Microgrammes de Robert
Walser
Textes de Peter Utz, Werner Morlang, Bernhard
Echte, Traduction de Marion Graf, Editions Zoé, 2004, 96p.
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Retrouvez également
Robert Walser dans nos
pages consacrées aux auteurs de Suisse.
Robert
Walser : L'écriture miniature |
ISBN 2-88182-517-6
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Cinq cent vingt-six feuillets
couverts d'une écriture minuscule au crayon
ont été retrouvés dans les archives
de Robert Walser. La précision, l'élégance
de leur graphisme les désignent comme un chef
d'uvre de calligraphie. Déchiffrés,
puis publiés au prix de vingt ans de travail,
ils ont révélé un pan bouleversant
de la création du grand écrivain suisse:
proses, poèmes, roman, scènes dialoguées
- aboutis dès leur gestation, cueillis à
fleur d'improvisation. L'enjeu littéraire et
le geste du calligraphe entrent ici dans un rapport
de réciprocité: la belle écriture
embellit ce dont elle s'empare.
Pourquoi cet atelier installé
dans une maison de poupée? Pourquoi ces supports
disparates? Pourquoi le choix du crayon? Pourquoi
une graphie aux limites de l'illisible? Sans prétendre
élucider des secrets dont nul sans doute n'aura
jamais toutes les clefs, ce livre aborde le territoire
du crayon d'une façon entièrement nouvelle.
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Le lecteur découvre ici quelques-uns des feuillets
dans leur matérialité et dans le mouvement
même de leur élaboration: grâce
aux reproductions grandeur nature, l'harmonie gracile
de leur présentation apparaît en pleine
lumière; l'enchaînement des textes restitue
le cours primesautier de l'inspiration, qui conduit
le poète d'un genre à l'autre, d'un
sujet à l'autre. Peter Utz explique pourquoi
et comment cet ouvrage a été conçu.
L'homme de lettres Werner Morlang, l'un des déchiffreurs
des microgrammes, présente leur "singulier
bonheur", tandis que Bernhard Echte, lui aussi
déchiffreur des microgrammes et actuel directeur
des archives Robert Walser, propose une chronologie
détaillée de la vie et de l'uvre
du poète.
Traduit de l'allemand
par Marion Graf
Robert Walser : L'écriture
miniature, textes de Peter Utz, Werner Morlang, Bernhard
Echte, Traduction de Marion Graf, Editions Zoé,
2004, 96p
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Un
livre singulier, par Francesco Biamonte |
C'est un livre singulier. A la fois
un livre sur Robert Walser, de Robert Walser, malgré
Robert Walser. Deux contributions critiques sur le phénomène
de l'écriture miniaturisée chez Walser, des
fac simile de ces " microgrammes " flanqués
de la traduction française du texte qu'ils rapportent
et une chronologie illustrée : ces éléments
prennent chacun à peu près le même poids,
de sorte que le livre est comme dépourvu de centre
de gravité, plus proche du dossier que de l'ouvrage,
ou du catalogue d'exposition (sans exposition).
Beaucoup de textes de ce type avaient déjà
été publiés, aussi bien en allemand
qu'en traduction française (Aus dem Bleistiftsgebiet,
en français Le Territoire du crayon, toujours
chez Zoé). L'originalité de la présente
publication tient en ceci qu'elle met au centre de l'attention
le phénomène de l'écriture miniature
lui-même plutôt que le texte, questionne les
feuillets, cherche à dégager la signification
de cette micrographie, sur lesqules Walser fut d'une discrétion
absolue. Les textes de Peter Utz et Werner Morlang donnent
des piste et soulèvent des interrogations, avant
de nous laisser face aux facsimile grandeur nature, fascinants.
assortis de la traduction française des textes micrographiés,
avec un système de mise en page qui permet d'identifier
la place de chaque texte sur le feuillet, et dans bien des
cas, l'ordre vraisemblable de rédaction.
