I
Nuit sans lune
Vergers et raidillons déserts
Bleus de givre au long des lisières
Je partirai par une nuit semblable
Je partirai par la porte de derrière
N'est pas né qui brisera mon élan
Quel nom a cette force qui me soulève?
Et dans l'ombre épaisse qui m'enveloppe
Qui un jour y glissera sa lumière?
***
II
Au temps de l'auto-stop et des petits boulots
Parti bien avant l'aube avec cent sous en poche
Il arrivait que je m'endorme à Arles ou Barcelone
Vagabond de la terre cherchant la main du ciel
Gouverné par la seule boussole de l'instinct
J'allais à cœur ouvert vers mes métamorphoses
Un soir ayant jeté l'ancre au bord de l'océan
Couché sur le sable je dînais d'une orange
Quand d'une vague s'échouant à mes pieds
Tel un oiseau blanc s'échappa mon premier vrai poème
***
III
Si universel que soit notre génie horloger
Les Chinois s'en gaussent qui dès leur naissance
Apprennent à lire l'heure dans l'œil des chats
S'il faut l'en croire Apollinaire se plaisait
A voir déambuler les siens parmi ses manuscrits
Tandis que les nôtres procréaient n'importe où
Des portées de cinq à huit et cinq à huit c'est trop
Aussi pour nous épargner l'horreur de leur trépas
Maman appelait-elle son frère à la rescousse
Qui sans frapper franchissait bientôt notre seuil
Sanglé dans son volumineux tablier de boucher
Et quand il retroussait ses manches ventre-saint-gris!
Quelles débandades dans tous les corridors!
***
IV
Comme les étoiles de la Pléiade longtemps
Nous fûmes sept à la terrasse du Beau-Rivage
A attendre l'éclosion de notre première œuvre
Sept comme des apatrides dans ce pays d'horloge
Où la poésie est si rare que même nos érudits
Tendent à la confondre avec une fleur exotique
Sept à regarder les vagues qui emportaient nos rêves
Tandis qu'au Beau-Rivage de cet après-midi
Je suis seul à m'inonder de ces réminiscences
***
V
Aux alentours de la huitantaine la plupart
S'en vont incognito pourris par le mal du siècle
Comme le précise un modeste encadré du journal
Moi bien qu'à l'abordage de cet inéluctable
Il m'arrive encore descendu de ma nuithonie
De muser dans les villes de mes folles amours
Dans le silence de leurs ruelles moyenâgeuses
Très lentement j'avance tandis que sous mes pas
Trop de voix disparues mystérieusement renaissent
Aux terrasses des rives du lac où ensuite
S'effeuillent mes après-midi pour convives
Je n'ai que des souvenirs qui un temps me distraient
Avant de les flanquer dans les remous des vagues
Et tant pis pour les visages qui remontent des flots
Puisqu'un seul a su laver mon ciel de tout regret.
Hughes Richard
Retrouvez une note biographique et les publications de Hughes Richard sur nos pages consacrées aux auteurs de Suisse.
Page créée le 25.11.11
Dernière mise à jour le 25.11.11
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