L'invité du mois
Version imprimable
"L'édition
romande et ses acteurs 1850-1920" |
|
Historien de l'édition,
François Vallotton vient de publier un
ouvrage remarqué intitulé "L'édition
romande et ses acteurs 1850-1920" (Slatkine-Mémoire
Editoriale, 2001).
Il présente ici
les grandes orientations de cette recherche qui
est aussi à l'origine de la Fondation Mémoire
Editoriale, entreprise patrimoniale inédite
qui a pour vocation la préservation et
la mise en valeur des archives éditoriales
en Suisse.
Présentation
de "L'édition romande et ses acteurs
1850- 1920"
|
|
|
|
A l'origine d'un
projet de recherche |
Pourquoi m'être intéressé
à l'histoire de l'édition?
Je pourrais bien sûr évoquer
ici mon attachement particulier pour le livre, en tant qu'objet
d'abord, mais aussi comme support de l'imaginaire. L'amour
de la littérature ensuite qui m'a fait préférer
des études de lettres à celles de droit que
me destinait mon entourage familial. La concrétisation
d'un projet de recherche est pourtant bien davantage le fruit
d'un long mûrissement. Mon intérêt pour
les enjeux sociologiques et politiques m'a conduit à
étudier plus spécialement l'histoire. Cette
formation m'aura entre autres convaincu que l'histoire des
textes et des idées ne pouvait faire l'économie
d'une analyse de leur contexte de production, mais aussi du
support même de toute communication. Celle-ci s'opère
en effet toujours via un médiateur et un média
qui lui donneront son sens, et partant orienteront sa réception.
Et puis, tout choix est aussi le produit
de l'aléatoire. La rencontre du Professeur Jean-Yves
Mollier, spécialiste français de l'histoire
du livre, a joué en ce sens un rôle décisif
dans ma décision de consacrer une thèse à
l'histoire de l'édition en Suisse romande. En référence
à ses travaux, mon analyse régionale pouvait
s'inscrire dans une réflexion plus large sur les spécificités
des différents systèmes éditoriaux nationaux
tout en interrogeant plus précisément l'attractivité
exercée par le modèle parisien sur le monde
du livre suisse francophone.
|
|
La naissance du
métier d'éditeur |
Une période charnière
pour plusieurs raisons
Obligé de me concentrer sur
une période chronologique relativement circonscrite,
j'ai choisi de privilégier la tranche chronologique
couvrant les débuts de la Société des
Libraires et Editeurs de Suisse romande (créée
en 1866) jusqu'aux années 1920, qui voient émerger
ceux que j'ai appelés les "quatre mousquetaires":
Albert Mermoud (fondateur de la Guilde du Livre), Henry-Louis
Mermod, Albert Skira et Hermann Hauser (La Baconnière).
Cette période peut être
considérée comme charnière pour plusieurs
raisons. Elle est d'abord caractérisée par ce
que l'on appelle la "deuxième révolution
de l'imprimé". Après la grande rupture
symbolisée par l'invention de la typographie par Gutenberg,
le livre entre au XIXe siècle dans l'ère de
la production industrielle de par toute une série d'inventions
ou de perfectionnements techniques, les progrès de
l'alphabétisation, ainsi que l'élargissement
du lectorat consécutif à l'urbanisation de la
société et à l'augmentation du pouvoir
d'achat moyen.
On peut y voir ensuite l'affirmation
de l'éditeur, au sens moderne du mot, en tant que personnage
qui se spécialisera de plus en plus dans le recrutement
de nouveaux talents, le choix des manuscrits et l'extension
de ses réseaux de diffusion. En Suisse, l'autonomisation
de cette activité n'est encore que très partielle
à la fin du XIXe siècle, les limites du marché
local ne permettant pas à cette époque une véritable
dissociation du métier d'éditeur des activités
connexes d'imprimeur ou de libraire. Toutefois, le seul fait
que de nombreux professionnels du livre vont désormais
se présenter en tant qu'éditeurs sur leur papier
à lettre ou leur carte de visite traduit l'affirmation
d'une nouvelle profession qui en Suisse romande gagnera une
légitimité avant tout symbolique, tout en s'accompagnant
dans certains cas d'une réussite sur
le plan économique également.
Enfin cette période est caractérisée
par l'émergence de nouvelles catégories de lecteurs.
