Small is beautiful
Par Catherine Dubuis
Le chaudron associatif Burnat-Provins,
je suis tombée dedans par deux fois, et les deux fois
pour ainsi dire par défaut.
La première fois, c'est, dans
le courant de l'année 1988, un coup de téléphone
de Doris Jakubec, directrice du Centre de Recherches sur les
Lettres Romandes, qui me prend au dépourvu : sollicitée
par une dame qui a l'intention de créer une Association
des Amis de Marguerite Burnat-Provins, elle me repasse le
bébé, sous le fallacieux prétexte que
j'ai écrit, voilà déjà quelques
années, un article sur Le
Livre pour toi. Prise au piège de l'amour-propre,
je ne dis pas non, et me voici engagée dans le comité,
où j'assume les fonctions de responsable de la rédaction
des Cahiers annuels, que l'Association se fera un devoir et
une joie d'éditer dorénavant.
Sous la conduite d'une jeune femme
solaire, Marguerite (la bien nommée !) Wuthrich, l'Association
prend un essor réjouissant, comptant même dans
son comité un des Messieurs de la Galerie Vallotton
(excusez du peu !). L'entregent de la présidente nous
permet de mettre sur pied de modestes manifestations, mais
toujours bien fréquentées par la presse et certaines
personnalités locales. Le nombre d'adhérents
atteint rapidement les huitante unités, pour se stabiliser
ensuite. Dès le début des années nonante,
un grand projet mûrit au sein du comité - organiser
une exposition itinérante - qui verra le jour en 1994,
avec escales au musée du Ballenberg, à Sion,
à Vevey et à Grasse. Mais une ombre s'étend
sur notre groupe d'amis : Marguerite Wuthrich est malade,
très malade. Déjà, elle ne pourra pas
nous accompagner à Grasse, et mourra le 19 novembre
1996.
C'est là que je suis, par défaut,
parachutée une deuxième fois dans le chaudron,
mais à la place de la présidente, que personne
ne s'est risqué à prendre, et pour cause ! Je
ferai donc de mon mieux, mais je n'ai ni les relations, ni
le rayonnement, ni la douce obstination de Marguerite. Mes
rapports avec la presse seront médiocres, les membres
vont décroître (nous en sommes à 60 actuellement),
et les personnalités se dissolvent dans la nature...
Il n'en reste pas moins qu'à
nous trois (la secrétaire, Francine Gehri, la trésorière,
Romaine de Kalbermatten, et moi-même,) suivies à
distance par nos membres un peu trop souvent absents à
notre gré, nous avons réussi à rééditer
plusieurs textes de notre auteure et à mettre sur pied,
grâce à la collaboration de la Fondation Neumann
et de la Collection de l'Art Brut, la double exposition que
l'on peut encore voir jusqu'au 14 septembre à Gingins
et à Lausanne. Il n'est donc pas besoin d'être
nombreux pour «faire des choses». Il faut seulement
y croire. Mais ce sont là des banalités. Qu'on
me permette un souvenir, que je partage avec Francine, ma
complice et chère amie. Nous avions, après bien
des réponses négatives, obtenu l'accord d'un
éditeur bordelais pour rééditer les Poèmes
troubles. La négociation nous a paru plus facile
si nous allions à Bordeaux et rencontrions ce kamikaze.
C'est pourquoi nous avons décidé de prendre
l'avion. Nous savions que l'Association n'avait pas le premier
franc pour nous défrayer, mais nous avons fait nos
comptes et nous sommes parties quand même. Dans l'avion,
nous nous sommes regardées en riant de notre douce
folie, et j'ai dit à Francine : «Eh ! bien voilà,
on se la paie, notre danseuse !» Le livre s'est fait,
il est magnifique et nous n'avons jamais regretté notre
escapade à Bordeaux.
Ceci pour dire que dans ce domaine,
il faut savoir faire des choses avec rien et beaucoup de bénévolat
! Mais cela, tout membre d'une société sans
but lucratif le sait. Rendons hommage cependant à certaines
institutions qui ont accepté de nous aider dans nos
entreprises, à fonds perdus, cela va sans dire.
Comment envisager la suite ? Le trio
s'use un peu, et peine à repourvoir les postes-clé
d'un comité qui s'est quand même rajeuni depuis
quelques mois. Mais les jeunes sont absorbés par leur
carrière et les vieux sont fatigués. Restent
les quadra-quinquas, ceux qui n'auraient plus grand'chose
à prouver dans leur profession, mais auraient gardé
le goût du risque... Et ceux-là, jusqu'à
maintenant, nous avons eu de la peine à en dénicher
ne serait-ce même qu'un ou qu'une. Une exception notoire
à la règle énoncée ci-dessus :
Isabelle Cardis Isely, jeune présidente de l'Association
des Editions Plaisir de Lire et membre active de notre comité.
C'est en particulier grâce à elle que nous avons
pu rééditer plusieurs recueils de Marguerite
Burnat-Provins, devenus introuvables. Mention spéciale
à Sylvie Debons, elle aussi active à mettre
notre Association «en ligne» comme on dit aujourd'hui.
Merci à elle !
En bref, nous ne recherchons ni la
gloire, ni la foule, ni les honneurs : «Small is beautiful».
Nous aimerions simplement (mais est-ce simple ?) que cela
continue encore un peu. Mais pas à n'importe quel prix
! Les associations meurent aussi, et c'est très bien
ainsi.
Catherine Seylaz-Dubuis
Présidente de l'Association
des Amis de Marguerite Burnat-Provins
|