L'Enfant dans la polenta (Extrait)
Traduit de l'allemand par Marion Graf
Titre original: Warum das Kind in Polenta
kocht. (Livre du mois de novembre 2002 du Culturactif Suisse.
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Je me représente le ciel.
Il est tellement grand que je mendors aussitôt
pour me rassurer.
Au réveil, je sais que Dieu est un peu plus petit que
le ciel. Sinon, chaque fois que nous prions, nous nous endormirions
de terreur.
Dieu connaît-il les langues étrangères?
Est-ce qu'il comprend les étrangers?
Ou bien y a-t-il des anges dans de petites cabines de verre,
qui font des traductions?
ET PUIS, EST-CE QU'IL Y A VRAIMENT UN
CIRQUE, AU CIEL?
Maman dit que oui.
Papa rigole, il a fait de mauvaises expériences avec
Dieu.
D'après lui, si Dieu était Dieu, il descendrait
du ciel pour nous aider.
Mais pourquoi devrait-il descendre, puisque de toute façon,
c'est nous qui monterons vers lui, plus tard.
Quoi qu'il en soit, les hommes croient moins en Dieu que les
femmes et les enfants, c'est une question de concurrence.
Mon père n'admet pas que Dieu soit aussi mon père.
Ici, tous les pays sont à létranger.
Le cirque est toujours à létranger. Mais
dans la caravane, c'est chez nous. J'ouvre la porte le moins
souvent possible pour que chez nous ne sévapore
pas.
Partout, dans tous les pays, les aubergines grillées
de ma mère sentent comme à la maison. Ma mère
dit qu'à létranger, nous pouvons bien
mieux jouir de notre patrie, parce que toute la nourriture
du pays est vendue à létranger.
SI ON ETAIT AU PAYS, EST-CE QUE TOUT
AURAIT LA MEME ODEUR QU'A LETRANGER?
Je ne connais mon pays que par ses odeurs.
Il a l'odeur de la nourriture que prépare ma mère.
Mon père dit que partout, on se rappelle lodeur
de son pays, mais quon la reconnaît seulement
quand on est au loin.
QUELLE EST L'ODEUR DE DIEU?
La cuisine de ma mère a la même
odeur partout dans le monde, mais elle est meilleure à
létranger à cause du mal du pays.
Pour le reste, nous vivons ici comme des rupins, après
le repas nous pouvons jeter les os de la soupe, en toute bonne
conscience, tandis quau pays, il faut les garder pour
la soupe du lendemain.
Au pays, ma cousine Anika doit faire la queue toute la nuit
devant la boulangerie, les gens qui attendent sont tellement
serrés quils peuvent dormir debout.
CHEZ NOUS, FAIRE LA QUEUE EST UN METIER.
Oncle Neagu et ses fils font la queue
à tour de rôle, jour et nuit, et quand ils arrivent
devant la porte du magasin, ils vendent leur place à
quelquun qui peut s'offrir de ne pas attendre. Puis
ils vont se remettre au bout de la queue.
A létranger, on peut se passer d'attendre.
Ici, pour faire les courses, le temps n'est pas indispensable,
largent suffit.
Au marché, on nattend presque pas son tour, au
contraire, on est traité comme quelqu'un d'important,
les marchands disent même merci quand on achète
quelque chose.
Ici les gens ont de bonnes dents pour
la bonne raison quils peuvent toujours acheter de la
viande fraîche.
Au pays, les enfants déjà ont les dents gâtées,
parce que le corps pompe toutes les vitamines.
Lorsque nous débarquons dans une nouvelle ville, ma
mère et moi allons immédiatement au marché
pour acheter des oeufs et beaucoup de viande fraîche.
A l'étal du poissonnier, je regarde les poissons vivants
mais ma mère nen achète presque jamais
parce que ça me dégoûte. Il lui arrive,
rarement, den prendre un pour elle, et elle en fait
de la soupe. Pendant le repas, jai toujours peur du
moment où elle saisit la tête du poisson entre
ses doigts pour la sucer. Je regarde toujours, même
si ça me soulève le cur.
CE QUE JE PREFERE
La polenta avec du sel et du beurre.
La poule au pot.
La barbe à papa.
Le poulet rôti à lail
Le beurre.
Le pain noir avec des tomates, des oignons et de lhuile
de tournesol.
Les boulettes de viande.
Les crêpes à la confiture.
La viande de porc en gelée à lail.
