retour à la rubrique
retour page d'accueil


Grisélidis Real

Version imprimable

 

 

Tout juste un an après la mort de Grisélidis Réal, survenue à Genève le 31 mai 2005, nous sommes particulièrement heureux de donner à lire des poèmes inédits, en même temps que nous présentons son dernier livre, Les Sphinx. Nos très vifs remerciments vont aux héritiers de l'auteur pour nous avoir confié ces textes.

On trouvera ici une série de cinq poèmes, De Profundis. Un autre poème sur la mort, mais indépendant de cette série, A l'Absent, est reproduit ici et commenté par une lettre de Grisélidis Réal à son fils aîné Igor Schimek.

Le dernier poème, Mort d'une putain, a été lu aux obsèques de Grisélidis Réal. Il n'est pas inédit et figure au terme du volume Les Sphinx. Nous avons toutefois souhaité l'intégrer ici pour sa force et ses liens avec De Profundis et A l'Absent. Nous remercions les Editons Verticales de nous en avoir donné l'autorisation.

Tous ces textes sont disponibles ici en version fac-simile: des versions dactylographiées pour De Profundis et A l'Absent, manuscrites pour la lettre à Igor Schimek et Mort d'une putain.

 

  Inédit
 

De Profundis

I

Au fond
Tout au fond du souvenir
Pourrit ta carcasse
Amour déchiqueté
Par les chiens de l'ombre
On ne triche pas
Avec le désespoir
Il ronge le coeur
Plus lentement
Qu'un cancer
Tout au fond de l'enfer
De solitude
Nue
Sous le fer des regards


***

 

 

Version fac simile

 

 

 

II

Je me jette à la nuit
Comme on jette un cadavre
Au fond d'un puits
Défigurée
Par tant de cris
Qu'on ne me reconnaîtra plus
Ma chair sera ombre
Parmi les pierres
La terre une caresse
Immense
Sur mon sexe ouvert
Aux lèvres de la nuit


***

 

III

Tant de morsures
M'ont torturée
Tant de bouches
Ont craché sur moi
Je ne sais plus
Qui je suis
Moi
Ou vous
Bêtes affamées
Repues
Vautrées
Je suis nue
Sans peau et sans os
Enveloppée de vos désirs
Accrochés à mon corps
Vous buvez tout mon sang
Jusqu'à l'aube


***

 

IV

Homme de mon amour
Toi qui m'a transpercée
De tes paroles
Acérées
Et violée de tes yeux de silex
Toi aussi un jour
Tu seras dépecé
Par le vautour de l'ombre
Ta gorge sera trouée
Ta poitrine écrasée
Chacune de tes viscères
Te sera arrachée
Ta dernière heure
S'abattra sur ta bouche
T'étouffant de ses plumes
La MORT
Ce vieil oiseau de proie
Fondra sur toi
Pour se repaître de ton souffle
Et crever tes yeux verts


***

 

V

J'ai tant aimé ton corps
Qu'il sera comme un fleuve
Bruissant dans mes artères
J'ai tant aimé la source
Envoûtée de caresses
Brûlée de mes baisers
Faisant jaillir l'eau vive
De ton sexe
Dans ma bouche amoureuse
Que je n'aurai plus soif
D'un autre océan
Que ton sang
Et faim d'une autre chair
Que la tienne
Je ne serai consumée
Par d'autre feu que tes mains
Qui m'ont laissée en cendre
Dans le désert
Des nuits inhabitées


***

 

Eloge funèbre

A l'Absent

Tu choisis d'offrir la mort
Un visage emmuré, précieux
Le visage d'un fou et d'un dieu
Rejoignant dans l'inéluctable
La part occulte de ton corps
Un masque dur dépossédé
De l'usure des apparences
Les mains refermées sur l'absence
De caresses, de coups oubliés
De gestes perdus innombrables
Scellés dans un dernier silence

Le visage de l'homme aimé
Couleur de cendre et de poussière
Repose entre deux roses, rouges
Comme le sang des épousées
D'autrefois sur leur pauvre couche
Où l'amour les tient éveillées

Toi qui fus notre violence
Nos folies, notre différence
Nos enfants, nos jeunes années
Notre aventure, nos blessures
Homme multiple secrètement
Disparu sans laisser de traces
Autres que nos larmes effacées

Reviens à ton premier parcours
A ton enfance dépouillée
A ton sommeil désaltéré
De tant d'alcools qui t'ont brûlé
Retourne à la terre première
Ensemencée par les gravures
De tes rêves inachevés

Genève, le 23 février 2003


***

 

Genève, le 25 février 2003

Cher Igor,

Voici mon dernier poème, écrit après avoir revu Sylvain, vision ô combien terrible et significative...
Tu peux constater que ce texte est d'une sobriété absolue. Il parle aussi, à mots couverts, de N*** et de moi, en référence cachée.
La boucle est bouclées pour moi, j'ai retrouvé tout ce que j'ai vécu et perdu, c'est comme une délivrance. No more. (c'est à dire : NEVER more).
Boris et moi irons probablement au vernissage samedi.
Boris va m'aider, demain, à aller chercher chez Ykea des bibliothèques et à les monter, je vais ENFIN commencer à mettre de l'ordre ici ! Quel bonheur !
Mille tendresses, baisers, à toi et à Aline

Grisélidis

Version fac simile

 

 

Mort d'une Putain

A Gabrielle Partenza
A toutes,
A nous autres

Enterrez-moi nue
Comme je suis venue
Au monde hors du ventre
De ma mère inconnue

Enterrez-moi droite
Sans argent sans vêtements
Sans bijoux sans fioritures
Sans fard sans ornement
Sans voile sans bague sans rien
Sans collier ni boucles d'or fin
Sans rouge à lèvres ni noir aux yeux

De mon regard fermé
Je veux voir le monde décroître
Les étoiles le soleil tomber
La nuit se répandre à sa source
Et m'ensevelir dans sa bouche
Muette la dernière couche
Où m'étendre enfin solitaire
Comme un diamant gorgé de terre

Me reposer dormir enfin
Dormir dormir dormir dormir
Sans plus jamais penser à rien
Mourir mourir mourir mourir
Pour te rejoindre enfin ma mère

Et retrouver dans ton sourire
L'innocence qui m'a manqué
Toute une vie à te chercher
Te trouver pour pouvoir te perdre
Et te dire que je t'aimais

Ecrit la nuit. Genève, 17 avril 2005. Clinique Le Cesco

Grisélidis Real

 

Toute reproduction même partielle interdite
© Le Culturactif Suisse

Page créée le 06.06.06
Dernière mise à jour le 08.06.06

© "Le Culturactif Suisse" - "Le Service de Presse Suisse"