Au fil de ses parutions et des commentaires de ses lecteurs, un écrivain est paré d’étiquettes, qui forment un plumage, plus ou moins agréable ou lourd à porter. Manteau d’étoiles ou de goudron c’est selon, fait de vraies et/ou de fausses réputations qu’il est parfois bon de vérifier.
Peter Stamm est-il toujours ce sismographe de l’intime, qui a par exemple su rendre inoubliable l’héroïne de Paysages aléatoires (2002) ? Continue-t-il à faire ressentir la précarité affective d’hommes et de femmes souvent saisis dans une zone de turbulence existentielle ? Ce qu’il désignait comme ce « moment avant un hold-up », où la vie pourrait basculer. Et qu’en est-il de l’ironie, que l’auteur disait réservé à son écriture pour la radio et le théâtre, mais qu’il avait néanmoins laissée pénétrer dans les récits de Comme un cuivre qui résonne (2008) ?
Voyages de fiction au pays de l’enfance
Dans son nouveau recueil de nouvelles traduites, Au-delà du lac, l’ironie est présente non pas dans l’écriture, mais dans la vie et ses juxtapositions insolites des événements et des pensées. Ainsi, dans Le 27 juin, un jeune agriculteur pense, devant les seins d’une jeune femme, à la façon dont il a appris à traire les vaches. Ce récit invitant à un festival « open air » en pleine campagne est d’inspiration autobiographique, l’auteur fréquentant dans sa jeunesse ce genre de manifestation. En fait, toutes les histoires de ce livre s’ancrent dans la région du Lac de Constance, où Peter Stamm a grandi dans une famille de jardiniers. Ce dernier élément à la fois intrigue et n’étonne pas, tant l’écrivain est attentif aux humeurs de la météo et des hommes et à la beauté des décors. Cela dit, plantes et fleurs ont une odeur et on peut s’étonner du peu de références au sens olfactif chez lui. Et comme remarqué précédemment, lorsque l’odorat entre en jeu, c’est pour souligner une certaine disharmonie. Dans le déjà cité 27 juin est évoqué la « puanteur » du fumier et ce lait qui « sent la bouse ». A ce sujet encore, on retrouve une odeur récurrente de l’univers stammien dans Le dernier romantique, celle du chlore qui ravive ici le souvenir des moqueries d’un professeur de piscine.
La nature, source d’inspiration
Cette nouvelle, Le dernier romantique, (re)donne l’occasion de se poser la question de la distribution du courage entre femmes et hommes chez Peter Stamm. Dans les précédents titres, la foi semblait plutôt réservée aux dames et le scepticisme aux messieurs, souvent retenus par la peur de l’engagement, alors que leurs compagnes croient (encore) pouvoir changer le monde. Dans le recueil d’aujourd’hui, si la bravoure n’est pas une affaire de genres, ce qui pourrait distinguer les unes des uns est le mystère, qui entoure davantage les héroïnes. D’entrée de recueil, un homme venu dans un hôtel de montagne pour écrire sur Gorki est confrontée à une hôtesse bien énigmatique, qui se contente de lui ouvrir des boîtes pour les repas – thon et cœurs d’artichauts à midi, raviolis pour le soir. Non dénué d’humour, ce récit titré Les Estivants laisse s’installer une relation bien étrange, de fébrilité, attraction, méfiance, entre ce visiteur qui devrait être accueilli et celle qui devrait l’accueillir.
Peter Stamm dit avoir toujours été inspiré par le fantastique, mais il l’est de façon plus affirmé ici, avec Les estivants justement et également Dans la forêt, où une femme a jadis (sur)vécu trois ans dans la forêt : « personne ne comprenait qu’elle n’avait pas fui mais était tout simplement allé vers quelque chose ». Inquiétante, nourricière, vitale, envoûtante, transformatrice, obscure, la forêt pourrait renvoyer à son pendant symbolique, l’inconscient. Demeure le fait de la grande attention de Peter Stamm à l’environnement extérieur. « J’adore la nature, je suis toujours dehors, le seul désavantage de ma profession est de ne pas arriver à écrire dehors », déclare-t-il d’ailleurs.
Sismographe de l’intime, géographe des émotions
Cette richesse descriptive des paysages et des détails contraste avec ces plaines de non-dits ou de mal-dits entre les êtres, l’incommunicabilité restant au cœur des relations chez Peter Stamm. Sans se répéter ni perdre son inspiration, l’écrivain alémanique continue ainsi à cartographier le désarroi existentiel et la fragilité de nos vies dans Au-delà du lac, où le pays de l’enfance devient pays imaginaire, avec la distance du temps et de la fiction.
Elisabeth Vust
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