ovunque e ci chiama. Se vibra
sopra l'acqua o sull'erba il soffio lieve
del tempo: ecco steli dispersi, sradicati, ed ecco il turbine
leggero delle foglie che s'infiammano
e svaniscono. Guardami pure, adesso, non abbaglio.
Abbandonarsi e resistere, due fasi
identiche del sangue e del respiro, dell'inchiostro
e del foglio, come sai. Cammina, scrivi.

Fabio Pusterla

Trente ans après

Je te suis depuis trente ans tandis que tu erres en cherchant
tu ne sais même pas quoi. Je suis la lumière
d'une explosion lointaine, ton soleil de glace,
deux yeux écarquillés sur la maigreur d'un mal
qui ouvrait certaines portes, ou perspectives de fuite.
Différemment : c'était cela l'indice,
la réfraction de mon rayon sur la superficie du monde.
Ça signifiait détruire,
fouiller parmi les déchets. Se déposséder.
Ça signifiait marcher avec les yeux bandés.

Je te suis depuis trente ans, haute comme un rapace
avec mon bec dur de milan, ma vue
qui peut saisir une souris entre les roches
ou ta trace chancelante sur les sentiers.
J'étais dans des rêves dont tu ne pouvais te souvenir.
J'étais un cri avant l'aube, une porte fermée,
une pommette saillant sous la peau. Le visage fou d'un homme
barbouillé de sauce, palpitant. J'étais la lueur
d'une vallée parcourue par un fleuve, brillante de feux.
J'étais une tumeur et une étoile.

Et tu ne pouvais me regarder : j'aveuglais.
Maintenant, regarde. Regarde le tronc
tordu de ces oliviers qui se nouent
au sol pierreux. Regarde la mer et la côte
entaillée, regarde le vent secouer
chaque branche. C'est mon aile,
elle ne soigne pas, elle te porte, te soutient.
Il fait presque jour, et une ombre, ton ombre
glisse parmi les ronces et les premières fourmis. Rien qu'une ombre,
le peu qui te reste. Ta lumière à contresens.

Je suis là, posée un instant : pour te rendre courage
et t'enlever tout espoir. Pas de paix
dans le cours des choses et des corps, mais une paix
différente brille partout et nous appelle. Si le souffle
du temps tremble sur l'eau ou sur l'herbe :
voici des brins épars, déracinés, et voici
le tourbillon léger des feuilles qui s'enflamment
et s'évanouissent. Tu peux me regarder, maintenant, je n'éblouis pas.
S'abandonner et résister, deux mêmes moments
du sang et de la respiration, de l'encre
et de la feuille, comme tu sais. Marche, écris.

Traduction: Mathilde Vischer

 

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© Le Culturactif Suisse

Page créée le 02.03.04
Dernière mise à jour le 02.03.04

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