La fin du XIXe siècle voit ainsi le développement
de collections populaires, du livre pour les jeunes gens et
les jeunes filles, des manuels scolaires, ainsi que des multiples
ouvrages à vocation pédagogique ou moralisante.
On peut y ajouter, dans d'autres domaines, l'essor du guide
touristique, des dictionnaires encyclopédiques, du
livre illustré et, en liaison avec la constitution
des différentes universités modernes, la croissance
de l'édition scientifique sous ses multiples formes.
|
|
Pour une histoire
globale de l'histoire du livre |
Le choix d'une approche spécifique
Restait à privilégier
une approche méthodologique spécifique. L'histoire
de l'édition, telle qu'elle s'est développée
sur un plan international ces dernières années
a été étudiée à partir
d'"entrées" très diverses: la monographie
d'entreprise, une approche thématique (l'édition
littéraire ou l'édition populaire par exemple),
l'étude des stratégies éditoriales des
principaux intéressés, une analyse financière
ou commerciale ou une approche culturelle plus large comme
l'histoire de l'alphabétisation, l'étude des
réseaux de circulation de l'imprimé, des recherches
sur la réception du livre et les pratiques de lecture,
etc. Au vu de cet éventail très riche et de
l'absence de travaux significatifs pour la période
considérée, il m'était impossible de
choisir l'une ou l'autre de ces options avant d'avoir dressé
un inventaire plus ou moins exhaustif des maisons existantes
et de leurs principales spécificités. Par ailleurs,
il me semblait particulièrement important de ne pas
me limiter à une démarche purement descriptive
mais bien de rendre compte, par la lorgnette de l'histoire
du livre, de certaines transformations structurelles de la
société du tournant du siècle. C'est
pourquoi, j'ai tenté de faire converger sur mon objet
historique une série d'approches à la fois diversifiées
et complémentaires.
- Dans un premier temps, une approche
de type bibliométrique devait me permettre de recenser
avec précision l'ensemble de la production éditoriale
au tournant du siècle, et repérer du même
coup les maisons actives durant la période de fabuleuse
expansion de la production livresque, soit les années
1880-1920. A partir de catalogues d'éditeurs et du
Bulletin bibliographique de la Bibliothèque nationale,
j'ai pu constitué une base de données de plus
de 20'000 titres la mieux à même de refléter
la réalité de la production imprimée
au cours de cette période. Seul ce travail préliminaire
indispensable pouvait me permettre de parer à l'inévitable
hétérogénéité du matériel
documentaire concernant tel ou tel éditeur ou telle
ou telle région, tout en évitant de me focaliser
sur les genres les plus valorisés de l'activité
éditoriale. Dans un deuxième temps, ce travail
d'inventaire m'a permis de proposer une typologie des principaux
éditeurs alors en activité: les éditeurs
protestants, les nouveaux pédagogues qui vont investir
le secteur juteux du scolaire, les maîtres typographes
et autres éditeurs illustrateurs, les éditeurs
militants, enfin les éditeurs littéraires.
- Une deuxième approche s'intéresse
plus spécifiquement aux différents profils
des éditeurs romands, en étudiant leur origine
sociale, leur formation, leur revenu et leur niveau de vie,
leur réseau de sociabilité également.
Les professionnels du livre de ce temps restent en effet
relativement secrets, n'ayant guère laissé
de souvenirs autobiographiques et les plaquettes d'entreprise
étant encore l'exception. Cette étude sociologique
devait d'abord permettre de mieux situer le poids de ces
nouveaux professionnels au sein des élites politiques
et culturelles de l'époque. Elle devait aussi me
permettre de préciser l'évolution des rapports
de force symboliques au sein du monde intellectuel, notamment
entre éditeurs, critiques et auteurs.
-
La troisième et dernière
approche de ce travail a trait pour sa part au développement
économique des entreprises. Elle entend mesurer
la rentabilité de l'activité éditoriale
au tournant du siècle d'une part, analyser les
politiques financières respectives des différents
éditeurs d'autre part. Cet aspect constitue sans
doute l'une des options les plus délicates de ce
travail, la pénurie d'archives commerciales et
administratives m'ayant en effet empêché
de mener mes investigations aussi loin que je l'aurais
souhaité initialement. Cependant, la présentation
de certains éléments chiffrés permet
de nuancer le discours assez misérabiliste qui
reste attaché à cette profession, tout en
mettant en évidence les secteurs du marché
les plus rentables.
|
|
La Fondation Mémoire
Editoriale |
Un constat: une grande déperdition
d'archives éditoriales
L'immeuble de la
librairie Payot à la rue du Bourg, architecte:
Laverrière (Bibliothèque Cantonale et
Universitaire, Lausanne)
|
Un tel programme de recherche
posait évidemment la question des sources
disponibles. Si j'ai eu la chance de pouvoir entamer
ma recherche en travaillant sur les archives de
la maison neuchâteloise Attinger, j'ai pu
rapidement mesurer la difficulté à
trouver des fonds éditoriaux complémentaires.