Cette manière de faire nous présente une sorte
de coupe de l'acte littéraire de Walser. Car le cours
primesautier, paradoxal, attachant et irritant de son écriture,
frais jusque dans les boucles herméneutiques et les
grandes généralités proférées
sur un ton à la fois solennel et humble, y apparaissent
ici comme la vérité la plus intime de la pensée
littéraire de cet écrivain. La façon
dont des textes de diverses natures (réflexions,
poèmes, évocations) se juxtaposent, s'emboîtent
graphiquement, renforce cette impression. Même si
certains éprouveront peut-être un léger
malaise : celui d'avoir pénétré malgré
lui dans l'atelier d'un auteur attachant et généreux,
qui réclamait et réclame encore par son oeuvre
que personne ne le traite comme s'il le connaissait.
Francesco Biamonte
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Entretien
avec Marion Graf |
L'écriture miniature
Entretien avec
Marion Graf, traductrice de l'ouvrage.
Il est singulier qu'un ouvrage
aussi particulier paraisse en français avant d'avoir
vu le jour en allemand. Est-ce le signe d'une fortune particulière
de Walser dans le monde francophone, différente de
celle que ses écrits rencontrent dans le monde germanophone?
Ce livre a vu le jour à l'initiative
des éditions Zoé et de sa directrice, Marlyse
Pietri. La publication d'un premier volume de microgrammes
en 2003 (Le Territoire du crayon) avait suscité
la curiosité et les questions de nombreux lecteurs
francophones de Walser. C'est donc d'abord pour répondre
à cette demande d'informations supplémentaires
que l'idée de ce livre s'est imposée. Et aussi,
pour tordre le cou à l'idée encore répandue
qui voudrait que ces textes relèvent de l'art brut.
Pour la première fois, le lecteur peut y suivre le
mouvement même de la pensée de l'écrivain,
la mobilité de son inspiration, l'impulsion qui le
porte d'un sujet à l'autre, d'un genre à l'autre
alors que jusqu'ici, toutes les éditions regroupaient
les textes selon une logique thématique ou générique
sans rapport avec le jaillissement de leur élaboration.
Mais ce livre est né, aussi, de la fascination qu'exerce
cette pure merveille calligraphique que sont les 526 feuillets
micrographiés: je crois qu'il s'adresse autant à
des lecteurs de Walser qu'à des amateurs de calligraphie,
intrigués, séduits par l'élégance,
la beauté sans pareille de ces documents.
La revue alémanique DU a présenté
quelques exemples de microgrammes en facsimile, mais sans
leur transcription. Pour les lecteurs germanophones, la
prochaine grande étape, encore lointaine, sera sans
doute une édition scientifique complète des
uvres de Walser, mais l'entreprise est vraiment colossale.
En attendant, les lecteurs de langue allemande en sont réduits
à se faire une idée de l'enchaînement
original des textes à l'aide de tableaux qui donnent
avec précision toutes les références
nécessaires. Le charme calligraphique des manuscrits
est encore peu mis en valeur
mais qui sait, le travail
des éditions Zoé donnera peut-être des
idées à Suhrkamp, l'éditeur allemand
de Walser
Vous avez beaucoup traduit Walser.
Le travail de traduction des microgrammes présente-t-il
des particularités - notamment de par l'extrême
spontanéité de l'écriture, la vélocité
de la pensée et des associations qui s'y développent?
Et le fait même de travailler en vue d'une publication
qui met la version française en regard du facsimile
modifie-t-il votre perception du texte ou son rendu?
Ce qui m'a frappée pendant
ce travail, c'était la disponibilité particulière
que demandaient ces textes: lorsque je parvenais à
être au meilleur de ma concentration, il m'arrivait
de traduire certaines proses comme en "temps réel",
les retouches ultérieures n'étant plus que
de légères mises au point. Cet élan
presque mimétique me paraissait assez bien accordé
à l'esprit d'improvisation que vous décrivez.