Le poulet aux tomates avec de la purée de pommes de
terre et des oignons sautés.
Le chocolat blanc sans noix.
Le riz au lait avec des raisins secs et de la cannelle.
La salade daubergines avec de la mayonnaise.
Le saindoux avec des lardons.
Les poivrons farcis avec de la crème aigre et de la
polenta.
Le salami hongrois.
Les pommes en cage.
La viande de porc avec de la choucroute.
Le boudin.
Le gâteau des morts à la semoule décoré
de smarties.
Le raisin avec du pain blanc.
Le concombre au sel.
La saucisse à lail.
La polenta chaude avec du lait froid.
Les feuilles de vigne farcies à la viande.
Les sucettes.
La goulache avec des oignons crus.
La polenta avec du fromage de chèvre.
Le pain blanc avec du beurre et du sucre.
Les amandes grillées.
Les chewing-gum surprises.
Loignon cru, je laime surtout
quand je peux lécraser avec le poing. Ça
fait gicler le coeur.
Je naime pas les oranges, même si dans mon pays,
il ny en a quà Noël.
Mon père aime surtout les oeufs
brouillés aux tomates.
LETRANGER NE NOUS A PAS FAIT CHANGER.
DANS TOUS LES PAYS NOUS MANGEONS AVEC LA BOUCHE.
Ma mère se lève à
l'aube pour faire la cuisine, elle plume la poule et la tient
au-dessus de la flamme du réchaud à gaz. Ma
mère préfère acheter les poules vivantes
parce quelles sont plus fraîches.
A lhôtel, elle égorge la poule dans la
baignoire.
QUAND ON LES TUE, LES POULES CRIENT DANS
UNE LANGUE INTERNATIONALE, ON LES COMPREND PARTOUT.
Egorger à lhôtel est
interdit, alors nous allumons la radio, nous ouvrons la fenêtre
et nous faisons du tapage. La poule, je refuse de la voir
avant, sinon je veux qu'elle reste en vie. Ce qu'on ne met
pas dans la soupe, on le jette aux cabinets. La nuit jai
peur des toilettes, je fais pipi dans le lavabo, là
où les poules mortes ne remontent pas.
Nous habitons toujours ailleurs.
Parfois, la caravane est si minuscule que nous ne pouvons
presque pas nous croiser à l'intérieur.
Le cirque nous fournit alors une grande caravane avec des
cabinets.
Ou bien les chambres d'hôtel sont comme des trous humides
grouillant de vermine.
Mais parfois, nous vivons dans des hôtels de luxe avec
télévision et frigo dans la chambre.
Une fois, nous avons habité une maison où des
lézards glissaient, furtifs, le long des murs. Nous
avions tiré les lits au milieu du séjour pour
qu'ils ne se faufilent pas sous les couvertures.
Et un jour que ma mère était au portail, un
serpent lui a rampé sur le pied.
NOUS NE DEVONS NOUS ATTACHER A RIEN.
J'ai l'habitude de m'installer partout
de manière à me sentir bien.
Pour cela, je n'ai qu'à poser mon foulard bleu sur
une chaise.
C'est la mer.
A côté de mon lit, j'ai toujours la mer.
Je n'ai qu'à descendre du lit pour nager.
Dans ma mer à moi, pas besoin de savoir nager pour
pouvoir nager.
La nuit, je recouvre la mer avec la robe de chambre à
fleurs de ma mère, pour que les requins ne me happent
pas quand je vais aux toilettes.
Un jour, nous aurons une grande maison
luxueuse avec une piscine dans le séjour et Sophia
Loren aura ses entrées chez nous.
J'aimerais avoir une chambre toute pleine de placards dans
lesquels je pourrais ranger mes vêtements et toutes
mes affaires.
Mon père collectionne de vraies peintures à
l'huile avec des chevaux et ma mère, de la vaisselle
en porcelaine très chère que nous n'utilisons
jamais parce qu'elle s'use et se casse lorsqu'on l'emballe
et la déballe.
Ce que nous possédons est emballé dans une grande
malle avec beaucoup de papier journal.
DANS TOUS LES PAYS, NOUS COLLECTIONNONS
DES BELLES CHOSES POUR NOTRE GRANDE MAISON.
Ma tante collectionne les peluches que
ses soupirants ont gagnées à la kermesse.
Aglaja Veteranyi
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Page créée le 28.11.02
Dernière mise à jour le
28.11.02
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