Matthias Zschokke
Circulations, traduit de l'allemand par Patricia Zurcher, Genève, Zoé, 2011, 269 pages.
Télécharger la page en PDF
Retrouvez également Matthias Zschokke dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse
Matthias Zschokke / Circulations |
Amman, Budapest, Baden-Baden, Saint-Luc, New York, et en entrée, Berlin.
De la ville omniprésente dans son uvre, Matthias Zschokke nous entraîne dans le vaste monde. Fidèle à son sens de l'observation et à son regard plein d'humour et d'empathie, il se propose de nous guider, au gré de ses pérégrinations, de mégapoles en coins perdus, sautant de l'un à l'autre tout en prenant le soin de relier, par les mots et la mémoire, des endroits qu'à priori tout oppose. Plus que le voyage, c'est le génie des lieux qui l'intéresse, comme des personnages qui se révèlent peu à peu.
Et même si le lecteur peut puiser dans cet ouvrage quelques bonnes adresses, il s'agit avant tout ici de littérature. La subjectivité et la poésie qui habitent cette mosaïque de petits récits ne laissent aucun doute sur la nature de cette invitation au voyage d'un genre très particulier.
Circulations, traduit de l'allemand par Patricia Zurcher, Genève, Zoé, 2011, 269 pages.
|
|
|
Critique, par Elisabeth Vust |
In breve in italiano
-
Kurz und deutschLes personnages de Matthias Zschokke sont des désillusionnés sans révolte. Ils s'adaptent en surface et leur seul héroïsme est d'affronter quotidiennement la solitude existentielle. Si le naufrage leur est épargné, c'est qu'ils sont portés par l'écriture aérienne de leur auteur. Les lecteurs, quant à eux, sont plongés dans une douce torpeur mélancolique, où scintillent des perles d'esprit, de cette malice propre à l'écrivain alémanique.
Après Maurice à la poule (2009), roman qui a valu à Matthias Zschokke le Prix Femina étranger, Patricia Zurcher traduit un recueil de proses nomades visitant une série de grandes villes Amman , Berlin, Budapest, Genève, Neuchâtel, New York, Zurich et aussi de bien plus modestes et plus inattendues. Le pérégrin se rend ainsi d'emblée à Grenchen (Granges) sous le prétexte que « quiconque passe des chemins de fer fédéraux allemands aux chemins de fer fédéraux suisses doit savoir une chose : où qu'il projette de se rendre, il est sûr et certain que Grenchen se tiendra à l'affût sur son chemin et se jettera devant la locomotive, sous la forme de Grenchen Nord ou de Grenchen Sud, pour l'obliger à s'arrêter. Afin de ne plus souffrir à l'avenir de ce retardement inutile, j'ai opté pour une thérapie de confrontation (appelée aussi flooding). » On le voit, l'écrivain ne s'est pas départi de son ton pince-sans-rire. Il n'essaie pas de trouver le soi-disant génie des lieux, mais d'y être vraiment présent.
« Je pense que le bonheur réside dans la capacité à vivre le moment qu'il soit intéressant ou non. Quand j'observe vraiment ce que font les moineaux, je les trouve merveilleux et drôles. Si on arrivait toujours à regarder de cette manière, la vie serait belle », confiait l'auteur dans un entretien publié sur culturactif.ch .
Matthias Zschokke ne fait donc pas dans le tape à l'il ou l'extraordinaire. Il semble même mettre ici un point d'honneur à se concentrer sur des choses triviales, les chambres d'hôtel et surtout la nourriture la répétition aiguise l'attention, les détails deviennent révélateurs. A elles seules, les descriptions des petits-déjeuners constituent un délicieux inventaire à la Georges Perec.
Manger apaise la faim, mais pas l'esprit féroce du voyageur, qui se montre particulièrement mordant dans le domaine gastronomique. Selon lui, la pâtisserie allemande « remplit le devoir d'être grande et sucrée » ; en Alsace, les restaurants sont « plutôt mauvais » et la palme du médiocre revient à Berlin puisque, « pour des raisons inexplicables, les restaurateurs berlinois haïssent leurs clients et font tout pour les faire décamper ».
Berlin où, il faut le dire, l'auteur vit depuis une trentaine d'années, et où il revient de l'ailleurs avec l'impression d'être de nouveau « passablement pareil ».