Pour d'autres textes, et surtout pour les poèmes,
les variantes n'ont pas manqué. Quant à la
présence de la version originale en facsimile, elle
n'a pas infléchi ma façon de traduire: le
texte allemand est tellement difficile à déchiffrer
qu'on ne peut pas considérer cette édition
comme bilingue
Peter Utz, admirable connaisseur
et commentateur de Walser, évoque dans sa contribution
des textes rassembls sur un même feuillet. Il en donne
des descriptions très éloignées du
sentiment que j'ai eu moi-même en les lisant. Il qualifie
de "description de paysage empreinte de gravité"
un texte qui m'apparaît comme une réflexion
théorique et esthétique aérienne; et
d'"étude poétiuqe assez formelle et contrainte"
autour d'un "paysage aux limites du cliché touristique"
ce que je perçois comme une sorte de scherzo ou chaque
cliché est pris à contrepied par une fantaisie
rebelle nourrie par l'emploi ludique, à la fois enfantin
et subversif, de la langue et de la rime. Est-on là
au coeur de l'insaisissabilité walsérienne?
Comment vous situez-vous, en tant que traductrice, entre
des dimensions si multiples, paradoxales, voire contradictoires
de ces textes?
Si la traduction définitive
propose bien une interprétation, elle est moins d'ordre
analytique que d'ordre musical, synthétique, intuitif.
L'analyse savante et érudite met en valeur d'autres
résonances. Les poèmes trouvent, me semble-t-il,
un équilibre rare entre un humour parfois parodique
ou absurde, et une émotion aussi intense que vite
réprimée. Il arrive que ce soit au bout de
la rime que tout se joue: deux mots parfois qui renvoient
à tout un monde de clichés livresque, ou alors,
qui ferraillent allègrement, ou encore, qui se répondent
dans une feinte naïveté, comme au début
de L'Enfant Jésus: "Ce n'était vraiment
pas brillant, chez eux: / un petit veau placide faisait
"meuh"", ou même qui se frôlent
amoureusement, quand la neige "se pose" comme
"une rose")
Walser est un auteur particulièrement
secret, et le sentiment de fraternité, d'intimité
qu'il suscite chez de nombreux lecteurs répond paradoxalement
à sa dimension foncièrement insaisissable
et déroutante. Les microgrammes oint été
l'un de ses secrets les mieux gardés. Avez-vous jamais
éprouvé un sentiment d'indiscrétion
en vous y plongeant pour les rendre à un nouveau
public?
Non, je n'ai pas le sentiment d'une
infraction ou d'une indiscrétion. Walser a soigneusement
conservé ces brouillons. Les plus anciens, qui datent
de 1924, l'ont même accompagné durant plusieurs
déménagements; il en a publié, avec
des variantes minimes, un très grand nombre de son
vivant. Et de nos jours, la critique génétique
valorise ce regard sur l'atelier de l'écrivain.
Il est vrai que beaucoup de lecteurs sont attirés,
chez Walser, par une aura de mystère. A ceux-là,
je dirai que la publication des microgrammes ne dissipe
aucune énigme, au contraire, elle les multiplie peut-être!
Les microgrammes ne trahissent aucun secret, la personnalité
de Walser s'y dessine avec la même pudeur et les mêmes
contradictions que dans les textes publiés. Ils construisent
eux aussi, entre l'auteur et le lecteur, cette relation
de distance et d'intimité, et nous conduisent au
cur des grandes contradictions walsériennes:
gaieté débridée et poignante mélancolie,
liberté et scrupuleuse précision, politesse
ou respect, et impertinence
Quant au "système
du crayon" et à ce qui l'a motivé, il
me semble que les commentaires de Peter Utz et de Werner
Morlang nous donnent les moyens d'encore mieux en mesurer
le mystère!
Propos recueillis par Francesco Biamonte
Page créée le: 07.12.04
Dernière mise à jour le 07.12.04
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