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A Lenzburg, dans le
canton d'Argovie, une nouvelle " Literaturhaus
" a ouvert ses portes en avril 2004. Le terme,
que l'on peut traduire en français par
" maison de la littérature ",
décrit un type d'institution inconnu en
Suisse romande, qui s'est développé
ces dernières années en Suisse alémanique.
Andreas Neeser est le premier directeur de ce
nouveau centre. Né en 1964, Andreas Neeser
à étudié la langue et la
littérature allemandes et anglaises ainsi
que la critique littéraire à Zurich.
Il a publié plusieurs recueils de poèmes,
des récits, un roman, et écrit également
pour le théâtre. Depuis septembre
2003 il occupe son nouveau poste. Nous l'avons
interviewé par la voie du mail.
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On peut trouver le programme complet
et de nombreuses informations sur cette intution sous www.muellerhaus.ch.
Interview en français
Andreas Neeser, vous dirigez une
nouvelle " Literaturhaus ", une maison de la littérature.
Quel est votre principal objectif ?
Le projet argovien de Maison de la
littérature à Lenzburg, "Müllerhaus",
est conçu dans un premier temps pour trois ans. Ensuite
on tirera un premier bilan. Il s'agit donc pour moi de faire
vivre une Maison de la littérature sur le Plateau suisse,
à côté de Bâle et de Zurich. Ce
ne sera pas tout simple, mais il est dans notre pouvoir de
prouver que le canton d'Argovie, avec sa longue et importante
tradition littéraire, a besoin d'un lieu pour la parole
écrite, un carrefour littéraire aussi bien pour
les écrivaines et les écrivains que pour les
lecteurs et les lectrices.
Le Müllerhaus se présente
non seulement comme une maison de la littérature, mais
aussi comme une maison de la langue (" Literaturhaus
" et " Sprachhaus "). Comment faut-il comprendre
au juste cette double appellation ?
La Müllerhaus permet d'une part
la rencontre entre écrivains et lecteurs sous forme
de lectures d'auteurs ou de projets littéraires, même
hors Maison de la littérature; d'autre part le travail
sur et avec la langue est un élément important
du projet. C'est ainsi que le "Textstatt Aargau",
un atelier d'écriture de trois mois pour jeunes écrivains
talentueux, vise à encourager chez les jeunes la conscience
de la langue. Nous prévoyons en plus des manifestations
sur le thème de la langue. Tout cela avec la conviction
qu'une pratique précise et consciente de la langue
contribue à nous faire mieux comprendre un monde qui
devient toujours plus complexe (et à mieux nous comprendre
nous-mêmes).
Le Müllerhaus n'est pas la
seule maison de la littérature en Suisse. Plusieurs
institutions de ce type sont apparues en Suisse ces dernières
années : à Zurich en 1998, à Bâle
en 2000 (vous y avez fait allusion à l'instant). Le
Bodmanhaus à Gottlieben, sur les rives du Lac de Constance,
organise également des manifestations littéraires
depuis quelques années. En quoi ces expériences
ont-elles influé sur votre concept, et en quoi le Müllerhaus
se distingue-t-il de ses homologues ?
L'exiguïté géographique
du Plateau suisse est un problème. Je veux dire qu'une
Maison de la littérature argovienne n'a de chance que
si elle parvient à se faire une place avec son propre
profil, non pas en concurrençant Bâle ou Zurich,
mais en complétant leur offre. Je refuse donc délibérément
la culture de l'event littéraire; parachuter
un auteur, le laisser lire une heure et basta: ça ne
m'intéresse pas. Ça ne conviendrait d'ailleurs
pas au lieu. La Müllerhaus est une superbe maison bourgeoise
du XVIIIe siècle, classée monument historique,
avec une atmosphère incroyablement dense. C'est un
lieu qui se prête à des manifestations plutôt
feutrées. Il ne faut absolument pas sous-estimer la
signification du bâtiment, je la considère comme
un capital important, précisément dans le cas
de la "Müllerhaus". Le concept de la Maison
se distingue par sa diversité (transmission littéraire,
ateliers d'écriture, cercle de lecture, etc.), par
la "Junge Müllerhaus", un forum destiné
aux jeunes (une chose qui me paraît très importante),
et par un travail sur des thèmes donnés. A la
Müllerhaus, nous aborderons régulièrement
des thèmes qui seront chacun éclairés
sous divers angles et approfondis au cours de quatre ou cinq
rencontres.
Vous avez parlé de tradition
dans votre première réponse. On remarque dans
votre programme des classiques des siècles passés.
Un cycle de séances est ainsi consacré aux relations
amoureuses dans la littérature des XVIII et XIX siècles.
Qu'est-ce qui distingue votre offre d'un séminaire
donné à l'université ou à l'université
populaire - d'une part dans la manière de conduire
ces séances, et d'autre part en ce qui concerne le
public auxquel ces manifestations s'adressent ?