Grâce au concours de Jean-Marc Payot, ancien
responsable de la librairie et des Editions Payot-Lausanne,
j'ai pu réunir un corpus documentaire relativement
consistant sur la plus importante maison de l'époque;
faute de matériel concernant ses concurrentes,
j'ai recouru à différentes sources
connexes: parmi les plus importantes, il faut
mentionner les archives notariales, les archives
fiscales, les archives de police, celles des différents
Départements romands de l'instruction publique,
de nombreuses correspondances d'écrivains
enfin.
|
|
Le constat de cette grande déperdition
d'archives éditoriales a débouché sur
la constitution de la Fondation Mémoire Editoriale,
initiée avec le concours de Jacques-Michel Pittier.
Réunissant aussi bien chercheurs, professionnels du
livre que spécialistes de la conservation, Mémoire
Editoriale a pour principale vocation la préservation
et la mise en valeur de la richesse éditoriale de cette
région. Depuis 1997, nous avons pu ainsi sauver de
nombreux fonds d'archives et initier une collection spécialement
consacrée à l'histoire du livre en Suisse romande.
Pour des informations supplémentaires
ou pour commander nos ouvrages, voir notre site
http://www.culturactif.ch/fondations/memoireeditoriale.htm
François Vallotton
|
|
François
Vallotton : Informations bio-bibliographiques |
Informations bio-bibliographiques
François Vallotton est né
le 10 avril 1964 à Lausanne. Licencié en Lettres
de l'Université de Lausanne en 1989, il sera par la
suite assistant au Fonds National de la Recherche Scientifique
suisse puis collaborateur à l'Institut Benjamin Constant
à Lausanne. Parallèlement, il entame son doctorat
qui l'amènera à travailler plusieurs mois à
Paris pour étoffer son corpus d'archives et confronter
ses expériences avec des chercheurs internationaux.
A travers cette étude,
c'est aussi de l'histoire tout court dont il s'agit...
Mais l'originalité qui donne son caractère
unique à cette aventure, c'est naturellement
la création et la réalisation de la Fondation
par la donation de l'Hermitage à la Ville de
Lausanne, et dont l'historique et les conditions sont
ici expliquées
L'Hermitage. Une famille
lausannoise et sa demeure, Lausanne, Bibliothèque
des Arts, 2001
|
Ayant obtenu son doctorat
en 2000, il partage aujourd'hui son temps entre
une recherche au FNRS dans le cadre du programme
"Demain la Suisse" et le développement
de la Fondation Mémoire Editoriale. Il
est l'auteur d'une trentaine de publications consacrées
à l'histoire lausannoise, à l'histoire
des intellectuels, et à l'histoire de la
presse et de l'édition en Suisse.
Parmi celles-ci, on signalera
son ouvrage consacré à l'histoire
de l'Hermitage (L'Hermitage. Une famille lausannoise
et sa demeure, Lausanne, Bibliothèque des
Arts, 2001), les articles consacrés à
l'édition dans l'Histoire de la littérature
en Suisse romande dirigée par Roger Francillon
(tome 2 et 3) ainsi que sa contribution intitulée
"La Suisse, un modèle éditorial
spécifique?" publiée dans Les
mutations du livre et de l'édition dans
le monde du XVIIIe siècle à l'an
2000, Actes du colloque international de Sherbrooke
2000, sous la dir. de Jacques Michon et Jean-Yves
Mollier, Presses de l'Université Laval,
2001. Il codirige également la collection
Mémoire Editoriale qui accueille aujourd'hui
sa thèse, L'édition romande et ses
acteurs 1850-1920, Slatkine; Mémoire Editoriale,
2001.
|
|
Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01
|
|
© "Le Culturactif
Suisse" - "Le Service de Presse Suisse"
|
|