On est, dans Circulations, loin du voyage qui lave et purifie, comme pouvait par exemple le vivre Nicolas Bouvier. Ainsi, les frustrations et l'absence de changements notables sont le lot de notre homme qui dit avoir « développé une tendance à l'individualisme doctrinaire » et qui éprouve « la souffrance qui en résulte ». En somme « là où les autres vont (ce que les autres lisent, font, portent), on n'y va pas (on ne le lit, on ne le fait, on ne le porte pas) ».
A New York pourtant, l'auteur alémanique se « gave d'impressions touristiques ». « Je ne me rappelle pas avoir une seule fois dans ma vie traversé mes journées à une allure pareille ». La crainte de rater l'essentiel a éclipsé celle d'être un suiveur, et l'écrivain se mue en marathonien trottant de must en must, « comme un mouton ». La Grande Pomme est sans conteste la ville de ce périple qui l'accapare le plus, et qui vaut au récit ses passages les plus fiévreux et rythmés.
Malgré sa construction en multiples séquences , passant de lieu en lieu et revenant au même endroit, ce texte est subtilement tenu et structuré. Travail d'écriture que Matthias Zschokke évoque en soulignant « l'incroyable discipline » requise par son métier, avec cette ironie caustique qui est la sienne, et qu'il applique le plus souvent à lui-même. Et si Circulations s'apparente parfois à une parodie de guide de voyage, l'écrivain y laisse aussi et heureusement circuler sa pensée dans le registre émotionnel et intime. Au demeurant, Matthias Zschokke poursuit ici une réflexion existentielle, sur la forme à donner à sa propre vie, et sur la mise en forme de cette vie par l'écriture.
Elisabeth Vust |
|
En bref |
In breve in italiano
Questa raccolta di prose nomadi dell'autore svizzero tedesco passa in rassegna una serie di città più o meno grandi: Berlino, Amman, New York, Budapest, ma anche dei luoghi più insoliti come Grenchen, cittadina protagonista di un episodio che strappa peraltro un magnifico sorriso canzonatorio. La narrazione circola di luogo in luogo, tornando a volte sui suoi passi, non tanto per cercarvi lo spirito dei luoghi, ma più per sentircisi effettivamente presente. Le descrizioni non privilegiano lo straordinario ma piuttosto le cose triviali, come le evocazioni delle colazioni consumate in albergo. Circulations è lontano dal viaggio che lava e purifica, come lo concepiva ad esempio Nicolas Bouvier. Matthias Zschokke scrive del suo tornare dall'altrove « poco cambiato ». Tuttavia il lettore viene immerso nel dolce e melanconico torpore che caratterizza lo stile dell'autore, dove brillano perle d'arguzia e a volte anche un'(auto)ironia ben affilata. Tra le righe di queste sequenze pellegrine si legge una riflessione sulla forma che ognuno dà alla vita, e su come questa venga modellata dalla scrittura. (rd)
***
Kurz und deutsch
In seiner Sammlung von Reise-Prosa schweift Matthias Zschokke durch eine Reihe von grossen und weniger grossen Städten: Berlin, Amman, New York, Budapest, sowie auch durch weniger spektakuläre Orte wie Grenchen, worüber er uns einige Zeilen guten, trockenen Humors schenkt. Die Prosa wandert von Ort zu Ort, kehrt teilweise an denselben Punkt zurück, allerdings nicht auf der Suche nach einem sogenannten Genius Loci, sondern um dem Autor zu ermöglichen, richtig anzukommen. Der Fokus der Beschreibungen liegt nicht auf dem Aussergewöhnlichen, sondern eher auf trivialen Dingen wie dem Heraufbeschwören eines Frühstücks im Hotel.
Die Reiseberichte von Circulations (Auf Reisen) bewegen sich jedoch weit weg von der Idee der reinigenden und läuternden Reise, wie sie etwa Nicolas Bouvier verstand. Matthias Zschokke bemerkt, er würde aus einem "ganz ähnlichen Anderswo" kommen. Dennoch wird der Leser in eine melancholische Zärtlichkeit eingehüllt, die den Stil dieses Autors auszeichnet, in dem Geistesblitze aufleuchten und manchmal auch eine stechende (Selbst)-Ironie. Und zwischen den Zeilen dieser vergänglichen Sequenzen stehen immer wieder Überlegungen über die Gestalt, die jeder seinem eigenen Leben gibt, und über die Gestaltung der Existenz durch das Schreiben. (ja)
Page créée le: 14.04.11
Dernière mise à jour le: 14.04.11
|
|
© "Le Culturactif
Suisse" - "Le Service de Presse Suisse" |
|