Commençons par le plus important:
le cercle de lecture de la Müllerhaus n'est ni un proséminaire
ni un cours d'université populaire! C'est un lieu d'échange
où des passionnés de lecture discutent ensemble
de livres - comme dans n'importe quel cercle de lecture. L'animateur
n'est pas un professeur, mais un connaisseur qui sert en même
temps de pilote. Si vous avez déjà participé
à un cercle de lecture, vous connaissez ça:
on discute deux heures durant de manière assez confuse
des aspects les plus divers d'un livre et à un moment
ou à un autre il faut quand même décider
encore du prochain livre et de la prochaine date, ce qui souvent
n'est pas tout simple. Mais, surtout, on repart en général
sans véritable plus-value littéraire. L'animateur
du cercle de lecture Müllerhaus choisit à l'avance
les livres pour les cinq soirées en veillant à
ce qu'il y ait un lien thématique entre eux. Celui
qui s'inscrit sait donc exactement dans quoi il s'embarque,
et on ne perd pas de temps précieux pour chercher une
date qui convienne à tout le monde, etc. De plus, l'animateur
connaît aussi parfaitement la matière, il offre
donc la garantie que les lecteurs qui ont des questions recevront
aussi des réponses. - Le premier thème choisi
est assurément quelque chose d'osé, mais le
cercle est déjà complet. Il y a sûrement
un besoin de relire, ou de lire enfin pour la première
fois, des classiques qu'on a peut-être déjà
lu il y a longtemps ou dont on a déjà entendu
parler. La composition du cercle est très hétérogène.
Et, pour revenir à votre question: des universitaires,
il n'y en a (heureusement) quasiment point! - Le cycle suivant
sera préparé par quelqu'un d'autre, et là,
on naviguera à coup sûr dans des eaux très
modernes.
La traduction est au centre de votre
premier cycle thématique d'événements,
jusqu'en juin 2004. Pourriez-vous commenter ce choix ?
Avec ces séries, il s'agit d'abord
d'approfondir un thème. C'est justement ce que je disais:
pas une culture des events, mais la durabilité,
si vous voulez. Et en ce qui concerne la série thématique
"Traduire" en particulier, je pense que le métier
de traducteur n'est de loin pas assez estimé et apprécié
dans le cirque littéraire. Pourtant, il n'y aurait
pas de "littérature universelle" sans traducteurs.
Il me tient donc à cur de focaliser pour une
fois l'attention sur ce métier silencieux. Et une chose
se dessine déjà: la série continuera
en 2005...
L'échange littéraire
et la littérature d'autres domaines linguistiques sera-t-elle
centrale dans vos programmations ? D'un point de vue national,
les littératures de la Suisse française, italienne,
romanche et des langues de l'immigration sont elles au centre
de vos préoccupations ?
A la Müllerhaus, la prise en compte
de la littérature et de la langue n'est pas du tout
limitée à l'allemand, comme le prouve le premier
programme. Mais même si nous poursuivons l'année
prochaine la série thématique "Traduire",
je ne pense pas que nous nous spécialisions autant
que vous le suggérez dans votre question. Notre force
doit rester dans la diversité de l'offre.
Lire et écrire sont le plus
souvent des activités solitaires. Elles tirent précisément
de cette concentration solitaire une part importante de sa
force et de sa profondeur. S'agissant de promouvoir la littérature,
toutefois, cet aspect non-spectaculaire rend les choses parfois
difficiles. Jochen Kelter, naguère directeur du Bodmann-Haus,
écrivait dans Feuxcroisés 5 (2003) que
la littérature est "menacée d'être
marginalisée et réduite à des events".
Qu'en pensez-vous?
Je vois les choses de manière
un peu moins pessimiste que Jochen Kelter. Bien sûr,
nous vivons dans un monde qui devient toujours plus rapide
et superficiel; dans la plupart des activités de loisirs
sportives, pour ne donner qu'un exemple, il s'agit d'avancer,
relativement sans efforts, à la surface. Le calme,
le silence, l'approfondissement ne sont pas vraiment dans
le vent. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas miser précisément
là-dessus - au contraire! Après tout, je suis
écrivain moi aussi, et c'est pourquoi je tiens beaucoup
à ce que la Müllerhaus refuse cette culture des
events - tout en recherchant néanmoins des possibilités
toujours nouvelles de transmission de la littérature.
Ce qui m'intéresse, dans mon propre travail littéraire
également, c'est d'en découdre réellement,
substantiellement, avec la littérature et avec la langue.
Et je suis sûr que je ne suis pas le seul à être
convaincu que cela reste un besoin aujourd'hui encore. Peut-être
plus que jamais.
Propos recueillis par Francesco Biamonte
Page créée le 03.05.04
Dernière mise à jour le 03.05.04
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